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PATRICK SIMON EN A FAIT UNE OPPOSITION ENTRE "OBSOLESCENCE ET DISRUPTION"

Par Mohamed Berriane

Professeur émérite de géographie Académie Hassan II des sciences et techniques

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 Rabat, Marocmohamed.berriane@yahoo.fr

Résumé :

Le tourisme étant l’unique produit de consommation pour lequel le client/consommateur doit se déplacer pour consommer sur le lieu de production, l’interruption brutale des circulations nationales et internationales due à la crise de la COVID-19 s’est traduite par un arrêt brutal de l’activité, alors que le manque à gagner en termes de balance des paiements, d’emplois et contribution à l’économie en général est très important, surtout pour des pays comme le Maroc où l’activité a un poids considérable dans l’économie et la société. L’article privilégie pour le cas du Maroc l’hypothèse que la crise n’a pas seulement mis le tourisme à l’arrêt depuis le 20 mars, mais qu’elle a aussi révélé ses faiblesses structurelles. Il propose de ce fait une réflexion à long terme pour une révision globale du modèle touristique marocain. Pour cela il rappelle les différentes crises qui ont frappé régulièrement ce tourisme, avant de s’arrêter sur ses principaux points faibles, que la crise a révélés et accentués, pour ensuite entrevoir quelques pistes pour revisiter ce modèle touristique. Dans cette révision, la demande domestique devrait être placée au centre du dispositif au lieu d’être toujours considérée comme un simple palliatif.

Mots clés : Maroc, tourisme international, tourisme domestique, COVID-19, crise.

Abstract :

Moroccan tourism after COVID-19 : A simple revival of activity or a majoroverhaul of the tourism model?

Since tourism is the only consumer product for which thecustomer/consumer has to travel to consume at the very place of production, the suddeninterruption of national and international circulation due to the COVID-19 crisis resulted in a brutal halt of tourism activity. The shortfall in terms of balance of payments, jobs, andcontribution to the economy in general is very important, especially for countries like Moroccowhere the activity has a considerable impact on the economy and society. The article arguesthat, in the case of Morocco, the crisis has not only put a stop to tourism since March 20, it hasalso revealed its structural weaknesses. It therefore offers a long-term reflection for acomprehensive review of the Moroccan tourism model. To do that, the article recalls the different crises that have regularly struck Morocco’s tourism industry, before turning to the main weaknesses that the crisis has revealed and emphasized. It then suggests some ways torevisit this tourism model, arguing that the domestic demand should be placed at the centre ofthe model instead of always being considered a simple palliative.

Keywords : Morocco, international tourism, domestic tourism, COVID-19, crisis.

Introduction

Il est admis que, partout dans le monde, le tourisme a été parmi les secteurs les plus touchés par la crise sanitaire de 2020. Étant l’unique produit de consommation pour lequel le consommateur doit se déplacer pour consommer sur le lieu de production, l’interruption brutale des circulations nationales et internationales s’est traduite par un arrêt de l’activité. Or , le manque à gagner est très important, surtout pour des pays comme le Maroc où l’activité a un poids considérable dans l’économie et la société. C’est ainsi que, selon diverses sources, le tourisme serait au Maroc le deuxième secteur contributeur au produit intérieur brut (PIB) et créateur d’emplois. Il a généré des recettes de73,1 milliards de dirhams (DH) 1 en 2018, ce qui correspond selon l’Office des changes à 18 % des exportations des biens et services de la même année. Il est l’un des premiers contributeurs à la balance des paiements, a représenté 6,8 % du PIB en 2018 et généré 548 000emplois directs, soit près de 5 % de l’emploi, dans l’ensemble de l’économie.

