Anti-Atlas
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Anti-Atlas

Par J. Riser

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/encyclopedieberbere/2522

ISSN : 2262-7197

Éditeur

Peeters Publishers

Édition imprimée

Date de publication : 1 avril 1988

Pagination : 776-791

ISBN : 2-85744-319-6

ISSN : 1015-7344

Référence électronique

J. Riser, « Anti-Atlas », in 5 | Anacutas – Anti-Atlas, Aix-en-Provence, Edisud (« Volumes », no 5) , 1988

[En ligne], mis en ligne le 01 décembre 2012, consulté le 01 mai 2019. URL : http://

journals.openedition.org/encyclopedieberbere/2522

Ce document a été généré automatiquement le 1 mai 2019.

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L’Anti-Atlas s’étend sur 660 kilomètres de l’océan Atlantique, au sud-ouest, à la hamada du Guir au nord-ouest. Située entre le 29° et le 32° de latitude nord, la chaîne qui culmine à 2 712 mètres à l’Amalou-n-Mansour (Jbel Sarhro) n’est jamais très large, environ 100 kilomètres en moyenne (fig. 1). L’Anti-Atlas se trouve au contact de la zone aride saharienne et semi-aride méditerranéenne. Il constitue le bourrelet liminaire du socle africain, soulevé et déformé par les contrecoups de l’orogénie alpine atlasique. Les paysages sont variés mais toujours d’une grande austérité. Cet aspect est directement lié aux roches couvertes par la sombre livrée de la patine désertique, à la végétation steppique et à la faible densité de la population.

Les données structurales : un vieux socle aux formes puissantes

La chaîne de l’Anti-Atlas est un immense voussoir dont l’ossature, dans sa partie occidentale et centrale, est constituée par les formations gréseuses calcaires et dolomitiques de l’Infracambrien et du Cambrien recouvrant, en discordance, des schistes, des granites et des roches volcaniques acides (rhyolite, trachyte, andésite) du Précambrien. Les agents d’érosion, après avoir crevé la carapace de roches de l’Infracambrien, ont affouillé les schistes et les granites, en donnant naissance à de vastes boutonnières (Ifni, Tazeroualt, Kerdous, Tagragra). Dans l’Anti-Atlas oriental : jbel Sarhro et Ougnate, les assises de l’Infracambrien s’amenuisent et le coeur précambrien de la chaîne affleure plus largement. Les empilements rhyolitiques et les granites résistants portent d’ailleurs les plus haut sommets : jbel Kouaouch 2 592 mètres, Isk-n-Allah 2 569 mètres, Amalou-n-Mansour 2 712 mètres. Les crêts et cuestas de la retombée saharienne sont façonnés dans les roches résistantes de l’Ordovicien et dans les calcaires du Dévonien. L’originalité du relief vient ici des déformations amples du socle paléozoïque et de l’alternance régulière de roches tendres (schiste) et de roches très résistantes. Cette région est bordée au sud et au sud-ouest par le grand crêt sombre de l’Ouarkziz et, au nord-est, par le kreb des hamadas du Dra et des Kem-Kem. Au nord, la fossilisation est brutale, sous les assises variées, secondaires et tertiaires du sillon sud-asiatique.

La genèse du relief : paroxysme hercynien et rajeunissement fini Tertiaire

L’histoire géologique de l’Anti-Atlas est aussi longue et complexe que celle du craton africain dont il est la bordure nord-occidentale.

La principale phase de soulèvement se situe à l’époque hercynienne. La surrection de la chaîne a entraîné, à ce moment-là, le Rejeu de failles plus anciennes et l’apparition de nouvelles cassures qui ont profondément affecté le bâti rigide du socle. Après cette phase orogénique majeure, l’Anti-Atlas ne subit plus que des retouches locales plus ou moins marquées, au cours du Secondaire et du Tertiaire. Au moment des paroxysmes orogéniques atlasiques de la fin du Tertiaire, les vieilles cicatrices du socle rejouèrent et des édifices volcaniques apparurent alors dans le Sarhro oriental tandis qu’entre Anti-Atlas et Haut-Atlas s’édifiait le grand volcan du Siroua. Pendant cette même période, les matériaux transportés par les cours d’eau sur les piémonts deviennent plus grossiers. On assiste alors au passage d’un climat semi-aride et chaud à un climat méditerranéen plus frais, à fortes averses espacées.

