LES OASIS DE LA RÉGION DE TATA (MAROC) : ABANDON DE LA VIE OASIENNE TRADITIONNELLE ET ADAPTATION À LA VIE URBAINE (Géoparc Jbel Bani)
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LES OASIS DE LA RÉGION DE TATA (MAROC) : ABANDON DE LA VIE OASIENNE TRADITIONNELLE ET ADAPTATION À LA VIE URBAINE (Géoparc Jbel Bani)

Par Jean-Jacques Barathon, Hassan El Abbassi et Claude Le chevalier

Armand Colin | « Annales de géographie »

2005/4 n° 644 | pages 449 à 461

ISSN 0003-4010

ISBN 9782200920760

Article disponible en ligne à l'adresse :

https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2005-4-page-449.htm

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Les oasis de la région de Tata (Maroc): abandon de la vie oasienne traditionnelle et adaptation à la vie urbaine

The oases of the region of Tata (Morocco): the abandonment tradition and the adaptation to the urban way of life

Jean-Jacques Barathon

Centre de Géographie Physique, Université Paris X

Hassan El Abbassi

Centre de Géographie Physique, Université Paris X

Université Chouaïb Doukkali, El Jadida, Maroc

Claude Le chevalier

Centre de Géographie Physique, Université Paris X

Seules les oasis du piémont de l’Anti-Atlas et de la région du Jbel Bani (fig. 1) seront concernées par cette petite note. En effet, nous avons choisi d’exclure les oasis des vallées et bassins intramontagnards situées à des altitudes plus élevées et qui n’appartiennent pas encore totalement à cette zone que l’on peut qualifier, en reprenant la définition de F. Joly (1954 et

1979), de Présahara.

Ces oasis, aussi connues sous le nom d’oasis du Bani, présentent une certaine originalité par rapport aux espaces oasiens situés plus à l’est, le long du Drâa, du Rhéris ou du Ziz.

En premier lieu, elles possèdent un amont montagneux aux altitudes assez modestes atteignant cependant 2 531 m à l’Adrar-n-Aklim au nord du bassin de l’oued Tata. Rien de comparable avec les 4000 m du Haut Atlas !

S’y ajoute la latitude plus méridionale (Tata est au sud du trentième parallèle) et, de ce fait, le château d’eau régional possède donc des capacités plus limitées que ceux des grands oueds orientaux. Il n’y a ici aucun aménagement hydraulique d’envergure à la différence de ce que l’on trouve vers Ouarzazate ou Errachidia.

La seconde originalité de ces oasis, c’est leur relative diversité sur des distances très réduites. On passe ainsi très vite des oasis de montagne à celles de foum et, enfin, à celles de plaine. Chaque type présente des aspects particuliers et connaît, sur le plan environnemental et humain, une dynamique spécifique. Cela tient au compartimentage du relief local qui rend compte de leur dispersion. Il existe bien un alignement assez discontinu le long de l’oued Tata mais nombre de petites palmeraies se dispersent au pied du Jbel Bani comme vers El Aïoun ou occupent des positions de foum comme Tiggane ainsi que l’on peut le voir sur la figure 2, pour ne citer que les implantations proches de Tata. L’eau utilisée provient de quelques sources mais, le plus souvent, elle est récupérée par des Khettara notamment à l’aval des piémonts, ou bien encore, elle est fournie de plus en plus par des puits équipés de moteurs pompant l’eau des nappes phréatiques.

Enfin, elles forment le front méridional de la vie sédentaire car, à quelques dizaines de kilomètres plus au sud, au-delà de la vallée du Drâa, commencent les immensités vides du Sahara en territoire algérien.

Ces oasis un peu particulières souffrent d’un certain nombre de handicaps tant physiques que humains qui rendent compte de leurs transformations progressives et de l’ouverture tardive vers le monde extérieur de ces régions restées longtemps à l’écart des principaux axes de circulation sud atlasique et des circuits touristiques.
Location-of-Tata

Fig. 1 Croquis de localisation. Location of Tata.

