L’« Achoura », une tradition multiséculaire
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L’« Achoura », une tradition multiséculaire

 

Brahim Hanai,

Enseignant et metteur en scène, CPR,

Marrakech

 

Résumé :

L‘ « Achoura » est une fête initialement juive. Elle deviendra un temps fort du rituel musulman marqué par deux jours de jeûne. A cet aspect religieux originaire vont s‘ajouter des pratiques socioculturelles qui varient dans les pays musulmans selon les communautés chi‘ites et sunnites. Au Maroc, comme au Maghreb, l‘Achoura est davantage associée à la fête. On se recueille auprès des tombes des défunts mais les festivités y ont aussi leur part, notamment pour les femmes et les enfants qui allument des bûchers et sautent par-dessus les flammes dans l‘allégresse. C‘est l‘une des manifestations de ce rituel de l‘Achoura ؽdans la région de Goulmima- que l‘on a choisi pour terrain d‘études en vue d‘aborder l‘Achoura comme pratique spectaculaire.

Introduction :

Sur les pas de Moïse :

Il s‘agit d‘une fête initialement juive. Quand le prophète Mohammed dût fuir l‘adversité des arabes de la Mecque et se réfugier à Médine, il observa qu‘une communauté israélite accomplissait un jour de jeûne le 10ème jour du septième mois. Quand il en demanda l‘explication, on lui répondit que c‘est la Yom Kippour qui commémore la sortie des hébreux d‘Egypte sous la conduite de Moïse afin de fuir l‘oppression du pharaon. C‘est la fête de l‘expiation et du grand pardon. On observe une journée de jeûne et de repos afin de demander pardon à Dieu d‘avoir adoré le Veau d‘or, pendant l‘exode au moment de l‘absence de Moïse.

Une fête différemment célébrée

Alors le prophète Mohammed préconisa le jeûne pour les musulmans. Et pour éviter toute confusion des deux fêtes juive et musulmane, il préconisa deux jours de jeûne et ce, bien avant que le Coran ne prescrive le mois de Ramadan.

A cet aspect religieux originaire vont s‘ajouter des pratiques socioculturelles qui varient dans les pays musulmans selon les communautés chi‘ites et sunnites. Pour les sunnites, l‘achoura est une fête secondaire. Mais pour les chi‘ites, l‘achoura qui symbolise l‘événement primordial est la commémoration du siège de la faim et de la soif. Il s‘agit de faire remonter à la mémoire ce drame de Kerbala où l‘armée omeyade de Yazid, conduite par Chamr Ben el Jawchan mit à mort après mutilation, Houssein, le petit-fils du prophète qui trouva la mort avec 72 membres de sa famille. La commémoration de l‘Achoura est la commémoration du siège de la soif, du sang et de la soif qui signifie négation de la vie. L‘eau de Zem Zem dont les enfants et les femmes aspergent les passants le jour de la fête serait cette eau qui aurait pu sauver le petit-fils du prophète et ses proches. Achoura serait ainsi une reconstitution de l‘événement primordial que l‘on répéte des siècles après non tel qu‘il s‘est passé mais tel qu‘il aurait dû être. On ressuscite le drame sanglant en événement spectaculaire afin que jamais il ne se reproduise.

L‘Achoura est le deuil que depuis les chi‘ites portent en se flagellant et en se mutilant dans les rues de l‘Iraq et de l‘Iran. Rituel qui a donné naissance à un genre théâtral : le Tazieh.

Une autre interprétation fait remonter les festivités de l‘Achoura et notamment les feux de la chaâla par-dessus lesquels les enfants sautent à l‘épisode d‘Abraham qui a failli mourir dans les feux du bûcher.

Au Maroc, comme au Maghreb, l‘Achoura est davantage associée à la fête. Certes, on y commémore les morts mais pas de façon aussi ostentatoire et sanglante. On se recueille auprès des tombes des défunts mais les festivités y ont aussi leur part. Notamment pour les enfants et les femmes qui clament dans les rues avec youyous et tambourins à l‘appui que l‘Achoura est la fête de la femme. Les enfants allument des bûchers Achchaâla et sautent par-dessus les flammes dans l‘allégresse. Le lendemain, le jour de Zem Zem ؽen référence au puits sacré- on les retrouve dans les rues où avec les femmes ils arrosent les passants. On les gratifie de friandises et de jouets ainsi que monnaie dans leur Tarija (tambourins). En Tunisie, c‘est munis d‘un petit roseau Aâchoura, que les enfants rendent visite à la famille et aux proches pour être gratifiés de friandises et petites monnaie.