A la limite du Tertiaire et du Quaternaire, ces phénomènes orogéniques et volcaniques favorisent la dissection du relief et préparent l’action quaternaire des agents de l’érosion qui vont façonner, dans la montagne et sur ses piémonts, des modelés variés : inselbergs, terrasses, glacis d’ablation.

Carte de l’Anti-Atlas d’après J. Riser. Dessin S. de Butler.

Carte-d-Anti-Atlas

Retombée saharienne. Synclinal perché du Jbel Kissane. Photo J. Riser.

Jbel-Kissane

Cluse de l’Assif n-Iriri à Taghzout (Anti-Atlas central). Photo J. Riser.

Taghzout

Le climat :

Un balcon semi-aride au-dessus du Sahara

Le vent emporte les feuilles sèches des noyers

La paille blonde laissée sur l’aire à battre

Et le linge oublié sur la haute terrasse...

Les premiers froids d’automne chassent les palombes

Qui s’envolent des peupliers dépouillés

Et descendent en silence la vallée enneigée...

Extrait de Ni le vent ni les nuages, poème berbère, Mririda n’Ait-Attik    

Le climat se dégrade de l’ouest vers l’est et du nord au sud. Il faut distinguer le climat de l’Anti-Atlas occidental teinté d’influences océaniques de celui de la chaîne orientale plus sec et plus continental. La retombée saharienne du massif, quant à elle, est plus franchement saharienne.

L’influence océanique, dans l’Anti-Atlas occidental se fait sentir sur une frange côtière limitée, à l’est, par le méridien d’Ifrane.

Trois facteurs interviennent dans la répartition des précipitations (P. Oliva, 1972) :

- La position de la chaîne qui se traduit par la diminution rapide des précipitations vers le sud et l’est.

- L’étagement des reliefs, en bandes parallèles à la côte, permet un accroissement pluviométrique moyen de 9,5 millimètres pour 100 mètres.

- Le rôle de barrière des montagnes constituant autant d’obstacles qui arrêtent les précipitations venues de l’Atlantique. Il en résulte une dissymétrie pluviométrique nette de part et d’autre des lignes de crêtes nord-sud entre les versants ouest exposés aux vents pluvieux et les versants est et sud-est en position d’abri et soumis aux souffles brûlants du Sahara.

Dans l’Anti-Atlas occidental, les stations sont assez nombreuses mais mal réparties et les relevés disponibles sont souvent discontinus. Les moyennes pluviométriques ne rendent pas compte d’une variabilité interannuelle considérable.

Par exemple, aux Aït-Baha, la moyenne de 1933 à 1968 (295 mm) cache un minimum de 101 millimètres en 1960 et un maximum de 633 millimètres en 1955. Sur le littoral atlantique, la rosée et les brouillards abondants, liés au courant des Canaries, modifient notablement le total des précipitations et entraînent une relative humidité de l’atmosphère. Aucune évaluation exacte de ces précipitations occultes n’a été faite. On estime cependant leur total à environ 120 millimètres par an.

Le climat semi-aride de la côte atlantique et des premiers contreforts occidentaux des massifs devient de plus en plus saharien vers l’est. Les données sont inexistantes dans l’Anti-Atlas central mais la répartition des espèces végétales et des sols montre bien la lente aridification du climat. A l’est de la Tarhia du Dra, les sommets du jbel Sarhro reçoivent encore environ 250 à 300 millimètres de pluie. A Boumalne du Dadès (1 346 m d’altitude), les précipitations moyennes sont de 250 millimètres. Le nombre de jours de pluie est faible : 20 à 40 en montagne. Le régime pluviométrique est simple, caractérisé par un maximum d’automne-hiver et un minimum d’été.