1. Des conditions naturelles difficiles et une certaine dégradation du milieu

Si chaleur et aridité n’ont rien d’original dans ces contrées il faut cependant rappeler qu’elles constituent des facteurs défavorables, surtout si l’on en croit les autochtones qui insistent sur une dégradation climatique notable depuis une vingtaine d’années. Il est difficile de vérifier ces dires car les statistiques climatiques fiables n’ont guère plus de 10 ans dans la majorité des cas. À Tata, les quantités d’eau précipitées ont varié de 387 mm en 1987-1988 à 36 mm en 1985-1986 pour les extrêmes. D’une manière générale, la moyenne des précipitations à Tata serait de l’ordre de 80 mm selon la Direction Provinciale de l’Équipement (DPE) et la température moyenne calculée sur 13 ans de l’ordre de 22°. Les fortes températures estivales ne sont pas rares et, en août 1998, on a enregistré 52°! Il en résulte une forte évaporation potentielle qui dépasse 2 m et les faibles ressources en eau ne répondent que difficilement aux demandes de la population.

1.1 Des ressources en eau pérenne limitées

La variabilité interannuelle des ressources en eau peut être évaluée à partir des jaugeages réalisés par la DPE soit dans des puits, soit à l’exhaure des khettara. Ces mesures montrent, comme nous allons le voir, que les situations varient d’amont en aval et qu’elles sont plus ou moins marquées selon les techniques de récupération de l’eau, utilisées dans les oasis.

L’étude du niveau de la nappe phréatique dans les puits de la région de Tata donne les résultats suivants. À l’amont de la zone étudiée, le puits n° 1 situé au nord d’Agadir Lehna voit le niveau de la nappe varier de -28,65 m à -29,72 pour la période 1995-2000. À l’aval, où la durée des observations est plus longue, notamment vers El Aïoun (puits 2), la profondeur moyenne de la nappe phréatique se maintient durant une dizaine d’années a -4,8, -4,95 m. À partir de 1996-1997 la nappe s’enfonce d’un mètre environ. On constate le même phénomène, mais cette fois-ci amplifié, au puits n° 3 situé entre Adiss et Tiggane où le niveau de la nappe passe de -7 m en 1995 à -11 m en 2000. Cet enfoncement coïncide avec des précipitations le plus souvent inférieures à 100 mm (50 mm en 1996-1997 et 75 mm en 1999- 2000). Nous verrons cependant que ces conditions climatiques défavorables ne sont sans doute pas les seules responsables de cette situation.

Les débits de khettara sont encore plus sensibles, semble-t-il, aux variations pluviométriques interannuelles. C’est en particulier ce que l’on peut voir au sud d’Agadir Lehna (jaugeage a) où, après les années relativement humides de 1987 à 1990, le débit moyen a atteint 130 l/s et ce, jusqu’en 1991. En revanche, il est retombé à 50 l/s en 1993-1994 alors que le pluviomètren avait recueilli que 38 mm d’eau durant l’année 1992-1993.Cette forte variabilité du débit tient sans doute au fait que la khettara D’Agadir Lehna draine une partie de l’inféroflux de l’oued Tata au sortir de la montagne. Celui-ci est particulièrement sensible à l’abondance des précipitations reçues sur le bassin versant amont. Le cas de la khettara d’El

Aïoun (b) est moins probant puisque les débits très faibles n’ont guère varié et sont toujours compris entre 5 et 9 l/s. Durant l’hiver 2002-2003 il a atteint 11 l/s en raison, sans doute, d’une saison plus arrosée qu’à l’ordinaire mais aussi, grâce aux travaux d’entretien réalisés en 2002.

Cependant la grande sensibilité du débit des khettara aux variations saisonnières est de règle. On constate que celui-ci diminue très nettement en été, au moment où la demande en eau est la plus forte. Ce déficit hydrique, notable partout, se fait sentir de manière plus accusée en direction du sud de la région, vers le groupe d’oasis d’El Aïoun.

Tata-oasis

Fig. 2 Les oasis de la région de Tata.

Oases of the region of Tata.

Les ressources permanentes en eau restent donc médiocres. Cependant les agriculteurs oasiens peuvent bénéficier, certaines années fastes, de pluies d’automne et d’hiver qui permettent de tenter des cultures céréalières en bour, soit dans des zones d’épandage de crues comme les maader des feija, soit sur les espaces plans des anciens remblaiements alluviaux. Ce fut le cas durant l’hiver 2002-2003 où des surfaces relativement vastes a été travaillé et semées en orge, donnant un aspect vert inhabituel à ces piémonts qui constituent d’ordinaire de maigres pâturages. Si l’on considère les statistiques fournies par la Direction Provinciale de l’Agriculture (DPA) de Tata ces terres bour dépassent 55000 ha pour les territoires soumis à son autorité alors que le domaine irrigué est estimé à 5500 ha. Il faut cependant souligner que ces terres bour, utilisables de manière aléatoire, ne comptent que très peu par rapport au 1 800 000 ha environ de terres classées parcours et incultes. De plus la qualité des sols est souvent médiocre.

