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LES OASIS DE DRAA MOYEN ET MAIDER (MAROC) FACE AUX MENACES ANTHROPIQUES ET NATURELLES : INCENDIES, BAYOUD ET CHARANÇON ROUGE
Faouzi Mustapha
Sociologue/Aménagiste urbaniste, Laboratoire de recherche en sciences sociales à la faculté des sciences
sociales, Ibn Zohr, Agadir Mustaphafaouzi1963@gmail.com/
Résumé
Les oasis du moyen Draa et Maider, situées dans la province de Zagora au Maroc, représentent des systèmes environnementaux mondialement fragiles. Malgré leurs rôles écologiques et économiques cruciaux, ces zones font face à d'importants défis qui mettent en péril leur durabilité.
Les dangers affectant ces oasis sont divers, principalement causés par le changement climatique. Ces dernières années ont été marquées par des changements tels que la diminution des ressources en eau due à la baisse des précipitations, l'augmentation des températures et la désertification. Ces changements entraînent une perte étendue de terres et le déplacement de nombreux habitants locaux. Les risques spécifiques incluent la montée des incendies des oasis et la maladie de Bayoud. De plus, il existe un risque accru de maladies infectieuses émergentes telles que le charançon rouge, observé dans diverses régions marocaines.
Ce document de recherche vise à analyser et évaluer les menaces les plus importantes qui représentent un réel danger pour les oasis du moyen Draa et Maider dans la région de Zagora au Maroc. L'accent est mis sur une compréhension approfondie de ces menaces afin d'établir des bases efficaces pour la préservation de ce patrimoine naturel contre l'extinction.
Mots clés : oasis, palmeraie, palmier dattier, changement climatique, Bayoud, Charançon rouge, désertification, Moyen Draa, Maider, Maroc
Abstract
THE OASES OF MIDDLE DRAA AND MAIDER FACING ANTHROPOGENIC AND NATURAL
THREATS: FIRES, BAYOUD, AND RED PALM WEEVIL
The middle Draa oases and Maider, situated in the Zagora Province, Morocco, represent globally fragile environmental systems. Despite their crucial ecological and economic roles, these areas confront substantial challenges imperilling their sustainability.
The perils affecting these oases are diverse, primarily stemming from climate change. Recent years have witnessed shifts such as diminished water resources due to decreased precipitation, escalating temperatures, and desertification. These changes result in extensive land loss and the displacement of numerous local inhabitants. Specific risks include the surge in wildfires and Bayaoud disease. Moreover, there's a heightened risk of emerging infectious diseases like the red palm weevil, observed in various Moroccan regions.
Introduction
Les oasis sont des zones aménagées par l'homme et exploitées pour l'agriculture au sein de vastes Étendues arides ou même désertiques. Elles constituent des écosystèmes spécifiques adaptés aux zones extrêmement arides (Vidal, 2005), dont la structure dépend principalement des composantes désert-oasis-rivières (Yang et al., 2010). Elles sont présentes dans la plupart des grandes régions sèches du globe, notamment autour du Sahara, dans le Maghreb et le Sahel, au Moyen-Orient, sur la côte ouest de l'Amérique latine et en Asie centrale.
En raison de la diversité des oasis et des différentes définitions qui leur sont attribuées (Lacoste, 1992), il est difficile d'établir précisément leur étendue dans le monde. Néanmoins, il est estimé que près de 150 millions de personnes habitent dans ces oasis. Historiquement, elles ont été principalement établies comme des points de relais le long des routes caravanières et des grands axes d'échanges intercontinentaux (Toutain et al., 1989).
Au Maroc, les oasis doivent leur existence aux montagnes de l’Atlas sur lesquelles elles sont endossées. Ces montagnes se dressent en muraille longue, face au désert et fournissent aux oasis la ressource en eau et les conditions climatiques leur permettant de maintenir, à leur tour, un bioclimat intermédiaire et de constituer par conséquent un espace de transition.
En termes de superficie, les zones oasiennes s'étendent sur environ 32% du territoire national soit 226.583 km2 ; et représentent des écosystèmes naturels d'une biodiversité unique et d’une grande variété de produits agricoles. Ces écosystèmes particuliers jouent également un rôle fondamental de rempart, en luttant contre l’ensablement et la désertification à travers une couverture végétale dense et des pratiques de gestion conservatoire de l’eau et des sols. Par ailleurs, les oasis offrent aussi un milieu de vie pour les communautés locales, avec une organisation sociale, économique et culturelle qui a évolué au fil des siècles, avec près de 2,21 millions de personnes y habitent, soit 6,6 % de la population totale du pays.
Or, depuis plusieurs décennies ces territoires font face à plusieurs mutations néfastes, aux rythmes de plus en plus accélérés, qui se sont traduites par une dégradation manifeste et dangereuse de ses écosystèmes et, comme conséquence, un appauvrissement accru de ses habitants.