Les régimes thermiques présentent un profil exactement inverse qui s’accuse en fonction de la continentalité. En montagne, les maximums sont modérés (30° environ), en revanche les hivers sont rigoureux. Durant l’hiver 1955-56, il y a eu 22 jours de gel à Boumalne du Dadès. A Iknioun, à 1 991 mètres d’altitude il est vrai, il a été compté 27 jours de gel en décembre 1955.

Sur les bordures de la chaîne, le climat est plus clément mais plus aride avec des précipitations plus irrégulières, en particulier sur la retombée saharienne où elles sont inférieures à 100 millimètres (Agdz 90, Tagounite 75, Zagora 50).

Jbel Sarhro. Amalou n-Mansour. Photo J. Riser.

Amalou-n-Mansour

Massif du Bou Gafer. Photo J. Riser

Massif-du-Bou-Gafer

La « crosse » du Bani. Jbel Ouamerzemlala. Photo J. Riser.

Jbel-Ouamerzemlala

Le Jbel Bani au sud de Zagora. Photo J. Riser.

Jbel-Bani

Les températures d’été, en revanche, sont très élevées (moyenne de juillet à Tagounite 45°, maximum à Zagora 52°). Ainsi, sur l’ensemble de l’Anti-Atlas, les conditions climatiques, à des degrés divers, sont très contraignantes et influent sur la répartition de la végétation.

Étages bioclimatiques et végétation : l’empreinte de l’aridité

Les étages bioclimatiques de l’Anti-Atlas se classent en fonction de l’éloignement par rapport à l’océan, de la latitude et de l’altitude. L’Anti-Atlas occidental est caractérisé par l’étage saharien à hivers tempérés (moyenne des maximums du mois le plus froid compris entre 3 et 7°) dans les plaines méridionales et intramontagnardes, aride à hivers frais sur les contreforts des massifs (0° <m< 3°). La haute montagne seule se localise dans l’étage semi-aride à hivers froids (m≤0°).                             

En revanche, dans l’Anti-Atlas oriental, la plus grande sécheresse se marque par l’extension, vers le nord, des étages sahariens à hivers frais et tempérés. A ces étages bioclimatiques correspondent des associations végétales parfois très originales (L. Emberger 1936, J.-P. Peltier, 1982). Le désert n’existe en aucun lieu de l’Anti-Atlas et de sa retombée saharienne au sens phytogéographique du terme. Si sévères que soient les conditions naturelles, la périodicité annuelle des pluies permet une végétation permanente même en dehors du lit des oueds (L. Emberger, 1936).

L’étage de végétation méditerranéenne saharienne s’étend sur la retombée sud de la chaîne. Sur sol sablonneux se développent des steppes boisées à Acacia raddiana, sur reg caillouteux, la végétation est très clairsemée, dominée par Anabasis aretioides. Les petites dunes édifiées sur substratum limoneux ou argileux sont peuplés d’Aristida pungens, de Retama reatem, Tamarix articulata, Ziziphus lotus.

Dès qu’on s’élève en altitude s’étend la steppe à armoises (Artemisia herba alba) et alfas

(Stipa, tenacissima) piquetée çà et là de genévriers thurifères (Junipérus thurifera) en haut des versants.

L’étage de végétation méditerranéenne aride est représenté par deux formations qui s’interpénètrent partiellement : l’arganeraie et la steppe à euphorbes.

L’arganeraie est une formation végétale endémique de l’Anti-Atlas occidental. C’est une forêt claire en raison de son exploitation économique intensive. L’arganier (Argania spinosa) gravit toutes les pentes jusqu’à 1 500 à 1 700 mètres d’altitude. Cette limite correspond à un accroissement de l’humidité et à une baisse sensible des températures (J.-P. Peltier, 1982). Il ne dépasse pas, à l’est, la dépression du Kerdous car, au-delà, les précipitations sont trop faibles et les températures hivernales trop rigoureuses. Sur le versant sud de la chaîne, il atteint sa limite orientale à l’oued Akka, et il se localise alors dans les ravins et le lit des oueds (L. Emberger 1936). La steppe à euphorbes est étendue et comporte deux espèces principales. L’euphorbe cactoïde (Euphorbia echinus), au port en coussin, est très répandue. Tous les types de sols, sauf les sols sableux paraissent lui convenir. A l’est et au sud de l’Anti-Atlas, elle constitue la dernière formation végétale couvrante. Dans le massif d’Ifni, elle est associée à l’euphorbe arborescente (Euphorbia régis Jubae), plus exigeante en humidité et constituant des peuplements denses et verdoyants (P. Oliva, 1972).