1.2 Des sols de médiocre qualité et des ressources végétales très sollicitées

Les terres cultivables portent des sols très peu évolués et souvent peu propres à la culture. En fonction du cadre géomorphologique local, les sols se répartissent en trois types principaux. Les sols d’apports alluviaux ou colluviaux, recouvrent les basses terrasses et les plaines alluviales. Légers, essentiellement sableux, ils portent localement le nom d’Amlel. Les sols limoneux, plus lourds et généralement plus anciens que les précédents, portent le nom de Trab. Dans les espaces soumis au ruissellement aréolaire, les sols sont constitués par des épandages limoneux. Les glacis et les hautes terrasses portent soit des minéraux bruts étalés sous forme de reg, soit des encroûtements calcaires puissants et stériles.

D’une manière générale, ces sols sont peu propres à la culture. Leurs propriétés intrinsèques en font des milieux avides d’eau, peu fertiles et exigeants en intrants. Seuls des apports réguliers de fumure peuvent limiter les contraintes. Ces maigres qualités se dégradent encore davantage lorsque des phénomènes de salinisation se manifestent, ce qui est courant dans la partie méridionale de la région de Tata. En effet, les remontées capillaires, favorisées par une intense évaporation, dans des conditions hydriques déficitaires, amènent à la surface des quantités importantes des sels. Ainsi de vastes espaces limoneux des basses plaines alluviales sont quasi stériles, en raison de la présence de croûtes gypseuses qui les protègent certes de la déflation et, dans une moindre mesure, du ruissellement, mais qui constituent aussi de piètres espaces pastoraux.

En fait, aujourd’hui, les terres utilisables pour les cultures restent très limitées en surface et si la densité de population de la province était évaluée en 1994 à 4 hab./km2 il est plus exact de dire qu’elle est de l‘ordre de 13 hab. par hectare irrigué ce qui constitue une charge humaine très importante pour des ressources limitées.

Si la charge humaine est élevée, il en est de même de celle du bétail qui pâture la steppe à acacia. Le petit bétail (moutons et surtout chèvres) est nombreux autour des villages et contribue à la destruction du couvert végétal dans un proche rayon autour des lieux habités. À cet élevage sédentaire, il faut ajouter les grands troupeaux des éleveurs nomades qui participent aussi à la dégradation de la steppe claire. Selon la DPA ces troupeaux compteraient 120000 ovins, 170 000 caprins et 15 000 camelins. Ces statistiques sont d’ailleurs discutables car le nomadisme amène des troupeaux de régions parfois éloignées, à la recherche de l’acheb. C’est le cas des troupeaux de dromadaires que l’on déplace sur de grandes distances. Ces derniers furent particulièrement nombreux sur les piémonts de l’Anti-Atlas durant l’hiver 2002-2003 où l’on pouvait dénombrer, assez souvent, des groupes d’animaux de plus de 100 unités. Dans ces conditions, la dégradation du couvert naturel devient préoccupante. Seuls, semble-t-il, les acacias se régénèrent assez bien malgré les prélèvements des troupeaux car le bois est de moins en moins utilisé par les populations locales (renseignement fourni par le service des Eaux et Forêts et communiqué par A. Outmouhine qui commence une recherche doctorale dans cette région). Les autres ligneux sont toujours prélevés pour les besoins domestiques, à proximité des villages. La steppe est donc fragilisée et l’érosion s’en trouve facilitée.

1.3 Érosion éolienne et menace d’ensablement

La dégradation de la steppe claire à acacia et un possible assèchement récent du climat se traduisent effectivement par une mobilisation des éléments fins par le vent. Ce phénomène est aujourd’hui bien connu dans le sud marocain et des articles récents, parus notamment dans la revue «Sécheresse », abordent ce problème de la migration des sables dans ces régions présahariennes.