Aujourd'hui, ces oasis continuent à faire face à plusieurs défis tant au plan écologique, biologique qu’humain menaçant sérieusement leur durabilité à long terme. D’une part les conséquences du changement climatique qui continue à peser lourdement sur les équilibres écologiques. Les épisodes de sécheresse sont devenus plus fréquents et plus intenses, rendant les oasis de plus en plus vulnérables. D’autre part, les activités d’ordre anthropiques de plus en plus pressantes sur ces écosystèmes fragiles qui se sont accentuées avec la croissance démographique et avec les mutations socio-spatiales qui les transcendent depuis des décennies notamment la décomposition des structures traditionnelles et l’apparition de nouveaux comportements d’appréhension de l’espace. Ce qui induit à la régression des palmeraies et l’invasion du sable corolaire de la rareté de plus en plus accentuée des ressources en eaux.
A ceci s’ajoute l'exposition des palmeraies à des attaques biologiques telles que les maladies et ravageurs (comme le Bayoud et la cochenille blanche).
Toutefois, il existe également des risques d'invasion par de nouveaux parasites biologiques, tels que la menace du charançon rouge. L’invasion de ce ravageur est devenue aujourd’hui une menace sérieuse et redoutable pour les oasis marocaines et surtout pour le palmier dattier, ossature de ces dernières. Mettant ainsi en péril la santé et la survie des palmiers dattiers.
Dans ce cadre et dans le but de répondre à l'ensemble des défis évoqués précédemment, nous restreindrons notre analyse aux risques spécifiques qui affectent les oasis de la vallée de Draa Moyen et de Maider. Nous procéderons à une évaluation de l'état actuel de ces oasis tout en examinant les menaces potentielles susceptibles d'aggraver la situation de ces écosystèmes.
This research paper aims to analyse and to evaluate the most significant threats that pose a real danger to the Midlle Draa oases and Maider in Zagora region of Morocco. The focus is on a deeper understanding of these threats to establish effective foundations for preserving this natural heritage from extinction.
1. Matériels et méthodes
1.1. Approche méthodologique
Notre étude s’est basée sur une approche évolutive. Cette approche a été adoptée pour mener à bien cette étude, visant à dresser l’état actuel des oasis de la vallée du moyen Draa et du Maider dans le temps et dans l’espace afin d’évaluer l’impact des différentes composantes (climatiques, hydriques, biologiques et anthropique) sur ces oasis. Une recherche bibliographique exhaustive couvrant ces différents facteurs sur une période de 20 ans a été réalisée, permettant ainsi d'analyser la situation des oasis et de mettre en lumière les changements de leurs états au fil des années.
Cette recherche bibliographique a été complétée par des visites de terrains et des entretiens avec divers acteurs, comprenant la société civile et les acteurs institutionnels. En outre, des prospections sur le terrain ont été menées et des études institutionnelles ont été capitalisées, dans lesquelles nous avons participé et apporté notre contribution.
De plus, des séries chronologiques des images satellitaires avec des intervalles de 15 ans (de 2009 à 2024) ont été utilisées pour extraire des informations sur l’utilisation des terres et les changements D’occupation des sols dans les palmeraies de la vallée de Draa Moyen au cours des cinquante dernières années.
1.2. Définition de la zone d’étude : Palmeraies de l’espace oasien du Draa Moyen et Maider, province de Zagora
La zone examinée correspond géographiquement au territoire de Zagora, localisé dans le sud-est du pays, avec une étendue de 23.000 km². L’espace oasien de ce territoire se caractérise hydrologiquement par deux bassins versant à savoir :
- le bassin du Moyen Drâa, situé en amont du barrage Mansour Eddahbi et à la moyenne
vallée du Drâa irriguée à partir de ce barrage jusqu’au niveau de M’hamid ;
- le bassin du Maïder, d’une superficie de 7156 Km2, est constitué par le versant sud du jbel Saghro dont le réseau hydrographique est formé par les oueds Taghbalt, Hsia et Msissi.
Les oasis du Moyen Drâa (06 palmeraies) sont localisées dans la vallée du Drâa (fig. 1). Ces palmeraies sont réparties en trois unités suivant leurs caractéristiques :
- Mezguita et Tinzouline : irrigation suffisante, système de production diversifié et intensif, absence de problèmes liés à la salinité des sols et à la désertification ;
- Ternata et Fezouata : système de production caractérisé par la rareté des arbres fruitiers, problèmes de salinité des sols ;
- Ktaoua et M’hamid : problème de salinité des sols, entrainant une diminution des terres cultivées.
Les oasis du bassin Maider sont au nombre de trois palmeraies qui sont N’kob, Tazarine, Taghbalte. Leurs caractéristiques peuvent être résumées dont la rareté de l’eau liée au tarissement des nappes, l’absence d’irrigation à partir du barrage et le problème de la désertification.
2. Résultats et discussions
2.1. Le palmier dattier ossature de l’agriculture oasienne
Nos prospections sur terrain nous ont révélé que, à l’état actuel, la majorité des oasis de la zone d’étude (fig. 1) sont constituées de deux étages de végétation ; les palmiers dattiers occupent l’étage supérieur et les cultures annuelles (céréales, maraichage…) ou pluriannuelles (luzerne…) se développent au niveau du deuxième étage. Ces oasis se caractérisent par l’exigüité des terres agricoles, généralement divisée du 0 à 0,5 hectare par exploitation. Cela est dû à l’accroissement démographique et l’héritage.