Il va de soi qu’à la veille d’une sortie du confinement annoncée, les réflexions, les débats, les

Scénarios et les plans se multiplient quant au tourisme de l’après -COVID-19. Cependant, ces réflexions et propositions tournent toutes autour de la relance du secteur dans l’immédiat, soit à court terme (comment organiser les établissements sur le plan sanitaire), soit à moyen terme (quelles actions entamer et quel segment cibler pour faire revenir les touristes). Or, pour le Maroc, on peut faire l’hypothèse que la crise qui a frappé la planète n’a pas seulement mis le tourisme à l’arrêt depuis le 20 mars, mais elle a aussi révélé les faiblesses structurelles de cette activité économique. Il faut donc aussi une réflexion sur les suites à long terme. Ne faut-il pas mettre à profit cette pause imposée pour non pas réfléchir aux seuls moyens de relancer le secteur dans l’immédiat, mais revoir de fond en comble le modèle du tourisme que le Maroc a choisi dès les années 1960, en se plaçant sur le marché du tourisme international ? Car bien avant le COVID-19, le modèle touristique marocain, qui est le même tout autour du bassin méditerranéen, a donné de sérieux signes de vieillesse. Cela vient en partie du fait que le produit offert, les aménagements et le fonctionnement ne tiennent plus compte des mutations du tourisme international dit postfordiste. La question qui se pose alors est : Après cette pause forcée, le Maroc doit-il continuer à suivre le même modèle touristique ou bien doit-il se contenter de relancer simplement l’activité en utilisant des palliatifs à chaque baisse et attendre la prochaine crise ? Pour y répondre, nous proposons une démarche en trois temps. En premier, il faut rappeler que si la crise actuelle est inédite, il y a eu durant toute l’histoire du tourisme marocain moderne une succession de crises qui se sont traduites toujours par des baisses plus ou moins importantes. Ces crises étant toutes liées au fait que le modèle touristique marocain est fortement dépendant d’une clientèle étrangère, la seule solution préconisée à chaque fois recourt à la demande interne, toujours utilisée comme substitution. Et cette fois-ci encore on ne déroge pas à la règle. Or, cette demande domestique, bien réelle, doit être conçue dans le cadre d’une révision globale du modèle touristique marocain et non comme un simple palliatif à l’occasion de chaque crise.

Ce modèle souffre de nombreux handicaps que la crise a révélés et accentués et la deuxième Un euro équivaut à 10,8 dirhams (DH) (cours du 20 juin 2020).

Partie de cet article s’arrêtera sur l’analyse de ces handicaps avant d’entrevoir, dans une troisième partie, quelques pistes pour revisiter le modèle touristique marocain.

La forte volatilité du tourisme La succession régulière de crises

Le coup d’arrêt qui affecte le tourisme à la suite de la crise de la COVID-19 est d’une violence sans précédent. N’empêche que cette activité a toujours été très sensible aux turbulences et aux événements, qu’ils soient D’origine interne ou externe. Cela est dû au fait que le touriste, importateur de ce service, doit se déplacer sur le lieu de sa production pour le consommer. Or, le Maroc, en raison de sa situation géographique, comme les autres destinations méditerranéennes du sud et de l’est, se trouve en première ligne de contact entre l’Europe et les civilisations orientales et fait donc l’objet de tensions vives. De ce fait, le rythme des arrivées des étrangers dans ces pays est extrêmement irrégulier et saccadé. Trois types de conjoncture s’affectent le tourisme marocain :

Les conflits sociaux et l’instabilité politique ; le terrorisme et l’insécurité ; et le ralentissement économique et le chômage. Ces événements ne sont pas obligatoirement localisés au Maroc en tant que destination. Ils peuvent concerner d’autres destinations (pays arabes lors des événements de 2011) et le terrorisme peut affecter d’autres pays de la région (Tunisie, Turquie). La perception et l’image des destinations du sud ou des pays arabes étant souvent indifférenciées chez les touristes européens, les turbulences d’une destination, même éloignée, se traduisent par une chute des arrivées dans d’autres destinations, même les plus stables et les plus sûres. Enfin, les crises économiques qui frappent l’Europe entant que foyer émetteur d’une demande touristique internationale agissent aussi sur sa baisse.

L’examen des statistiques touristiques officielles du Maroc révèle une croissance relativement rapide à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Cependant, dès 1973, l’évolution des arrivées va être marquée par de très fortes fluctuations.

Figure 1 : Évolution des arrivées des touristes étrangers en séjour au Maroc

Sources : Elaboration personnelle à partir des données du Ministère du Tourisme et de l’Observatoire du tourisme.