Une fois encore, la région de Tata se distingue de la vallée du Drâa et du Tafilalet. L’article d’Aïcha Benmohammadi et alii (2000) décrit des ensablements préoccupants dans la région de Mhamid. On peut y lire que « la vallée du Drâa se place en tête des zones qui sont les plus touchées par la désertification et les problèmes corollaires d’ensablement. Elle est suivie par la région de Tata et par le Tafilalet dans la vallée du Ziz». Nous pensons que les auteurs exagèrent l’importance de ce phénomène dans la province de Tata. Il existe, certes, un secteur où les migrations de sable ont donné lieu à des aménagements récents. Il s’agit d’un couloir assez étroit (vallée moyenne de l’oued Zguid) compris entre le Jbel Bani au nord et l’anticlinal du Jbel Hamsaïlikh, à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Foum Zguid. On peut y observer en particulier quelques barkhanes très mobiles ainsi que des dunes aux formes variées mais aujourd’hui fixées par des tamaris. Cependant, les clayonnages faits de palmes tressées situés à 1 km au nord de ce secteur n’ont piégé, en deux ans d’observation, que très peu de sable. Une partie de ces «pièges à sable » a d’ailleurs été détruite (février

2004), sans doute par des pasteurs qui fréquentent la région. En trois années d’observations on peut même penser que le stock de sable disponible dans ce domaine a diminué ! Rien de comparable avec ce que l’on peut voir dans la région de Zagora et de M’Hamid. Des observations faites à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest d’Akka permettent des conclusions identiques. En effet, à la sortie ouest du village de Touzounine des aménagements avaient aussi été réalisés pour piéger les venues de sables issues du lit de l’oued voisin. En février 2003, la visite du site montre que les clayonnages sont détruits, pour la plupart, et qu’ils n’ont arrêté qu’une petite quantité de sédiments éoliens. Mieux, la déflation paraît avoir cessé dans ce secteur.

On observe de nombreux épandages de sable, d’ordre décamétrique, très dispersés dans la province de Tata. Tous ne sont pas dangereux pour les espaces oasiens. En effet, il est fréquent de voir des nappes de sable de faible taille piégées sur le flanc de petites barres gréseuses qui hérissent les vastes zones planes de la région. Quelques-unes menacent effectivement des espaces agricoles comme vers l’oasis d’El Aïoun ou bien encore une petite palmeraie au sud d’Adiss.

En fait, si ces ensablements demeurent limités dans l’espace c’est que les formations meubles susceptibles de fournir du sable sont relativement rares.

Les dépôts quaternaires qui s’étalent sur les piémonts et dans les cuvettes topographiques de la région ont une granulométrie peu favorable. Il s’agit de cônes torrentiels à blocs et galets contenant peu d’éléments fins et ils sont couronnés de croûtes calcaires parfois puissantes. Les couvertures des glacis d’ablation, peu épaisses, présentent les mêmes caractères. Enfin, dans les cuvettes, l’abondance des formations palustres et travertineuses ou bien encore les épandages limoneux à croûte de gypse ne fournissent que très peu de débris pour la déflation.

Au total, on retiendra que les terroirs utilisables sont limités et dispersés dans l’espace. Ces milieux aux faibles ressources naturelles connaissent, de surcroît, des difficultés humaines et économiques.

2 Les handicaps humains et économiques

2.1 Le premier de ces handicaps est sans doute celui de l’isolement relatif de la région de Tata

En effet, la liaison avec le reste du Maroc n’est pas toujours aisée et le désenclavement routier de ce piémont anti-atlasique est relativement récent.

L’axe est-ouest qui suit la montagne ou le Jbel Bani est certes de bonne qualité, mais il ne relie pas entre elles des régions très dynamiques, même s’il permet en passant par Assa ou par Bouizakarne d’atteindre Guelmim (à près de 300 km à l’ouest de Tata). La liaison la plus intéressante est celle qui traverse l’obstacle de l’Anti-Atlas par Issafen et Irherm pour rejoindre le Souss et ses deux capitales provinciales de Taroudannt et Agadir. Cette route est d’ailleurs en cours d’aménagement dans sa partie septentrionale, la plus difficile. Elle permet de relier la riche région agricole du nord aux Une autre preuve de ce relatif isolement, c’est la méconnaissance par les guides touristiques de cette région, pourtant intéressante, avec ses anciens ksour, ses petites oasis et ses gravures rupestres. Sur 4 guides édités en 2003, deux seulement mentionnent la région de Tata. La ville elle-même ne présente pas un intérêt particulier mais son équipement pour accueillir les touristes est tout à fait acceptable actuellement.