L’étage méditerranéen semi-aride est caractérisé, dans l’Anti-Atlas occidental, par la callitraie (thuya de Barbarie, Callitris articulata) et la junipéraie à genévriers de Phénicie (Juniperus phoenicea). En revanche, dans le massif du Sarhro, la formation végétale de cet étage est la junipéraie à genévriers thurifères.

La callitraie est strictement liée au climat méditerranéen semi-aride océanique à hivers tempérés. La déforestation opérée par l’homme a entraîné sa rapide raréfaction dans une montagne où le thuya est concurrencé par l’arganier.

Arganier dans l’Anti-Atlas occidental. Photo G. Camps.

Arganier

Euphorbes. Photo E. Laoust.

Euphorbes

La juniperaie à genévriers de Phénicie se rencontre dans les zones où l’océanité du climat méditerranéen semi-aride se teinte de continentalité avec abaissement des températures hivernales. Celle-ci s’étend en association avec le thuya et le chêne vert sur le versant ouest du Siroua et sur quelques sommets de l’Anti-Atlas central (J.-P. Peltier et J. Riser,1974).

La junipéraie à genévriers thurifères est certainement la formation végétale la plus originale de l’Anti-Atlas oriental, où elle est bien adaptée aux cieux lumineux, à la longue sécheresse estivale et aux rigueurs de l’hiver. Malheureusement, en dehors de quelques boisements sur le massif escarpé de l’ISK-n-Allah, la junipéraie est victime d’une exploitation désordonnée et abusive, si bien qu’il n’est pas rare de rencontrer des arbres séculaires, énormes, mutilés, ébranchés, brûlés, ne dressant plus vers le ciel que leur squelette tordu et calciné. A la partie supérieure de cette junipéraie s’observe, sur quelques sommets (Siroua par exemple), la pelouse à xérophytes épineux constitué presque exclusivement de plantes en coussinets comme le buplèvre (Bupleurum spinosom, J.-P. Peltier et J. Riser, 1974).

L’Anti-Atlas avant les Berbères

Le peuplement de l’Anti-Atlas avant l’arrivée des Berbères est mal connue. Il semble que la montagne pauvre et froide n’ait pas été très fréquentée aux temps préhistoriques. Dans l’Anti-Atlas oriental, par exemple, les découvertes ont été rares : quelques pièces de facture acheuléenne dans les hautes plaines du Sarhro. Toutefois des gisements de surface, plus abondants, ont été découverts dans le sillon sud-atlasique ; M. Antoine avait signalé dès 1933, puis décrit, le gisement de la moyenne terrasse de l’oued Ouarzazate à Ouarzazate. Il considérait cette industrie comme un faciès local de l’Acheuléen saharien. La Pebble culture et l’industrie acheuléenne sont surtout répandues sur les regs de la retombée saharienne. De véritables ateliers de taille ont été décrits au débouché des foum et le long des vallées. G. Mortel mans, G. Choubert et H. Hollard (1952) signalent sur le reg, à 30 kilomètres à l’est de Foum-el-Hassan, de nombreux restes d’industries préhistoriques. Les uns s’apparentent à « une expression évoluée de la Pebble culture » (p. 1681) tandis que d’autres seraient de l’Acheuléen évolué.

Le grand site de surface de l’oued Neffid, sur les terrasses du Pléistocène moyen de la vallée de l’oued Draa est aussi un exemple de l’Acheuléen du Sud-Marocain à affinités sahariennes (G. Camps et J. Riser, 1978).

Le Paléolithique moyen n’a pas livré de traces notables. Il faut attendre le Néolithique pour voir se multiplier des manifestations précises de l’occupation humaine : tessons de poterie sur les basses terrasses limoneuses mais surtout nombreux sites de gravures rupestres.