En effet, en termes d’importance, le palmier dattier (Phoenix dactylifera L) est l’arbre autour duquel se développent toutes les activités à caractère agricole et agro-industriel au sein de ces oasis. Ce qui permet, en effet, leur existence et leur pérennisation. Sans oublier leur rôle socioéconomique indéniable, représentant ainsi la source principale de revenu pour une large frange de la population grâce à la production qu’il génère et à celle des cultures associées. Il fournit, outre le fruit destiné à la consommation humaine et à l’alimentation animale, divers sous-produits utilisés essentiellement dans l’artisanat, la construction ou la production d’énergie.
Figure 1. Principales palmeraies du territoire de Zagora.
Pour mieux comprendre le rôle socioéconomique du palmier dattier, une consultation des données du ministère de l'agriculture, de la pêche maritime, du développement rural et des eaux et forêts, a été faite. Les palmeraies marocaines s'étalent de manière discontinue sur une ceinture orientée SNE-NSW, de Figuig à Guelmim. Quatre principales zones de cette ceinture comptent 75% des palmiers, il s'agit de : (i) la zone de Figuig ; (ii) la vallée de Drâa (Ouarzazate – Zagora-M'hamid); (iii) la vallée de Ziz et la plaine de Tafilalet (Errachidia - Erfoud - Rissani) et (iv) la zone de Bani (Tata). Le reste des palmeraies sont de superficies variables et sont situées autour des points d'eau (Goulmima et Alnif), en oasis de montagnes (Tinghir) et en zones marginales (Palmeraie de Marrakech).
L’analyse de ces données a révélé que cette culture a pu générer 1 milliard de dirhams de valeur ajoutée, avec plus de 03 millions de journées de travail en 2019. Également, la superficie des terres dédiées au palmier dattier (palmeraies traditionnelles + extensions) a marqué une nette progression de 25% passant de 48 000 ha en 2008 à 60 000 ha en 2019, soit environ 1% de la superficie agricole utile nationale (SAU). La production a, quant à elle, augmenté de 50% passant de 68 000 T entre 2003 et 2007 à 102 000 T entre 2010 et 2019.
Or, les résultats de l’étude du recensement, caractérisation et cartographie des palmeraies traditionnelles marocaines sur la base du système d’information géographique, réalisée par l’agence nationale de développement des zones oasiennes et de l’arganier (ANDZOA) et l’institut national de recherche agronomique (INRA) en 2018, avec notre contribution dans sa réalisation, ont indiqué une superficie globale occupée par le palmier dattier de 75.800 ha avec un total de 6,46 millions de pieds de palmier dattier sur une densité moyenne de plantation de 94 pieds/ha. Sur la zone d’étude la superficie des sept palmeraies s’élevé à 26.015 ha avec 2,57 millions de pieds, soit 40 % du nombre total des pieds de palmier dattier.
D'emblée, les premières observations se manifestent à travers les données statistiques concernant le palmier dattier, particulièrement en ce qui concerne la superficie cultivée, le nombre de palmiers dattiers et le rendement. En d'autres termes, des incohérences ont été relevées entre les chiffres présentés dans les rapports émanant des diverses entités relevant du ministère de l'agriculture.
En ce qui concerne la deuxième observation, il est remarqué que les données statistiques relatives à l'oasis ont tendance à ne pas être régulièrement actualisées. Cette situation découle de plusieurs facteurs qui contribuent à la crise actuelle que traverse l'oasis.
En effet, selon le constat sur le terrain, la situation actuelle est particulièrement préoccupante en raison d'une dégradation alarmante qui se manifeste par le recul des plantations de palmiers, l'invasion croissante du sable, la diminution progressive des ressources en eau en raison de périodes de sécheresse répétées (attribuées aux changements climatiques) et la prolifération anarchique des forages, ainsi que l'exposition à des attaques biologiques telles que les maladies et les ravageurs (comme le Bayoud et la cochenille blanche).
2.2. Evaluation des facteurs de dégradation des oasis de la zone d’étude 2.2.1. Facteurs liés aux impacts des changements climatiques
Pour évaluer la dynamique des changements climatiques, nous avons utilisé une simulation
appliquée sur le Maroc sur les plateformes en ligne: changementclimatique.ma et climexp.knmi.nl. Elles utilisent des modèles et scénarios d’émission préconisés par le Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat (GIEC), que nous avons appliquées au contexte marocain pour obtenir des projections climatiques (fig. 2).
Projections 2080-2100 : température Projections 2080-2100 : pluviométrie
Figure 2. Résultats des projections futurs de la pluviométrie et de la température au Maroc pour la
période 2080-2100.
Source : changementclimatique.ma / climexp.knmi.nl.
D’après ces projections futures, on s’attend raisonnablement à une augmentation des températures et à une diminution des précipitations et une augmentation de leur variabilité. La température moyenne pourrait augmenter de 1.1 à 1.6 °C d’ici à 2030, de 2.3 à 2.9 °C en 2050, et de 3.2 à 4.1 °C en 2080. Au niveau de l’ensemble du pays, les précipitations pourraient diminuer de 14% en 2030, de 13 à 30% en 2050, et de 21 à 36% en 2080.