2.2 Une économie oasienne en crise

Cette crise qui touche l’économie traditionnelle, tournée surtout vers l’autoconsommation, résulte de la combinaison de plusieurs facteurs. Sans en faire une analyse détaillée, on peut citer par exemple la faiblesse des productions agricoles sur un espace cultivé de plus en plus restreint. Les rendements en céréales dans le domaine irrigué sont faibles : 15 qx/ha pour l’orge et encore moins pour le blé. Les dattiers fournissent des récoltes moyennes avec, selon la DPA, 17 kg de dattes par palmier. La moitié de ces fruits est commercialisée. Toutefois les palmeraies sont touchées, comme ailleurs, par la maladie du bayoud et une partie des arbres doit être remplacée. Selon la DPA, 32 % seulement des arbres sont effectivement productifs car à la maladie s’ajoute la sécheresse. L’agriculture oasienne se caractérise donc par une grande irrégularité de ses résultats, en liaison avec les caprices du climat. Selon la DPA, la campagne agricole 2000/2001 marquée par une forte sécheresse, a vu l’espace agricole se rétracter de 47 % par rapport à une année normale.

Ainsi s’explique la forte émigration rurale qui touche la population masculine des villages de la région de Tata. À Tigazmirt, village situé à quelques kilomètres au sud de Tata, sur les 132 hommes en âge de travailler recensés dans le douar, 40 % sont allés travailler dans d’autres régions du Maroc et 6 % à l’étranger. Sur les 54 % restants, seuls 8 % sont agriculteurs. Le même constat peut être fait à Agoujgâl où, sur 100 hommes en âge de travailler, 15 seulement sont fellahs et 41 sont devenus commerçants dans d’autres régions du Maroc. Seuls 7 d’entre eux sont allés en Europe. Le manque de main-d’œuvre est particulièrement inquiétant, surtout au moment des gros travaux agricoles. On comprend, comme le note un rapport de la DPA

(2000), pourquoi «la femme rurale est très impliquée dans les activités agricoles». Ce sont elles que l’on voit le plus souvent travailler dans les parcelles de culture de l’oasis. Elles ne peuvent cependant s’occuper de l’aménagement des khettara et de leur entretien, ce qui a des répercussions sur les disponibilités en eau et sur la vie sociale des oasis où l’on note un relâchement des solidarités.

Comme dans toutes les oasis traditionnelles il faut ajouter que les structures foncières sont aujourd’hui contraignantes avec des propriétés souvent très morcelées et dont la superficie totale est inférieure dans 95 % des cas à 1 ha (DPA, 2000). Une complication supplémentaire intervient quand on sait que le droit de propriété s’applique aussi bien à la terre qu’à l’eau ou Enfin, il faut signaler que cette agriculture traditionnelle est soumise aussi à la concurrence de l’urbanisation. Cela se traduit tout d’abord par la perte de terres cultivées comme on peut le voir à la sortie nord de Tata où l’espace construit a fait disparaître, à l’ouest de la route, de nombreuses parcelles de l’oasis encore cultivées au début des années 1990. Les constructions gagnent aussi de l’autre côté de la route, dans le territoire agricole.

Une seconde manifestation de cette concurrence, moins visible dans le paysage, est celle qui s’exerce pour la ressource en eau. Il faut rappeler qu’au recensement de 1982 la population de Tata était de l’ordre de 3600 h. Aujourd’hui ce nombre d’habitants a été multiplié par 5 en raison de la création d’un chef-lieu de province, pour répondre à la fois à des raisons stratégiques et au sous-encadrement administratif. Il faut donc fournir de l’eau aux casernes, aux établissements administratifs et scolaires, à l’hôpital et à tous les services qui sont venus s’installer. Un forage va puiser l’eau de la nappe phréatique à une trentaine de mètres de profondeur (renseignement oral d’A. Outmouhine). Il est sans doute, pour partie, responsable de l’abaissement notable des nappes à l’aval de la ville (cas du puits n° 3 entre Adis et Tiggane). S’ajoutent à ces prélèvements ceux qui sont opérés par un mouvement associatif ayant pour objectif l’alimentation en eau des villages et qui concurrence l’Office National de l’Eau Potable (ONEP) qui voit le nombre de ses abonnés diminuer, malgré l’élargissement du périmètre urbain.