Oudayn n taâchourte

C‘est l‘une des manifestations de ce rituel de l‘Achoura ؽdans la région de Goulmima- que j‘ai choisi pour terrain d‘études en vue d‘aborder l‘Achoura comme pratique spectaculaire. Une pratique où l‘essentiel des composantes de l‘événement théâtral est présent. Le choix de ce corpus se justifie aussi par le fait que dans la région de Goulmima, cette pratique se souvient -à sa manière certes-de ses origines juives.

C‘est donc sous l‘angle de l‘Achoura comme pratique spectaculaire que s‘inscrit l‘intervention. L‘angle d‘approche sera « le concept du spectaculaire » et non celui du théâtral. Du moins le théâtral dans la conception que la culture occidentale a fixé.

Il y a recoupement entre le rituel Achoura et le spectaculaire à plusieurs endroits. Les mêmes principes les régissent à peu près : l‘imitation, le mentir/vrai ; la catharsis ; le sens de la démesure, le déguisement, la dérision, le clivage regardant/regardé, la présence de l‘interdit et du tabou.

Comme le dit Alfred Simon, le théâtre advient quand la fête est là. Il advient de la façon dont de plus en plus il commence à s‘absenter de lui-même.

L‘Achoura est une parade spectaculaire qui n‘est pas sans rappeler par plusieurs aspects les processions dionysiaques qui ont été à l‘origine du théâtre dans sa conception actuelle.

 Les composantes de la parade spectaculaire Achoura :

L’espace:

L‘espace de la parade carnavalesque s‘articule sur trois pôles : le quartier juif, l‘artère principale de la ville et la grande place Le Mellah, espace du déguisement :

Il sert de coulisses aux performers pour leurs préparatifs. C‘est l‘espace du regard de l‘autre ; un regard autre qui ne prête pas à conséquence. C‘est un regard sans autorité et qui ne peut donc ni faire valoir ni sanctionner. Un non-regard devant lequel on peut se déguiser sans crainte.

A signaler que dans d‘autres régions, le déguisement a lieu dans le hammam après un passage par la mosquée.

L’artère principale de la ville :

Une fois le déguisement terminé dans les coulisses du quartier juif, les masques commencent leur parade qui empruntant l‘artère principale de la ville qui les mènera vers la grande place. Le long du parcours, les masques se livrent à leurs danses et à leurs chants. D‘autres masques surgissent des ruelles et ainsi le cortège

des masques prend de plus en plus d‘ampleur.

Arrivés sur la grande place, toute la ville devient une sorte de grand masque carnavalesque.

La grande place :

Une fois arrivés sur la grande place, les performers se répartissent et entament leurs différentes performances. La grande place agit comme une grande scène qui s‘étire et se rétrécit selon les performances des masques. Une scène qui se déplace et déplace ses spectateurs en véritable parcours spectaculaire.

Les performances ne doivent pas dépasser la prière du Moghreb car une croyance dit que si les performers portent leurs masques alors que la nuit est déjà tombée, les masques risquent de leur coller à jamais au visage.

Le déguisement obligé :

Le déguisement se fait généralement dans deux directions : on se déguise soit en juif soit en noir. Deux corps qu‘on emprunte car on ne peut se livrer à une pratique profane ؽ en l‘occurrence la mascarade- sans sortir de son corps. Le passage par le corps de l‘autre joue comme une sorte de déculpabilisation. Les performers se déguisent pour la plupart en deux personnages illustrissimes : Moshé et Behha.

Le déguisement se fait selon plusieurs niveaux :

& Le port de la chéchia - la chéchia du juif qu‘on doit leur retirer, sinon on paie une somme d‘argent.

& La suie qui sert de maquillage et permet de déguiser les traits du performer : le noir réfère à la couleur du deuil. Deuil qui ramène à l‘illustrissime martyr de Karbala.

& Les longues barbes noires qui reconduisent le corps juif et qui permetent au performer déguisé en juif de jouer impunément.

& Les costumes baroques aux couleurs tranchantes. Les couleurs doivent jurer entre elles. L‘essentiel c‘est d‘avoir un corps non reconnu, non identifiable et d‘attirer le regard afin de s‘assurer un public lors de la performance

La finalité du déguisement est claire : abolir les frontières entre le sérieux et le ludique, le tragique et le comique, le profane et le tabou. En un mot faire accéder le performer à cette zone où les contraires se répondent.