Ces résultats ont été confirmés par des modélisations du changement climatique appliquées au contexte de la région Draa-Tafilalet (département de l’environnement, 2023). Selon leurs résultats, les scénarios de réduction des émissions des gaz à effet de serre, les plus pessimistes, les températures pourraient augmenter jusqu’à 5°C en moyenne dans la région de Drâa-Tafilalt. La pluviométrie pourrait régresser de 30 à 40%.
Dans ces conditions, le problème de la rareté de l’eau, déjà critique, va aggraver de plus en plus les autres problèmes environnementaux tels que la désertification, la dégradation des sols, la perte de la diversité biologique avec toutes les conséquences humaines que cela pourrait avoir (fig. 3).
Figures 3. Etat actuel des palmeraies de l’aval de la vallée de Draa moyen, territoire de Zagora, site Ktaoua 2022 (à gauche) et 2024 (à droite))
Afin d'illustrer de manière précise et scientifique la situation des palmeraies du territoire de Zagora et les effets des facteurs déjà cités, des séries chronologiques des images satellitaires avec des intervalles de 2009 à 2024 ont été utilisées pour extraire des informations sur le stock d’eau du barrage Mansour Eddahbi ; source principale d’eau d’irrigation des palmeraies du moyen Draa. Les images satellitaires (fig. 4) nous ont permis de calculer approximativement la superficie occupée par l’eau dans ce barrage pour analyser son évolution dans le temps (tab. 1).
Les données recueillies ont mis en évidence une diminution significative du volume d'eau stocké dans le barrage Mansour Eddahbi au cours des dernières années, ce qui est clairement illustré par la réduction de la superficie occupée par l'eau dans le barrage. Entre décembre 2009 et avril 2024, cette superficie a diminué de plus de 53% par rapport à la période de référence de décembre 2009, passant de 52,18 km2 en 2009 à seulement 27,40 km2 en avril 2024. Cette tendance à la baisse s'explique principalement par une série d'années de sécheresse répétées. Les conditions météorologiques défavorables, caractérisées par des précipitations insuffisantes et des températures élevées, ont entraîné une réduction significative du ruissellement et donc du remplissage du barrage. De plus, l'augmentation de l'évaporation (en moyenne entre 2000 à 3000 mm/an (agence du bassin hydraulique Draa Oued Noun)) due aux températures plus élevées a également contribué à la diminution du stock d'eau disponible dans le barrage. En conséquence, cette baisse du niveau d'eau menace la disponibilité des ressources en eau dans la zone d’étude.
De plus, l’analyse de l’utilisation des terres et les changements d’occupation des sols dans la palmeraie de Ternata, qui relève de la zone d’étude, au cours des trente dernières années, avait révélé une expansion significative des terres désertifiées (+168,09%) entre 1991 et 2021 dans cette oasis (Moumane et al.,2022). Les terres cultivées, en revanche, ont diminué de -29,6% dans la même oasis (Moumane et al., 2022). Ce qui a fait ressortir que les oasis de l’aval du barrage ont connu une désertification importante liée aux facteurs humains et naturels, en particulier la sécheresse et l’expansion des zones cultivées dépendantes des eaux souterraines.
Figure5 Evolution de la désertification dans l’oasis de Ternata (Moumane et al., 2022)
Nos résultats de recherche ont mis en évidence un déclin significatif du couvert végétal dans les palmeraies de la vallée du Draa Moyen, en particulier dans la zone avale de la vallée, notamment la palmeraie de Ktaoua. L'analyse des images satellitaires du mois d'avril 2024 ainsi que les visites sur le terrain ont révélé un recul visible de la superficie occupée par la palmeraie (fig. 6). Sur une partie de la palmeraie analysée, couvrant 6131 hectares et représentant 75% de la superficie totale de la palmeraie estimée à 8070 hectares, seulement 1925 hectares restent denses et productifs, soit environ 31% de la superficie. En revanche, une superficie importante, soit 69%, est désormais désertifiée en raison de l'impact de la sécheresse. Cette tendance témoigne d'un changement significatif dans la composition et la productivité de la palmeraie de Ktaoua, avec des conséquences potentiellement graves sur l'écosystème local, l'agriculture et la sécurité alimentaire.
Figure 6. Evolution de la désertification dans l’oasis de Ktaoua ; aval de la vallée de Draa Moyen (avril 2024).
2.2.1.1. Impact sur la disponibilité des ressources en eau.
La détérioration sévère du patrimoine oasien réside en grande partie dans l’exploitation fortement irrationnelle de la ressource en eau, ressource qui se raréfie de plus en plus du fait de cycles de sécheresse plus fréquents résultant des changements climatiques en cours, alors qu’elle est de plus en plus sollicitée par des populations en accroissement et des pratiques culturales souvent inadaptées.
Cette sécheresse qui devient de plus en plus structurelle au niveau des zones oasiennes et la surexploitation des eaux souterraines, notamment, la nappe quaternaire qui constitue la source d’alimentation des khettaras au niveau de ses zones, était la cause principale du tarissement de plus de 320 khettaras sur 570 qui fonctionnait au début du 20ième siècle, selon nos résultats de recherche en 2022.