Le tableau qui vient d’être dressé peut paraître assez sombre. Il mérite pourtant d’être nuancé car des initiatives nouvelles peuvent apparaître. Le développement urbain et l’amélioration de la circulation en direction du nord sont sans doute à l’origine d’un nouveau dynamisme.

3 Les mutations des oasis de la région de Tata

Les transformations se réalisent de plusieurs manières. Elles intéressent par exemple les surfaces mises en culture de façon permanente. Elles touchent aussi aux techniques et aux productions agricoles. Enfin, l’habitat se transforme tant dans sa localisation que dans son aspect.

3.1 Les fluctuations de l’espace cultivé.

Nous avons déjà évoqué cet aspect des choses ci-dessus, en signalant que l’urbanisation rapide du chef-lieu de province avait annexé une bonne partie du territoire oasien situé immédiatement au nord de Tata.

En fait, il semble bien que les fluctuations des surfaces irriguées soient anciennes. Il serait intéressant de faire une étude historique précise pour connaître les raisons exactes de ces variations. Nous ne citerons ici que deux exemples pris sur les deux rives de l’oued Tata à quelques kilomètres au nord de la ville, entre le gué de la route de Tagmoute et le front montagneux de l’Anti-Atlas. Aujourd’hui, cet espace plan dans lequel l’oued s’est encaissé d’une dizaine de mètres se présente comme une zone de steppe très claire où quelques touffes de Callotropis procera apportent une touche verte. Or, par le passé, une partie au moins de ce territoire a été, irrigué. En effet, sur la rive gauche de l’oued, on retrouve actuellement les traces d’un ancien périmètre avec des aménagements hydrauliques très visibles.

L’eau, semble-t-il, était captée au niveau du foum d’amont et l’on peut voir que le mur du barrage construit à l’époque coloniale recouvre une seguia qui alimentait ce périmètre. Ces anciens canaux aménagés à même le sol de la plaine limoneuse se retrouvent immédiatement à l’est de la vaste cascade de travertins de l’oued Tata. Ils présentent ici l’originalité de dominer, de plus d’un mètre parfois, la surface des limons gris car ils ont été calcifiés par l’eau qu’ils distribuaient et se comportent un peu comme des conduites « en béton » qui se trouvent dégagées par l’érosion postérieure à l’abandon du périmètre. Interrogés à propos de cet ancien espace irrigué aujourd’hui disparu, les hommes âgés d’Agadir Lehna n’ont aucune information.

Sur la rive opposée du même oued et à la même latitude la carte topographique au 1/100000 éditée en 1967 indique deux espaces oasiens.

Aujourd’hui la surface de cette plaine alluviale est aussi déserte que celle de l’autre rive. Là encore, le domaine irrigué a régressé.

Si les causes précises de ces disparitions de territoire oasien ne peuvent être connues, en revanche, dans les oasis de l’aval, l’amenuisement de surfaces irriguées se comprend mieux. En effet, dans les oasis de la région d’El Aïoun par exemple, deux facteurs principaux se conjuguent. Il s’agit d’une part du manque de main-d’œuvre masculine pour assurer les gros travaux de la terre. Il s’agit d’autre part de la salure progressive des terres combinée à un manque d’eau chronique. Enfin il ne faut pas oublier la tendance à l’ensablement de certaines palmeraies.

Ces fluctuations de l’espace irrigué ne signifient pas cependant la prochaine disparition de la vie oasienne car un certain nombre de mutations se réalisent de nos jours.

3.2 Les mutations de l’agriculture oasienne

Elles concernent à la fois les techniques culturales et les productions agricoles.

L’un des problèmes fondamentaux est celui de la ressource en eau.

Les tours d’eau traditionnels distribués sous l’autorité du «lamine seguia» limitent les possibilités d’irrigation car ils deviennent de plus en plus longs.