Il faut distinguer les gravures polies des images piquetées dites libyco-berbères. Les sites de gravures polies sont aussi situés sur la retombée saharienne : Akka-Tata, vallée de l’ouest Mird, région de Tazzarine et d’Aït-Saadane (A. Simoneau, 1969).

Les gravures piquetées dont l’âge se situe, semble-t-il, au début de l’ère chrétienne, sont, elles aussi, localisées sur la retombée saharienne et les sites les plus importants sont ceux de la vallée du Draa.

Les Berbères de l’Anti-Atlas

Depuis environ trois millénaires, l’Anti-Atlas est peuplé de Berbères. A l’ouest les Chleuhs parlant le dialecte tachelhit sont des sédentaires céréaliculteurs et arboriculteurs. De nombreuses confédérations de tribus se partagent le pays Chleuh. L’histoire de leur évolution est mal connue mais de tout temps, et jusqu’à l’installation du Maghzen, on a assisté à la migration des habitants de la montagne vers les plaines de piémont. Tous ces mouvements de population étaient motivés par des conditions démographiques et économiques. Ainsi, la recherche de terrains de parcours et de cultures a incité les groupes humains à quitter la terre de leurs ancêtres « poussés par les mêmes nécessités, ceux qui restèrent en vinrent, par la suite, à de fréquentes razzias dans les plaines » (R. Belmas Fort, 1961, p. 41). Pour faire face à la menace de l’ennemi, les tribus des plaines contractèrent d’éphémères alliances. Cette insécurité est à l’origine de l’aspect fortifié qu’ont pris, dans ces régions, douars et kasbas.

Gravure rupestre d’Ihrir n’Irhaaïn. Photo A. Simoneau.

Gravure-rupestre-d’Ihrir

L’Anti-Atlas oriental est, au contraire, occupé par la puissante confédération des Aït-‛Atta, peuple d’éleveurs transhumants. L’hiver, ces semi-nomades campent avec leurs troupeaux sur le versant sud du Sarhro ou dans quelques vallées abritées aux sources pérennes, dès la fin du printemps, ils commencent une transhumance vers les alpages du Haut-Atlas : les tichkas (tiška).

Pendant la période historique, la montagne anti-atlasique isolée est restée étrangère aux destinées des grandes dynasties marocaines. Cet isolement superbe, à caractère féodal, s’est poursuivi alors que le Maroc était presque entièrement sous la domination française.

En effet, il faut attendre la dernière étape de la conquête pour voir le jbel Sarhro finalement soumis. En 1926, de vastes régions échappent encore à la domination du Maghzen : le Tafilalt, le Haut-Atlas central et oriental, l’Anti-Atlas dans son ensemble. De 1931 à 1934, la conquête de ces bastions isolés est entreprise. En 1931 est décidée la création du commandement des « confins marocains » chargé de conquérir le Tafilalt.

Avant de l’attaquer, les oasis septentrionales sont occupées (novembre 1931).

Intérieur de l’agadir de Fri-Fri. Photo G. Camps.

 

En janvier 1932, le Tafilalt est investi après de durs bombardements. Au début de 1933, le jbel Sarhro est le théâtre de combats acharnés surtout dans le massif du Bougafer, symbole de la résistance à l’envahisseur.

De tout temps la vaste confédération des Aït-‛Atta est restées indépendante et les tentatives pour la soumettre furent très éphémères ou se soldèrent par de graves échecs pour le Maghzen. Un dicton populaire Aït-Atta dit : « Le père ‛Atta a juré qu’il ne paierait pas (sous-entendu, l’impôt), même si le Sarhro devenait une plaine. »

Au moment où se sont achevées les opérations de 1932 sur le pourtour du massif, la majeure partie du territoire de la confédération est contrôlée par les troupes françaises.

Les Aït-‛Atta ont perdu alors la domination sur les oasis du Dra, du Todhra, du Tafilalt et du Ziz. Une bonne partie de la population s’est soumise de gré ou de force, mais les factions qui résident dans le Sarhro manifestèrent toujours à l’égard des Français une farouche hostilité.