De plus, l’augmentation rapide de la population au cours de ces dernières années et le changement radical des modes de vie, la situation économique précaire, en plus des répercussions des cultures de rente sur la consommation d’eau (Pastèque et melon), ont engendré une forte pression sur les ressources naturelles. Cette pression s’est traduite par une intensification de l’agriculture et un pompage excessif d’eau à partir des nappes souterraines.
Le territoire de Zagora surtout la zone de Drâa Moyen n’échappe pas à cette contrainte dans la mesure où les agriculteurs font recours souvent au pompage à partir des nappes alluviales pour complémenter les eaux superficielles provenant des lâchers du Barrage Mansour Eddahbi (Surtout à Tinzouline, Ternata et Fezouata). En effet, l’insuffisance des eaux superficielles ainsi que la succession des années de sécheresse, entrainent un développement excessif du pompage des eaux souterraines pour les besoins de l’irrigation. Ce phénomène a été identifié surtout au niveau des palmeraies de Ternata et Fezouata et leurs zones d’extension (Feija et Anagam), où il est actuellement à l’origine de la baisse accentuée du niveau des nappes et le desséchement des palmeraies, surtout que ces eaux sont utilisées essentiellement pour l’irrigation des cultures de rente consommatrices d’eaux (pastèque et melon) aux détriments des palmeraies (fig.7). Ce qui est à notre sens inadmissible.
Figure 7. Champs de la culture de la pastèque dans la zone d’extension de Feija, commune de Ternata, Zagora (2024).
Les palmeraies du bassin de Maïder sont aussi exposées au problème du pompage excessif et de l’introduction des cultures de rente consommatrices d’eaux (pastèque et melon). Le nombre de puits et forages existants au niveau des palmeraies de Tazarine est estimé à plus de 2000 puits/forages (FAO/ANDZOA, 2018), ce qui a causé des baisses accrues des niveaux des nappes.
A côté de ce pompage excessif lié à l’irrigation, il a été soulevé l’existence du pompage destiné aux infrastructures touristiques qui se développent à l’amont et même au sein des palmeraies. Ce problème qui contribue davantage à la baisse du niveau des nappes a été reporté au niveau des palmeraies de l’aval de la vallée de Draa (Fezouata, Ktaoua et M’Hamid).
A cela s’ajoute le phénomène des extensions, c'est-à-dire les prélèvements incontrôlés effectués par les nouvelles exploitations installées en périphérie des palmeraies qui s’effectuent au détriment de la palmeraie originelle. Cet état de fait se traduit par la dégradation du sol, le dessèchement des palmiers, le tarissement des Khettaras et la surexploitation des ressources hydriques, avec pour conséquence la perte de productivité agricole et d’agro-biodiversité.
2.2.1.2. Dégradation des sols et désertification.
Le territoire de Zagora n’est certes pas très riche en sols, la plupart des sols sont squelettiques. La dégradation des sols a tendance dans ce territoire à s’accentuer car les sols sont soumis à toutes sortes d’agressions :
- avancée de l’urbanisme ;
- déforestation et surpâturages qui induisent une forte exposition des terres aux risques de l’érosion hydrique et éolienne ;
- avancée du désert induit par les changements climatiques ;
- recul des palmeraies dans ce territoire ou encore le manque d’entretien des terres abandonnées par les paysans qui n’arrivent plus à en tirer un revenu suffisant.
En effet, l’ensablement a presque touché toute la vallée de Draa. Ce phénomène s’accentue d’amont en aval et du Nord au Sud (fig. 8). Il occasionne des dégâts considérables. Toutes les formes d’accumulation sableuse sont présentes. La source principale de sable est l’érosion des bassins versants du Draa Selon les résultats du diagnostic de l’étude d’élaboration d’un plan directeur de lutte contre l’ensablement dans les zones oasiennes, réalisée en 2022-2023 (FAO/ANDZOA), dont laquelle nous avons contribué, les 3 palmeraies de Fezouata, Ktaoua et M’hamid sont les plus touchées par l’ensablement (fig. 9). L’ensablement a envahi déjà 800 ha et menace 2.000 ha. Il a aussi touché 20% du réseau moderne d’irrigation. 24 ksars abritant 10.000 habitants sont touchés. 20% des 96km de l’axe routier reliant Zagora à Mhamid sont touchés.
Sur l’ensemble du territoire de Zagora, les zones ensablées ont été estimées à plus de 158.000 ha et plus de 26.000 ha comme zones à risque d’ensablement.
Cette situation nous ramène à la constatation que nous avons déjà soulignée. Il est observé que la superficie réellement occupée par le palmier dattier montre une tendance à la diminution, en comparaison avec la surface déclarée par les services de l'agriculture, qui reste toujours invariable, évaluée à 26 000 hectares (territoire de Zagora) en raison de l'ensablement croissant de la superficie occupée par le palmier dattier. Cette disparité entre les données déclarées et la réalité du terrain suscite des préoccupations quant à la précision des informations fournies par les services agricoles, soulignant ainsi la nécessité d'une évaluation plus précise de l'état actuel des plantations de palmiers dattiers.
