Recherchez sur le site !
Recherche avancée / SpécifiqueCatégories publications
+ Sciences De La Terre - Archéologie - Astronomie - Spéléologie - Ecologie - Pédologie - Volcanologie - L'hydrogéologie - Géomorphologie - Minéralogie - Pétrologie - Paléontologie - Géologie + Climatologie - Réchouffement climatique - Changement climatique + Plantes - Plantes Aromatiques - Plantes médicinales + Zoologie - Faunes + Botanique - Flors + Sciences humaines - Géo Eco Tourisme - L’anthropologie - L'Histoire - Démographie - Sociologie - Géographie - Patrimoine culturelGéo éco tourisme inclusif
Géoparc et Recherche Scientifique
Le coins de l’étudiant
Blog Géoparc Jbel Bani
Patrimoine culturel immatériel et industries culturelles au Mali
Moulaye Coulibaly,
Directeur National Adjoint du Patrimoine Culturel, Bamako,
Résumé
Pétri de civilisations multiples, le Mali est un pays doté d’un patrimoine culturel d’une extraordinaire richesse et d’une extrême variété tant matérielle qu’immatérielle. Ces traditions se maintiennent et évoluent dans une dynamique de
« Structuration – destructuration et restructuration » selon les exigences des circonstances historiques et les influences parfois agressives des cultures étrangères sans jamais bannir totalement l’identité culturelle. Depuis son accession à l’indépendance, le Mali, à travers les grandes orientations de sa politique culturelle, déploie des efforts constants pour la préservation, la revitalisation et la promotion de l’ensemble des éléments de ce patrimoine culturel malgré le manque de moyens financiers, l’inadaptation de l’encadrement et de la formation, le faible niveau des équipements, le nombre limité d’espaces culturels structurés et l’isolement des acteurs, etc.
1. Introduction
Situé au carrefour du Maghreb et du Golfe de Guinée, héritier de sites archéologiques de toutes les époques de la préhistoire, pétri des civilisations des grands empires (Ghana, Mali, Songhaï), ainsi que des vicissitudes royaumes qui leur ont succédé (Royaumes Bambaras de Ségou et du Kaarta, états théocratiques Toucouleur et Peul, royaumes du Wassoulou et du Kénédougou par exemple) le Mali est un pays doté d‘un patrimoine culturel d‘une extraordinaire richesse et d‘une extrême variété. Le pays doit cette singulière diversité de son patrimoine à la longue présence humaine sur son territoire, depuis le paléolithique supérieur notamment, et à son histoire qui se construit et se reconstruit depuis les grands empires. En accédant à la souveraineté nationale et internationale, le pays prendra le nom de son plus prestigieux empire : l'Empire du Mali (XIe - XVIe S.).
Ce patrimoine culturel unique et exceptionnel de par sa diversité et du point de vue de l‘histoire, de la science, de la pensée et de la technique comprend des sites archéologiques, d‘impressionnants éléments d‘architecture de terre composés de prestigieuses mosquées, de maisons monumentales et de célèbres églises, des lieux de mémoire, des paysages culturels, des routes et itinéraires culturels, ainsi que les biens immatériels à caractère ethnographique et socioculturel.
La situation du pays au cœur de l'Afrique occidentale, et faisant frontière avec sept pays (Mauritanie, Algérie, Sénégal, Guinée Conakry, Côte d'Ivoire, Burkina Faso, Niger) aux configurations géographiques variées faites de savanes, de plaines, de plateaux, de dunes de sable et de montagnes, lui confère de pittoresques paysages naturels associé parfois à des pratiques cultuelles : temples religieux, bois initiatiques et bosquets villageois, mares sacrées, etc.
Des repères historiques ci- haut évoqués, résulte un complexe socioculturel dû aux civilisations sahariennes, soudano sahéliennes et subsaharienne. Le peuple malien d‘aujourd‘hui résulte d‘un long et dynamique brassage occasionnant la production d‘un patrimoine culturel immatériel opérée par les communautés pour commémorer leur passé et forger leur identité culturelle au fil de leurs mouvements migratoires et des mutations socioculturelles liées à la marche du monde. Chaque communauté se laisse librement aller à ses pratiques rituelles, traditions et expressions orales y compris les langues, à ses représentations et systèmes de connaissances concernant la nature et l'univers, à ses savoirs et savoir-faire.