Par le bas, évolutifs et tenant compte des vulnérabilités qu’accusent les dérèglements climatiques. Or, justement, à côté des destinations classiques, fruits des politiques publiques, l’arrivée d’une demande spontanée souhaitant sortir des sentiers battus et l’organisation d’une offre émanant des acteurs locaux pour y répondre disséminent déjà un peu partout au Maroc un nouveau tourisme. On assiste, de ce fait, à la construction dans des régions périphériques de nouvelles destinations touristiques non programmées par les politiques publiques (Oussoulous, 2019 ; Oussoulous et Berriane, 2020). La montée de ce nouveau tourisme pourrait, justement, soulager quelque peu les effets négatifs des fortes concentrations mises en évidence plus haut. En effet, même si elle se fait en marge des politiques publiques, la tendance à l’émergence de ces nouvelles destinations du tourisme rural tend à disséminer davantage le tourisme dans les espaces les plus lointains et à réduire quelque peu les grandes densités du tourisme balnéaire. Et si les politiques publiques se décident à S’appuyer sur ces tendances, elles pourraient proposer une alternative aux fortes densités et à la promiscuité que met à profit le virus pour se propager. Cela rendra un peu plus sûr et un peu plus attractive la destination Maroc. Si elles rassurent, ces constructions spontanées et dispersées souffriront cependant d’une sérieuse vulnérabilité. Il s’agit des insuffisances criantes dans l’encadrement sanitaire au Maroc en général et en milieu rural en particulier.

En général, dans les villes touristiques, le touriste en cas d’ennuis de santé s’adresse aux cabinets de la médecine privée et non aux structures hospitalières publiques. Mais, outre le fait que le milieu rural est très peu doté en médecins privés qui préfèrent ouvrir leur cabinet en ville, les crises sanitaires comme celle de la COVID-19 nécessitent une prise en charge hospitalière. Finalement, si le tourisme de demain doit cohabiter avec un ou plusieurs virus, la faiblesse des infrastructures sanitaires constituera un sérieux point négatif pour le Maroc. Ces nouvelles destinations en gestation ont besoin donc d’un accompagnement de la puissance publique qui dépasse les infrastructures touristiques et embrasse tout le développement en milieu rural du pays, y compris l’encadrement sanitaire. En attendant, il est urgent de réfléchira tourisme de l’après -COVID-19 en s’inscrivant dans cette transition touristique et en travaillant sur la révision du modèle touristique. Cela dit, si parler de transition touristique signifie passer d’un modèle à un autre, le tourisme territorial et durable ne signifie pas sacrifier le tourisme classique tel qu’il a fonctionné jusqu’à maintenant. Le nouveau modèle ambitionne justement de faire cohabiter les deux formes (Torrente, 2016), soit un tourisme de masse qui continuera à entretenir les concentrations déjà mentionnées et un nouveau tourisme territorial qui rééquilibrera quelque peu les retombées sur les arrière-pays.

6 On estime à 1,64 le nombre de personnel médical par 1000 habitants, soit sous le seuil critique de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui est de 2,5. Et la situation en milieu rural est encore plus dramatique.

12Enfin, ce nouveau tourisme devrait intégrer autrement la dimension interne en considérant ses spécificités en termes de modes d’hébergement adaptés et de produits culturels particuliers.

Dans cette conquête de la demande domestique, on peut rebondir sur la tragédie de la COVID-19 qui, ayant obligé les ménages marocains à un confinement de plusieurs mois, développé chez eux un besoin inédit en évasion et en connaissance du pays.

Conclusion

À la veille d’un déconfinement et d’une réouverture des frontières qui se font attendre, plusieurs campagnes publicitaires lancées notamment par l’Office national marocain du tourisme ciblent pour la première fois le touriste intérieur en essayant de le sensibiliser à la connaissance de son pays. Cela d’autant plus que le segment le plus prometteur de la demande intérieure, car disposant des moyens pour partir en vacances, se projette à l’étranger, notamment en Espagne voisine. Mais il est plus qu’urgent de ne plus se limiter à réveiller cette demande interne seulement en temps de crise et de la traiter dans le cadre d’un nouveau tourisme territorial, solidaire et durable.

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Source web par : Mohamed Berriane

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