Figure 8. Situation du phénomène d’ensablement dans le territoire de Zagora (FAO/ANDZOA, 2023).
Figures 9. Le développement de l’ensablement et son impact sur les cultures et les équipements : à gauche – palmiers agonisant à M’Hamid ElGhizlane ; à droite – colmatage du canal principal Tagounite-M’hamid pour irrigation de la palmeraie de M’Hamid (2023)
Il est à noter qu’en matière de lutte contre l’ensablement, on note l’absence de documents stratégiques de planification, que ce soit à l’échelon nationale que régionale, à l’exception des programmes triennaux de l’administration forestière. Il s’agit généralement des actions à caractère d’urgence menées par différents départements dans le cadre de différents projets, afin de répondre aux doléances des communes territoriales et des autorités provinciales.
L’exploitation des données de la gestion antérieure nous ont révélé la faiblesse des superficies traitées par rapport à l’ampleur du phénomène d’ensablement, qui affecte sérieusement la zone d’étude. Car, l’ensablement constitue une menace réelle permanente pour les agglomérations humaines, les ressources naturelles et les infrastructures socio-économiques. Ce qui provoque l’instabilité de la population contraint pour l’exode rural ; la perte de la biodiversité des écosystèmes et des valeurs économiques et patrimoniales.
2.2.1.3. Les incendies
Les oasis du Sud-Est du Maroc, en tant qu'écosystème représentatif de la résilience face à diverses pressions surmontées au fil des millénaires, voient ces dernières années leur résilience continuent à s’affaiblir par l'émergence d'un nouveau fléau, qui s'ajoute aux impacts et manifestations du changement climatique : les incendies (fig. 10).
Bien que les incendies de palmeraies soient moins meurtriers que la plupart des autres catastrophes naturelles, ils présentent tout de même des dangers, dans une moindre mesure pour la population.
Au-delà de ces risques, les incendies de palmeraies ont des répercussions économiques et environnementales significatives, étant donné l'importance du palmier dattier dans la survie de l'écosystème oasien et le maintien de sa population.
Figure 10. Dégâts des incendies survenus dans la Commune territoriale d’Affella Ndraa, province de Zagora en juillet 2020.
En effet, outre les pertes significatives qu'occasionnent ces incendies en termes de biodiversité, notamment en termes de variétés de palmier dattier, ils engendrent des impacts socioéconomiques négatifs pour le phoeniciculteur et sa famille : dans les zones oasiennes, entre 20 % et 60 % des revenus proviennent de la filière datte. Malheureusement, les incendies surviennent souvent pendant la période cruciale où les productions de palmiers sont en phase de maturation (mois de juin, juillet et aout), ce qui aggrave la situation des populations et des zones sinistrées.
L'analyse des données brutes recueillies auprès des services de la protection civile, nous ont confirmé que les incendies dans les palmeraies marocaines peuvent survenir à n'importe quel mois de l'année. En effet, des incendies ont été enregistrés en janvier et en décembre, mais la majorité des feux sont déclarés entre février et août.
L’analyse des statistiques montrent également qu’au cours de la période (2009-2021), un total de 2191 incendies a été recensé dans les zones oasiennes (fig. 11), avec une moyenne de 169 incendies par an. Le nombre de pieds de palmier dattier touché s’élève à 135 743 pieds, sur une superficie de 994 ha et avec une moyenne de 10 442 pieds touché par an. La répartition de ces incendies par province oasienne indique que toutes les palmeraies marocaines ont été touchées par des incendies, avec plus de trois quarts (83,4%) de ces incidents parvenus dans les palmeraies des provinces de Tata, d'Errachidia et de Zagora.
Figure11. Répartition par province oasienne du nombre de palmier dattier brulé entre 2009 et 2021.
Source de données: services de la protection civile.
2.2.2. Facteurs anthropiques
2.2.2.1. Urbanisation : le mitage de la palmeraie
En général, au niveau des vallées, le village est construit soit hors de la palmeraie sur les terres incultes du finage (partie intra de la vallée), soit à l’intérieur même de la palmeraie sur des terres privées (plaine de Draa moyen). Dans tous les cas, la construction des nouvelles maisons se fait partout sans l’intermédiaire d’un marché immobilier. Les Jmaâ (conseils villageois) seules autorisées à distribuer des lots à bâtir sur leurs terrains collectifs, pratiquent des méthodes de lotissement en fonction de l’importance de leur patrimoine foncier et de leurs intérêts actuels, ce qui conduit à une diversité remarquable des schémas parcellaires.
Cette situation se traduit par le mitage de l’espace cultivable situé au sein des palmeraies, au profit de l’habitat. Cela est particulièrement problématique dans le sens où cette consommation d’espace met en péril une partie de l’essence même de la vallée, à savoir l’oasis. La réduction des espaces cultivables conduit en effet à la dégradation de la palmeraie et in fine, à l’accroissement du phénomène de désertification. Ceci devant l’absence d’une réglementation qui organise ce phénomène.