Sous la direction des généraux Catroux et Giraud, la conquête des hautes terres du Sarhro commence le 13 février 1933. La stratégie était de couper les retraites aux différents groupes de résistants repliés dans les vallées profondes et les massifs escarpés.

Dès le 13 février, les opérations s’engagent difficilement et les troupes françaises essuient plusieurs revers. L’encerclement du massif est mal coordonné dans un terrain où les assaillants piétinent sous le feu des tireurs Aït-‛Atta embusqués. Du 21 au 25 février, malgré le courage des assaillants, les Aït-‛Atta du Bougafer restent maîtres du terrain.

Du 25 au 27 février, le capitaine de Bournazel, figure à jamais légendaire de la conquête du Maroc, arrive à prendre pied sur le versant est du massif. L’action de l’aviation, le renforcement de l’artillerie et le resserrement du blocus oblige, le 26, une partie des défenseurs à entamer des négociations mais le même jour, les plus irréductibles ayant eu gain de cause, il fallut, provisoirement, abandonner tout espoir de paix.

La journée du 28 fut la plus rude de toutes. Les tentatives des troupes françaises pour investir les fameuses aiguilles du Bougafer échouèrent et le capitaine de Bournazel trouva une mort héroïque au cours de ces combats.

Le mois de mars fut celui des négociations qui aboutirent le 25 mars à la soumission des derniers résistants du Bougafer commandés par Asso ou Beselham.

La soumission des Aït-‛Atta du Sarhro eut un grand retentissement ; les tribus encore insoumises et qui n’attendaient qu’un nouvel échec des Français pour reprendre les armes abandonnèrent leur belliqueux projet et se rallièrent au Maghzen entre avril et mai (J. Saulay, 1983).

L’organisation du pays, enfin pacifié, plaça le Sarhro sous l’autorité administrative du territoire de Ouarzazate et un poste des affaires indigènes fut créé à Iknioun qui reste, encore actuellement, le chef-lieu du Sarhro et le seul souk de la montagne.

L’année 1934 voit l’achèvement de la conquête par les opérations des unités motorisées lancées dans le désert entre Tindouf et la Mauritanie (J. Brignon et al, 1967).

Étude régionale : l’emprise du milieu physique

A travers l’étude des caractères physiques et humains de cette chaîne, quatre régions principales peuvent être distinguées : l’Anti-Atlas occidental, l’Anti-Atlas central et le volcan du Siroua, le jbel Sarhro et l’Ougnate, enfin la retombée saharienne.

L’Anti-Atlas occidental se décompose en trois régions : le massif d’Ifni, le plateau des Akhsass et les boutonnières du Tazeroualt et du Kerdous.

Le massif d’Ifni associe la steppe à euphorbes et l’arganeraie. Sur les croupes et les collines, la roche est rarement visible, masquée le plus souvent, par des manteaux d’altérite.

Le littoral, long d’une centaine de kilomètres, est escarpé. Il est caractérisé par une plateforme littorale suspendue d’une quarantaine de mètres au-dessus de la mer qui l’entaille en falaises vives frangée par une barre continue et tumultueuse. Cette plate-forme est une surface d’abrasion marine ancienne (charnière Tertiaire-Quaternaire, Maghrébine). Elle est continue et horizontale entre Mirleft et l’embouchure de l’oued Assaka. En revanche, dans sa partie méridionale, entre cette embouchure et Ras Takomba, elle est affectée de fractures et de basculements prouvant des rejeux tectoniques récents post-moghrebiensis.

Le plateau des Akhsass est façonné dans les calcaires et les dolomies de l’Infracambrien.

Quelques formes karstiques mineures comme les lapiez ou les collines s’observent. Ces dernières sont cultivées en bour (cultures sèches). Les champs d’orge sont complantés d’arganiers et d’amandiers.

Dans les boutonnières du Tazeroualt et du Kerdous, les modelés des granites font l’originalité des paysages : inselbergs, pinacles, chicots, chaos de boules de granite, plaines tapissées d’arène.