Certaines cultures comme celles des légumes en souffrent. Aussi, pour plus de souplesse et de régularité, les fellahs se sont regroupés en coopératives qui assurent le pompage dans la nappe phréatique. Depuis 1982, 5 associations se sont créées dans la commune de Tata et elles regroupent plus de 130 agriculteurs. Cinq autres associations créées à la fin des années 1990 existent dans la commune rurale d’Adiss et regroupent 88 adhérents. Des puits individuels existent aussi et cette modernisation de l’irrigation a été rendue possible grâce à l’argent fourni par l’émigration. À Agoujgal par exemple, sur 13 puits recensés dans le village, 7 servent à l’irrigation de lopins de terre gagnés sur le territoire bour. De même toute la rive gauche de l’oued Tata est irriguée par motopompes vers Tigazmirt. Ainsi, l’agriculture irriguée a pu, localement, gagner du terrain et surtout se libérer des contraintes traditionnelles. Cela a aussi pour corollaire une plus grande demande en eau et, par conséquent, ce phénomène contribue également à l’abaissement de la nappe phréatique.

Autrefois, les oasiens vivaient dans une économie d’autoconsommation.

Aujourd’hui, grâce à l’amélioration des transports routiers, certains produits comme les légumes et les fruits arrivent facilement du Souss et fournissent l’essentiel des ventes sur le souk de Tata. En revanche, la présence d’une population urbaine de l’ordre de 16000 hab. a permis le développement des cultures fourragères destinées à un petit élevage à l’étable pour la production de lait et de viande. Une coopérative laitière a été créée en 1987 à Tata avec 48 producteurs de lait. Ce développement d’un élevage bovin à l’étable (environ 3000 bêtes recensées dans le cadre de la DPA de Tata) a fourni une fumure supplémentaire aux terres agricoles qui sont naturellement peu fertiles et la culture de la luzerne s’adapte assez bien à la salinité des sols. D’agriculteur, l’oasien devient donc plutôt éleveur sédentaire et répond ainsi aux besoins d’une population urbaine nombreuse, ayant un pouvoir d’achat plus élevé que celui des oasiens, en raison du nombre important de fonctionnaires et de militaires qui la compose. Cette arrivée massive de membres des classes moyennes depuis le début des années 1980 a aussi nécessité la création d’un espace urbain nouveau.

3.3 Le développement de la ville et la transformation de l’habitat dans la région de Tata

L’installation d’un chef-lieu de province à Tata a non seulement entraîné la création d’une ville nouvelle mais a aussi transformé les villages voisins en lieux de résidence, pour les plus proches d’entre eux. L’émigration a aussi contribué, par ses apports financiers, à transformer l’habitat traditionnel.

Jusqu’à présent, et de manière tout à fait volontaire, nous n’avons jamais utilisé le terme de ksar ou ksour. Ce choix tient au fait, qu’à de rares exceptions, les ksour traditionnels, merveilles d’architecture berbère, sont aujourd’hui totalement abandonnés et tombent malheureusement en ruines.

L’habitat s’étalant en de vastes villages s’est installé à proximité de la route ou de la piste et, quand on disposait d’assez d’argent, on a construit des maisons de typeþ «urbain » où le béton constitue l’armature des bâtisses.

Cette architecture moderne, sans caractère, se retrouve d’ailleurs dans tout le Maroc et elle choque ici les quelques touristes qui s’aventurent dans cette région trop méconnue.

La ville de Tata ne présente pas plus d’intérêt architectural que les nouveaux villages dont on vient de parler. À la partie ancienne, née autour du poste militaire colonial, s’oppose la partie orientale où administrations, résidences et grande mosquée se côtoient. Le vaste espace occupé par ces constructions nouvelles montre à quel point la petite oasis du piémont de l’Anti-Atlas central et ses voisines les plus proches se sont transformées.

Tata a acquis le statut de capitale de province, ce qui a conduit à l’installation de nombreuses administrations et services et a amené de nombreux fonctionnaires. Ceux-ci constituent une clientèle importante pour le commerce : la vitalité commerciale de la ville est évidente, les boutiques variées, le marché animé.

Tata se situe aussi au coeur d’un réseau de postes militaires pour surveiller la frontière. Elle est donc une ville de garnison et les retombées pour le commerce urbain et les services ne sont pas négligeables.