2.2.2.2. Changement de comportements et exode rural
En outre, les palmeraies enregistrent, sur le plan social, des transformations progressives dans la mesure où les fils d’agriculteurs ont tendance à se désintéresser de l’activité agricole au profit d’autres et de l’immigration locale, nationale et internationale, d’une part, et du salariat au détriment des autres formes traditionnelles d’exploitation agricole (serfs, khemmassas, …), d’autre part.
2.2.3. Facteurs biologiques
2.2.3.1. Le Bayoud du palmier dattier
Le bayoud continue à détruire la palmeraie, et ce malgré le plan de sauvegarde initié depuis la fin des années quatre-vingt. La disparition de la palmeraie constitue donc une réelle menace pour l’écosystème oasien. En effet, la disparition de la palmeraie signifie à la fois la disparition des possibilités d’agriculture, et du potentiel touristique, basé sur l’existence de ces paysages typiques.
Le bayoud est une maladie vasculaire causée par Fusarium oxysporum f.sp. albedinis qui appartient à la classe des champignons imparfaits. C’est un champignon microscopique habitant le sol et peut s’y conserver plusieurs décades. Selon la littérature, cette maladie est apparue en 1887 dans la vallée du Draa dans le territoire de Zagora. Par la suite elle a progressé vers le Bani et le Tafilalet vers 1900 (Pereau – Leroy 1958, Sedra 2005).
Depuis son apparition, le Bayoud a décimé plus de 10 millions de palmiers et a provoqué la disparition de deux cultivars Idrar et Berni (Pereau – Leroy 1958 ; Sedra 2005a). Plusieurs générations de palmiers dattiers se sont succédées sur le même sol en fonction des localités.
Cette invasion incessante est la cause de la répartition des cultivars dans la palmeraie. Le système d’irrigation traditionnel a favorisé le développement de cette maladie. Aussi, il a été démontré que le sol, principal réservoir du parasite, présente des niveaux de réceptivité au Bayoud. En effet, il y a un gradient de ces niveaux allant de sols très sensibles au sol résistant à la maladie qui empêche le développement de la maladie malgré la présence de palmiers hôtes sensibles. Ceci est en relation avec les niveaux du potentiel infectieux des sols.
En 2021, nous avons contribué à la réalisation d’une étude portant sur la cartographie des zones à risque potentiel en Bayoud basées sur les techniques de télédétection spatiale, à travers les néocanaux, dans le cadre d’une convention de partenariat ANDZOA-INRA, pour la délimitation des zones à risques à travers l’indice de végétation par différence normalisé, NDVI (Normalized Difference Vegetation Index). Après les différents prétraitements des images satellites, il en ressort qu’une moyenne de 17% des superficies phœnicicoles est à risque.
Ainsi, et pour une connaissance exacte de ces zones (sols) contaminées, la première tranche a permis le prélèvement et l’analyse de 33 300 échantillons de sol pris dans des oasis d’Errachidia, Zagora et Tata.
Dans le territoire de Zagora, deux palmeraies ont été concernée pour cette 1ère tranche. Il s’agit des palmeraies de Mezguita et Tinzouline sur une superficie de 6800 ha. Les prélèvements étaient opérés selon un échantillonnage et un maillage prédéfini (1 échantillon/hectare). Sur les 33 300 échantillons, 9450 échantillons ont concerné ces deux palmeraies (Mezguita et Tinzouline). Les ADN des 9450 échantillons ont montré un taux de 1,43% (soit 135 cas sur 9450) (ANDZOA-INRA, 2021).
Or, un verger dont les palmiers sont apparemment indemnes n’implique pas forcément qu’aucun de ces palmiers n’héberge pas le parasite et que le sol n’est pas contaminé. L’état sanitaire d’un sol est le critère le plus sûr qui évalue le risque mais le diagnostic de cet état n’est pas facile à réaliser. À titre d'exemple, en ce qui concerne la méthode utilisée pour sélectionner l'échantillon par hectare dans ces deux palmeraies, cette méthode pourrait être jugée non efficace pour les prélèvements. Il est nécessaire d'effectuer au moins 3 prélèvements par hectare selon une disposition en forme de "Z" afin d'évaluer la contamination d'un hectare de sol, qu'il soit contaminé ou indemne.
2.2.3.2. Le charançon rouge, une menace sérieuse et redoutable pour le patrimoine pheonicicole des zones oasiennes marocaines
Le charançon rouge du palmier, Rhynchophorus ferrugineus (Coleoptera: Curculionidae), est originaire d'Asie du Sud et du Sud-Est. Classé parmi les principales espèces nuisibles mondiales, il attaque près de quarante espèces de palmiers, les plus touchées étant le palmier dattier, le cocotier, le palmier à huile, le palmier des Canaries et les palmiers du genre Washingtonia (fig. 12).
Apparu pour la première fois dans la région du Golfe Persique au milieu des années 1980, le charançon rouge s'est considérablement répandu vers l'Ouest au cours des trente dernières années, touchant aujourd'hui pratiquement tous les pays de la région du Proche-Orient et de l'Afrique du Nord (FAO, 2017).