Bien que les conditions naturelles soient difficiles, la densité de la population est élevée.

La paysannerie sédentaire est plus nombreuse sur les versants tournés vers l’Atlantique où les pluies, plus abondantes, autorisent des cultures sèches. Les pentes sont admirablement aménagées en terrasses de culture retenues par des murettes de pierre qui s’élèvent jusqu’au sommet des versants. Ces aménagements séculaires suivent les courbes de niveau et épousent parfois le contour exact des affleurements argileux. Dans les vallées, l’agriculture irriguée offre des produits plus variés : figuier, olivier, abricotier, amandier, grenadier, palmier mais aussi maïs et légumes. La plus célèbre de ces oasis de montagne est celle de Tafraoute, prolongée au nord et à l’ouest par la vallée verdoyante des Ameln. Les villages, aux façades vivement colorées, sont blottis dans les palmeraies le long de la ligne de sources naissant au pied de l’imposant escarpement de quartzite rose du jbel Lkst.

L’élevage complète ces cultures. Il porte sur moutons et chèvres élevés autour des villages et que des bergers conduisent à l’estive sur les hauts massifs, en été.

L’aisance de ces villages provient surtout de l’émigration.

O mon époux parti si loin, si loin                                     

Nous fallait-il donc tant d’argent

Avec la santé, et peu de besoin

Pour goûter l’heure qui passe...

O vent de Tizoula, poème berbère de Mririda n’Aït-n-Attik

Les hommes quittent la terre pendant quelques années pour rechercher du travail dans les villes de la côte (Casablanca surtout) ou à l’étranger. Les économies réalisées sont réinvesties ensuite dans les villages sous la forme d’une maison ou d’un commerce.

La beauté des paysages, la mise en valeur agricole exemplaire de ces régions en font un centre de tourisme de plus en plus actif dont la palmeraie de Tafraoute et les villages environnants sont le plus beau fleuron.

L’Anti-Atlas central est constitué de plateaux ondulés, creusés de vallées profondes et de petites plaines où affleurent des roches métamorphiques et des granites. Ces plateaux steppiques sont parcourus par des troupeaux d’ovins et de caprins. Les quelques cultures irriguées se concentrent dans les vallées et les plaines où les sols maigres et le climat rigoureux ne favorisent guère l’agriculture. Dans la plaine des Zenaga, la fabrication des tapis dits de Tazenarkt est de plus en plus active. Les ouvrages aux couleurs vives, aux rouges et aux oranges chauds alliés à des noirs profonds sont vendus sur place mais aussi à Ouarzazate et à Marrakech.

Au-delà de la grande cluse de la Tarhia du Dra, s’étend la chaîne du Sarhro et de l’Ougnate. Le pays est peu peuplé. Seules les rares vallées et les plaines granitiques sont occupées par des paysans sédentaires. Les cultures d’orge, de blé de printemps et les quelques potagers se concentrent le long des ruisseaux bordés de peupliers.

L’élevage ovin et caprin est la seule ressource agricole de cette montagne. Les troupeaux appartiennent à la confédération des Aït-‛Atta qui, en hiver, campent dans le Sarhro ou sur sa retombée saharienne. Leurs tentes se blottissent dans les ravins à proximité des puits et des sources. En été, bêtes et gens remontent lentement vers les tichkas du Haut-Atlas central.

Le socle du Sarhro recèle des ressources minières variées : argent (Imiter, 38, 35 tonnes), cobalt (Bou-Azzer), cuivre aurifère (Tiouit, 2 500 tonnes), cuivre (Tizi-Moudou, 1 700 tonnes), nickel, plomb (statistiques 1986). Leur exploitation a connu, au cours des dernières décennies, des crises et des regains d’activité. En ce moment, elle se trouve dans une phase de développement par la volonté du gouvernement marocain.

La prospection et l’exploitation minière ont permis l’aménagement des pistes, la mise en place de réseaux électrifiés locaux, la construction d’installations industrielles sur le carreau des mines. Cette activité est devenue une source appréciable de revenus pour les habitants de la montagne.