Estimée, aujourd‘hui, à quatorze millions cinq cents dix-sept mille cent soixante-seize (14 517 176) habitants (4ème recensement général de la population et de l‘habitat, du 1er au 14 avril 2009), la population du Mali se compose de nombreuses ethnies dont les principales du point de vue démographique sont :
- au Nord : les Touaregs, les Maures et les Sonrai ;
- au centre, à l‘Est et à l‘Ouest : les Peuls, les Dogons, les Buwa (Bobo), les Bamanan (Bambaras), les Soninkés (Sarakolés), les Kassonkés, les Miniankas ;
- au Sud et Sud-est : les Sénoufos, les Wassulunkés, les Maninkas (Malinkés).
Il existe plusieurs autres groupes ethniques non moins importants, enclavés ou disséminés au sein des ethnies ci ؽ dessus citées. Tels les Bozo, les Somonos, les Samogos et les Mossis.
2. Patrimoine culturel immatériel au Mali : état des lieux
La position du Mali à la croisée des cultures négro africaines et arabo- musulmanes a favorisé l‘émergence d‘un patrimoine culturel immatériel d‘une immense richesse tant dans sa diversité ethnique que dans la constitution sur le territoire de nombreuses aires culturelles à l‘intérieur desquelles les communautés gardent leurs identités culturelles spécifiques tout en reconnaissant l‘existence des autres groupes et acceptant leurs manières de vivre et de penser. Chaque communauté du Mali est génératrice et productrice d‘un patrimoine culturel immatériel tel qu‘il est défini dans l‘article 2 de la Convention 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel.
Les populations ne manquent pas également de développer autour du patrimoine physique des activités religieuses, socioculturelles et économiques, ponctuées de pratiques rituelles et de manifestations populaires accompagnées de chants et danses ad hoc. Ces traditions se maintiennent et évoluent dans une dynamique de
« Structuration – déstructuration et restructuration » selon les exigences des circonstances historiques et les influences parfois agressives des cultures étrangères sans jamais bannir totalement l‘identité culturelle. Cette façon de concevoir, de vivre et de connaître l‘existence est encore vivace dans toutes les régions du Mali.
Chez la quasi-totalité de nos populations, la connaissance s‘enracine prioritairement dans une sensibilité religieuse prenant comme prétexte l’univers système. Chaque communauté y va de ses traditions et expressions orales, cultes et rites pour fonder ou traduire ses métiers, expliquer sa vie quotidienne, voiler et dévoiler ses secrets, témoigner de ses vertus et de ses défauts, se soigner fut il du fou ؽ rire, rire hilare de la catharsis ؽ et se replonger dans le chaos initial par le culte de la peur, peur de la mort. De la dynamique interne de ces coutumes, liturgies, règles sociales et réjouissances populaires naissent également les principes de modification des systèmes sociaux, ainsi que des mécanismes de rétroaction des individus.
Le patrimoine culturel immatériel va également au-delà des simples formules de définition de ses domaines de manifestation pour donner du sens, de la visibilité, du mouvement et une signification culturelle au patrimoine culturel mobilier et immobilier, et traduire en mots, concepts et règles d‘éthique les systèmes de valeurs sociales (solidarité, liens sociaux et liens avec les ancêtres, organisation sociale).
Malheureusement, aujourd‘hui, ce patrimoine culturel immatériel qui n‘a pas encore fait l‘objet d‘inventaire, est soumis aux menaces des modes de vie contemporains, de certains aspects de la mondialisation, de certaines manifestations de l‘intolérance des religions révélées face aux traditions anciennes et la raison cartésienne qui poussent les communautés à rejeter leur héritage séculaire.
D‘où la nécessité d‘inventorier et de stocker l‘information sur le patrimoine culturel immatériel (pensées religieuses et pratiques sociales des ethnies, genres de l‘oralité) pour les générations futures. Car, ces biens immatériels qui gardent encore leur place de choix dans l‘accès à l‘éducation témoignent d‘un enracinement des traditions locales des populations qui continuent dans une certaine mesure à en faire des modèles de production culturelle contribuant à formater leur identité culturelle dans sa dynamique.
3. Politique de conservation du patrimoine culturel immatériel au Mali
Depuis son accession à l‘indépendance en 1960, le Mali, à travers les grandes orientations de sa politique culturelle déploie des efforts constants pour la préservation, la revitalisation et la promotion de l‘ensemble des éléments du patrimoine culturel national.