Enfin, la ville a été lancée comme pôle de tourisme. Elle bénéficie de nombreux atouts comme les gravures rupestres nombreuses dans la région, les paysages remarquables et les pistes nombreuses tant dans la montagne que sur son piémont. Il n’est pas rare de retrouver à l’étape des participants à des raids aériens en ULM ou des conducteurs de 4X4 qui s’aventurent sur les pistes du « no man’s land» entre l’Algérie et le Maroc. Plus rares sont les circuits touristiques en car qui arrivent jusqu'à Tata mais les touristes en voitures particulières ou en camping-cars n’hésitent pas à visiter ces régions encore mal connues du grand public.

À côté de cette petite capitale locale, d’autres oasis du voisinage ont connu un renforcement urbain : Foum Zguid, gros souk d’échanges et noeud routier dépasse 10 000 habitants. Akka (6 500 hab.) s’est dédoublée entre un vieux ksar et un centre moderne, Foum el Hisn, centre caravanier en total déclin abrite pourtant encore 7000 hab. (Troin, 2002).

Mais cet ensemble de petits centres constitue une trame lâche d’agglomérations, les écarts kilométriques entre les différents noyaux habités sont élevés. Il n’y a pas de réseau urbain. L’absence de polarisation par une capitale régionale est un handicap qui s’ajoute à l’éloignement (Guitouni in Troin, 2002). Le maintien et le développement de ces oasis urbaines par l’assistance de l’État peuvent-ils suffire à compenser la déprise rurale? La distance ne continue-t-elle pas à jouer ici un rôle de frein au développement?

En conclusion, on ne retiendra que cette région, originale par son cadre environnemental et par sa position éloignée du reste du Maroc jusqu’à une période récente, est en train de vivre une mutation profonde. Ce phénomène n’est pas propre à cet espace oasien. Il se retrouve dans toutes les campagnes marocaines qui connaissent des phénomènes identiques de déprises rurales et d’exode vers les villes. Cependant, en raison des conditions difficiles du milieu, il prend ici une dimension particulière car la réalisation de ces transformations s’est opérée en un laps de temps très bref. Bibliographie Benalla M., El Alem M., Rognon P., Desjardins R., Hilali A., Khardi A. (2003), «Les dunes du Tafilalet (Maroc) : dynamique éolienne et ensablement des palmeraies», Sécheresse, n° 2, vol. 14, juin 2003, p. 73-83.

Benmohammadi A., Benmohammadi L., Ballais J.-L, Riser J. (2000), «Analyse des inter-relations anthropiques et naturelles: leur impact sur la recrudescence des phénomènes d’ensablement et de désertification au sud-est du Maroc (vallée du Drâa et vallée du Ziz)», Sécheresse, n° 4, vol. 11, décembre 2000, p. 297-308.

Joly F. (1954), « Le sud présaharien marocain», Cahiers Information Géographique, n° 1, p. 20-32.

Joly F. (1979), «L’homme et le Sud au Maghreb Atlantique (Essai sur les rapports de l’homme et du milieu en bordure du désert)», Méditerranée, n° 1-2, p. 27-37.

Troin J.-F. (dir.) (2002), Maroc : régions, pays, territoires, Paris/Casablanca, Maisonneuve et Larose/Tarik, 503 p.

Anonyme (2000), Monographie générale de la zone d’action, Tata, Direction Provinciale de L’Agriculture de Tata, 35 p. ronéo.

Glossaire

Acheb: végétation herbacée éphémère, poussant après une pluie en zone désertique et servant de pâturage saisonnier.

Bayoud: fusariose, maladie provoquant le dessèchement et la destruction du palmier-dattier. Bour: ensemble de territoires cultivés en sec.

Feija : couloir étroit et allongé entre deux crêtes (sillon appalachien) en région présaharienne et saharienne.

Foum: débouché d’une cluse, d’une gorge, d’un défilé de montagne sur le bas-pays.

Khettara: galerie de captage souterraine permettant le drainage des eaux et leur distribution à l’air libre en aval. Synonymes: foggara en Algérie, qanat en Iran.

Ksar (pluriel Ksour): village fortifié, par extension village aggloméré du sud marocain.

Lamine seguia: personnage respecté, responsable de la gestion des tours d’eau et de la distribution de celle-ci dans une oasis.

Maader: zone d’épandage dirigé des crues d’oued aménagée en cuvette cultivable en région présaharienne.

Seguia: canal, voire simple rigole d’irrigation, creusé dans la terre ou bétonné.

Source web par: Jean-Jacques Barathon, Hassan El Abbassi , Claude Le chevalier et Armand Colin

 

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