Potier de Timit (Jbel Sarhro). Photo G. Camps.

 

Sur le marché de Tiznit (Anti-Atlas occidental). Photo G. Camps.

 

La retombée saharienne de l’Anti-Atlas est caractérisée par un relief plissé de type appalachien façonné dans les schistes, grès, quartzites du Paléozoïque. Les formes structurales sont amples et harmonieuses : vastes cuvettes synclinales de Tarhjicht ou du jbel Taiert, synclinal perché du jebel Kissane, crêt majestueux du Bani, escarpements rectilignes de l’accident majeur de l’Anti-Atlas.

C’est aussi le domaine des oasis nichées dans les vallées descendues du Haut-Atlas comme le Draa et ses affluents et le Rheriss au Tafilalt. Les parcelles, au sein de la palmeraie, sont minuscules (quelques dizaines de m2), limitées par des murettes en pisé. La terre est retournée à la houe et les cultures sont intensives : céréales d’automne (blé ou orge) et de printemps (maïs), légumes variés. Ces cultures prospèrent à l’abri des arbres fruitiers : oliviers, amandiers, figuiers, abricotiers, grenadiers et palmiers dont les dattes sont la source d’un actif commerce local.

Les oasis sont donc des îlots favorisés où les groupes humains se sédentarisent très tôt ; berbères et anciens esclaves noirs : les haratines. Sur ces sédentaires, la pression des nomades berbères ou arabes a toujours été forte. « Elle s’est traduite par des heurts qui ont souvent nui à la mise en valeur des oasis ; les nomades imposaient tribu ou confisquaient la terre » (J. Martin et al. 1964). De nos jours, ces luttes ont disparu mais la vie du nomade est restée liée à celle de l’oasis où il conserve quelques champs qu’il cultive lui-même ou qu’il fait exploiter. De ces contacts entre sédentaires et nomades, dans l’isolat que constitue l’oasis, découle l’extraordinaire complexité du peuplement.

Le souci de mettre en valeur et d’intégrer le domaine des oasis dans l’économie générale du Maroc a conduit à la domestication des oueds impétueux descendus du Haut-Atlas et, à cet effet, deux grands barrages ont été construits : Mansour Eddabhi sur le Draa et Hassan Addakhil sur le Ziz. Ils ont permis le développement de l’irrigation, même sur des regs autrefois stériles et on assiste, à l’extrémité orientale de l’Anti-Atlas, à l’installation de fronts pionniers locaux au détriment du désert. Ces grands ouvrages, pourtant, ne sont pas sans poser des problèmes économiques et sociaux préoccupants : envasement rapide, évaporation intense, alimentation défectueuse des nappes phréatiques à l’aval des ouvrages, problèmes économiques, politiques, sociaux, juridiques posés par le recasement des populations dont les terres ont été noyées par les retenues. Toutefois, la main-d’œuvre nécessaire à la construction des ouvrages, aux aménagements hydrauliques et à leur maintenance, la fixation, sur les périmètres irrigués, des populations locales, la commercialisation des produits auxquels s’ajoutent les activités touristiques et de service ont entraîné l’essor spectaculaire des deux villes les plus proches de l’Anti-Atlas :

Ouarzazate au nord-ouest du Sarhro et Errachidia à l’extrémité orientale de la chaîne.

Conclusion

Le Maroc conserve une forte minorité berbère solidement implantée dans les grands massifs montagneux comme l’Anti-Atlas. L’isolement, dit-on, a permis aux traditions — coutumes et langue berbères — de se maintenir plus longtemps ici que dans les plaines où l’arabisation s’est plus facilement répandue. L’exemple de l’Anti-Atlas est probant.

Le développement économique actuel du Sud-Marocain, l’émigration, l’essor du tourisme menacent le vieux fond berbère. Cependant ces activités ne pénètrent que très lentement au coeur des massifs. Au contact des paysans hospitaliers de ces montagnes, on devine leur farouche indépendance et leur volonté de conserver leur culture.

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Mots-clés : Géographie, Histoire, Maroc

Source web Par : J. Riser

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