Au plan des mécanismes juridiques, on peut noter quelques mesures importantes :
3.1. Textes législatifs et réglementaires :
- Loi N°85-40/AN-RM du 26 juillet 1985 relative à la protection et à la promotion du Patrimoine Culturel National ;
- Loi N°86-61/AN-RM du 26 juillet 1986 relative à la profession de négociant en biens culturels ;
- Loi N°06-041/AN-RM du 11 août 2006 autorisant la ratification de la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée à Paris le 20 octobre 2005 par la 33ème session de la Conférence Générale de l‘UNESCO ;
- l‘Ordonnance N°04-023/P-RM du 16 septembre 2004 autorisant la ratification de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, adoptée à Paris le 17 octobre 2003 par la 32ème session de la Conférence Générale de l‘UNESCO ;
- Décret N°203/PG-RM du 13 août 1985 instituant une Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Culturel ;
- Décret N° 275/PG-RM du 04 novembre 1986 relatif à la réglementation des fouilles archéologiques ;
- Décret N°299/PG-RM du 19 septembre 1986 relatif à la réglementation de la prospection, de la commercialisation et de l‘exportation des biens culturels ;
- Décret N°04-486/P-RM du 26 octobre 2004 portant ratification de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, adoptée à Paris le 17 octobre 2003 par la 32ème session de la Conférence Générale de l‘UNESCO.
3.2. Inscription et classement :
L‘Etat assure la protection de ces biens contre la destruction, la transformation, les fouilles, l‘aliénation, l‘exploitation et l‘exportation illicites par un ensemble de mesures :
- l‘inscription à l‘inventaire (enregistrement des biens meubles, immeubles et immatériels appartenant à l‘Etat, aux collectivités locales, aux associations ou à des personnes physiques ou morales) ;
- le classement (acte par lequel l‘Etat, par voie de l‘inscription d‘un bien culturel dans un registre créé à cet effet, signifie au propriétaire, détenteur ou occupant que ledit bien est d‘un intérêt national.) : Exemple de classement du patrimoine culturel immatériel : l‘Espace culturel du Yaaral et du Degal dans le patrimoine culturel national et sur la Liste représentative du patrimoine oral et immatériel de l‘humanité le 25 Novembre 2005.
L‘adoption par l‘UNESCO de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel le 17 octobre 2003 et de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles le 20 octobre 2005, a jeté les bases d‘une protection juridique de ce volet de l‘héritage des peuples au plan national et international. En effet, le patrimoine culturel immatériel représente une composante essentielle de l‘identité culturelle des peuples.
Voici pourquoi, le Mali a été parmi les premiers pays (15ème pays) à ratifier cette convention qui, pour le Gouvernement, est un instrument multilatéral de sauvegarde et de valorisation du patrimoine culturel immatériel.
3.3. Par rapport aux industries culturelles :
La réglementation du droit d‘auteur, établie par la loi n°8426/AN-RN du 7 juin 1984 fixant le régime de la propriété littéraire et artistique en République du Mali, établit le champ d‘application de la propriété intellectuelle et artistique, en définissant les différents concepts directeurs et les modalités de mise en œuvre : notion d‘auteur, notion d‘œuvre, exercice des droits des auteurs, contrats d‘édition et de représentation, domaine public, durée de la protection, licences de traductions, procédures et sanction, etc.
4. Patrimoine culturel immatériel et industries culturelles
Il est communément admis que l‘une des principales richesses du Mali est son patrimoine culturel tant matériel qu‘immatériel diversifié et sa tradition artistique et artisanale encore vivante et authentique. Fruits d‘un brassage permanent de culture, il s‘exprime dans l‘architecture, la sculpture, l‘orfèvrerie, l‘artisanat et objets d‘arts, mais également la musique, la danse, les comptes, le théâtre, le cinéma et l‘audiovisuel, le livre et l‘édition, le tourisme culturel, les arts vivants, les festivals, la radio, etc.
Ce patrimoine nourrit d‘ailleurs de multiples formes de créativité artistique contemporaine, notamment dans le domaine des arts plastiques, de la photographie, du cinéma et des arts du spectacle, de la mode et l‘artisanat qui font du Mali une terre de dialogue interculturel, de stabilité sociale et l‘un des pôles d‘attraction culturels de l‘Afrique.