Les accessoires de la performance :

Comme accessoires, les masques performers utilisent des bâtons, des branches d‘arbre et des ustensiles de cuisine qui servent d‘instruments pour les danses et les chants.

Mais l‘accessoire principal est le masque, un masque souvent hybride et qui est confectionné par plusieurs matières ؽ carton, plastique, légumes…- et avec différentes couleurs. On est loin de l‘esthétique du produit pur.

C‘est ainsi que l‘on a le masque élémentaire fait par une bouteille en plastique et que l‘on trouve au niveau des yeux et du nez. Plus sophistiqué est le masque en plastique que les enfants mettent pour s‘effrayer. On trouve aussi le masque sous forme d‘un simple tissu qui enveloppe le visage avant de finir par le masque aux traits asiatiques. Toutes les formes sont admises à condition de répondre au critère primordial : cacher le vrai visage.

Les masques/performers

Considérer un performer comme un acteur est erroné. En effet, aucun texte n‘est défini au préalable ni la répartition acteur/spectateur ni scénographie ni mise en scène. Est performer celui qui sous le déguisement accepte d‘affronter les aléas de la performance carnavalesque. Le performer est un corps mis à disposition.

Pour cela il doit avoir un certain nombre d‘atouts :

- La présence et le sens de la répartie

- Grande capacité d‘improvisation : un masque qui n‘improvise pas meurt seul sous son masque

- Avoir le sens de la dérision. Le performer se moque de tout et de tous, à commencer par lui-même.

- Capacité de se métamorphoser à plusieurs niveaux : voix, gestuelle. Se métamorphoser notamment en l‘autre : la femme et le juif (ou le noir dans certaines régions). Le performer emprunte la voix de l‘autre afin d‘échapper à la censure et de déresponsabiliser de la virulence et de la violence de sa performance. Le véritable corps du performer a été déposé dans les coulisses du quartier juif. Celui qui parle et agit durant la parade est un corps autre. La violence du discours ne vient pas tellement de son contenu que de l‘indexation de l‘énonciateur. Le discours est moins virulent quand on ignore l‘identité de l‘énonciateur.

- Capacité de chanter et de danser : le performer est un danseur/chanteur. Avant de faire leur apparition, les masques sont d‘abord des chants qui arrivent de loin. Deux chants sont récurrents : celui de hada Aâchor ma aâlina lahkam et Behha la juive capricieuse qui porte l‘éternel enfant de tous.

Et quand ils font leur apparition, les masques sont un seul et grand corps qui danse : déhanchements pour imiter les femmes et les mutilés. On joue la mutilation pour en désamorcer l‘effet nuisible. Catharsis. On joue le corps mutilé pour faire rêver au corps parfait.

La parole masquée :

L‘Achoura est aussi une manifestation socioculturelle. En effet, si les manifestations de l‘Achoura n‘avaient été que de simples parades ludiques, elles n‘auraient pas pu résister à l‘épreuve du temps. Si l‘Achoura est la commémoration d‘un événement douloureux, elle est aussi l‘occasion de manifester un certain nombre de revendications à caractère sociopolitique.

On peut répartir la thématique des performances en quatre thèmes majeurs :

& Revendications à caractère social : la femme insecticide et l‘homme épée de plastique. La femme gagne le duel car dans la réalité c‘est elle la perdante. Il y a aussi cette déclaration révélatrice de cet homme qui avoue attendre Achoura pour pouvoir enfin se déguiser impunément en femme. Il y a les femmes qui dansent en agitant des préservatifs…

& Revendications à caractère politique : les lances en caractères tifinagh

& Recettes et conseils médicaux et paramédicaux : le performer s‘improvise médecin et donne des recettes fictives pour guérir des maladies qui ne le sont pas moins.

& L’éternelle histoire de Moshé et de Behha qui ne met jamais au monde l‘enfant qu‘elle porte dans son ventre et qui se révèle être l‘enfant de tous.

Le spectateur/performer :

Il joue à ne pas savoir. Il joue le jeu et relance sans cesse les masques dans l‘enfer carnavalesque. La non-participation du spectateur équivaut à la mort du performer. C‘est par sa relance constante que le spectateur s‘improvise dramaturge, metteur en scène et partenaire du jeu dans la performance qui évolue dans

l‘ici/maintenant.

Le 30/12/2024

Source Web par : Livre "De l’immatérialité du patrimoine culturel"

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