La préservation et la mise en valeur du patrimoine culturel immatériel par les industries culturelles constituent une ressource économique et un gisement d‘emplois dont les potentialités, désormais reconnues demeurent encore largement sous-exploitées et insuffisamment mises en valeur. La valeur ajoutée totale de l‘ensemble des secteurs de la culture au Mali s‘élève à 76 milliards de francs CFA. En 2006, ce chiffre représente 2,38% du PIB malien. L‘industrie de la musique, par exemple, génère un chiffre d‘affaires annuel estimé à environ 100 millions € et alimente quelques 3 000 emplois. Avec plus de 2 millions de disques et cassettes vendus chaque année, l‘industrie de la musique se place au troisième rang des services du Mali après l‘émigration et le tourisme dans la participation au produit national brut.
Parmi les formes d‘expressions du patrimoine culturel immatériel dans les industries culturelles au Mali et qui témoignent d‘une grande vitalité culturelle et d‘une ouverture au monde exemplaire, on peut citer entre autres :
Les évènements de dimension internationale :
- La biennale artistique et culturelle ;
- Le festival de théâtre des réalités ;
- Les rencontres de la photographie africaine ;
- Le festival Etonnants voyageurs (festival du livre) ;
- Le festival du désert ;
- Etc.
Les grands traditionalistes du Ouagadou et du Manden et leurs œuvres :
- Kelemonzon Diabaté ;
- Bala Diabaté dit Kela Bala ;
Les œuvres de création artistique et littéraire de tous genres :
- « La ruine de Ghana » de Massa Makan Diabaté, « La légende de Soundiata » et « Si le feu s‘éteignait », recueil de contes et récits épiques du même auteur ;
- « les canaris sont vides » d‘Amadou Koné, œuvre lauréate du huitième concours théâtral inter ؽ africain, Radio France Internationale ;
- « Sia, le rêve du python » création cinématographique sur la légende du Ouagadou Bida du réalisateur burkinabé Dani Kouyaté ;
- « Soundiata ou l‘épopée manding » de Djibril Tamsir Niane ;
- « le maître de parole » de Camara Laye ;
- « Soundiata Keïta, le fondateur de l‘empire du Mali », portrait illustré de celui qui offrit la grandeur au manding, document en ligne de
Hervé Mbouguen ;
- Les nombreuses interprétations de l‘épopée manding par l‘ensemble instrumental du Mali et autres stars de la musique malienne comme Salif Keïta.
L‘analyse des œuvres parcourues nous conforte dans notre approche conceptuelle qui fait du patrimoine un « symbole » et « une dynamique », tous deux, éléments constitutifs de la conscience de soi, de son présent, de son devenir et de son rapport avec les autres.
5. Quelques difficultés des industries culturelles au Mali
- Le manque de moyen financier ;
- L‘inadaptation de l‘encadrement et de la formation ;
- Le faible niveau des équipements ;
- Le nombre limité d‘espaces culturels structurés et l‘isolement des acteurs.
Conclusion
Aujourd‘hui, la mondialisation expose les peuples et les nations à l‘anomie et la pensée unique. Alors, il importe de connaître le patrimoine culturel immatériel dans son extraordinaire diversité et dans son extrême richesse. Le seul moyen pource faire n‘est autre que d‘en faire l‘inventaire et la documentation afin qu‘il soit mieux connu, mieux protégé et générateur de revenus pour les populations locales à travers les industries culturelles.
Cependant, la quête de l‘argent suscite la mise en œuvre d‘activités de tout ordre. D‘où la réalisation des actions suivantes dont :
- L‘organisation de conférences débats et collecte d‘informations à la source par les universitaires ;
- La collaboration entre historiens modernes, Chercheurs et traditionnistes ;
- La mise sur supports informatiques et audiovisuels pour large diffusion au public;
Malgré les handicaps à surmonter, l‘industrie culturelle connaît, grâce aux efforts du Gouvernement du Mali et de ses partenaires techniques et financiers, une évolution positive. Elle offre aujourd‘hui les indices d‘une dynamique émergente, susceptible, si elle est durablement structurée et soutenue, de contribuer de manière significative au développement futur du Mali.
Le 26/12/2024
Source Web par : Livre "De l’immatérialité du patrimoine culturel"