Considéré comme l'un des insectes les plus nuisibles pour les palmiers, le charançon rouge a des impacts économiques et environnementaux importants, affectant la sécurité alimentaire et les conditions de vie des communautés rurales vivant dans les oasis de palmiers dattiers. Malgré les efforts déployés par de nombreux pays, cet insecte a continué à se propager, atteignant finalement le Maroc où les premiers cas ont été signalés en décembre 2008. Le premier foyer du Charançon Rouge du Palmier a été détecté sur deux palmiers de Phoenix canariensis âgés de 80 ans, situés à environ 500 mètres du port de Tanger (Boutaleb., 2013).
Figure12. Insecte charançon rouge du palmier (à gauche) et ses dégâts sur le palmier dattier (à droite). Source : google, 2023 ; https://ephytia.inra.fr
2.2.3.2.1.Apparition et propagation du charançon au Maroc
Étant donné l'état actuel des choses, les palmeraies marocaines ne peuvent pas supporter une nouvelle invasion par un autre ravageur destructeur tel que le charançon rouge. La récente contamination des palmiers à Tanger et Nador par ce ravageur pourrait constituer, s'il n'est pas éradiqué, un lourd préjudice pour le patrimoine phoenicicole national et une menace sérieuse pour des centaines de milliers de personnes dépendant de la filière de datte au Maroc. Cette situation est d'autant plus préoccupante qu'il n'existe actuellement aucune variété de palmier résistante à ce ravageur ni de techniques de lutte directes efficaces à 100% (Sedra., 2012).
Actuellement au Maroc, la lutte contre le charançon rouge du palmier est principalement axée sur deux régions, à savoir Tanger-Tétouan et l'Oriental, qui ont été mises en quarantaine afin de prévenir une propagation similaire à celle du Bayoud. Malgré cette mesure, quinze ans après la première identification du charançon rouge à Tanger, l'insecte persiste au sein des palmiers. Au cours des trois dernières années, de 2021 à 2023, des efforts considérables ont été déployés pour lutter contre l'infestation de charançons rouges. Plus de 11 651 spécimens ont été capturés, et 387 palmiers ont été affectés (fig. 13).
Figure 13. Statistiques sur le charançon rouge du palmier à la Wilaya de Tanger-Assilah et opérations de lutte phytosanitaire entre 2021 et 2023.
Toutefois, ce ravageur demeure un défi persistant pour la santé des palmiers du pays, malgré les initiatives entreprises pour maîtriser et éliminer cette menace, et plus particulièrement pour ceux des palmeraies marocaines, vu leurs importances écosystémique et socioéconomique pour les zones oasiennes.
De plus, des inquiétudes grandissantes émergent alors que de nouveaux foyers de charançon rouge ont été récemment signalés à Tétouan, à Larache et à Nador. Cette expansion géographique de l'infestation soulève des préoccupations quant à la propagation rapide de ce ravageur dévastateur dans différentes régions.
2.2.3.2.2.Evaluation des mesures entreprises pour préserver les palmeraies de la zone d’étude
Afin de contenir la propagation de ce ravageur dans les oasis du territoire de Zagora, des initiatives incitatives ont été instaurées. En effet, après la remise en vigueur de l’arrêté conjoint du ministre de l’Agriculture et de la Pêche Maritime et du Ministre de l’Intérieur n°287-09 du 3 Safar 1430 (30 janvier 2009), édictant des mesures d’urgence destinées à la lutte contre le charançon rouge du palmier (publié le 06 aout 2009 au BO n°5758), et qui stipule :
- la nécessité de promulgation des arrêtés gubernatoriaux à l’échelle des Wilayas et des Provinces du Royaume, rendant obligatoire le contrôle et la lutte contre le charançon avec
création de comités régionaux et provinciaux de veille et de vigilance ;
- la saisi et l’incinération de tout matériel végétal de palmacées (plants, arbres, palmes,
troncs) circulant à l’extérieur de ladite wilaya.
- tout arbre atteint, sur lequel la présence de larves, d’adultes ou de symptômes causés par le charançon rouge est confirmée, doit être traité avant toute intervention pour éviter toute éventuelle dissémination du ravageur et couvert par une bâche, abattu et détruit par
incinération, de préférence in situ.
- un périmètre de surveillance autour de tout arbre atteint doit être mis en place dans un rayon de 1000m.
- les modalités de lutte et de surveillance à mettre en place sont fixées par arrêtés gubernatoriaux.
Des arrêtes gubernatoriaux ont été promulgués à l’échelle de la Wilaya de la région Draa-Tafilalet et la province de Zagora à la lumière dudit arrêté conjoint n°287-09, édictant la création du comité régional et provincial de veille et de vigilance pour la déclaration de l’apparition du charançon rouge du palmier dattier (arrêté gubernatorial de la province de Zagora sous le numéro 01 du 24/08/2009).
Treize ans plus tard, en mois d’avril de l’année 2022 (19/04/2022), un autre arrêté gubernatorial à l’échelle de la Wilaya de la région Draa-Tafilalet a été promulgué par la suite, édictant les mesures destinées au contrôle de l’introduction et de la circulation du matériel végétal de palmacées au niveau de la région de Draa-Tafilalet.
Cependant, nous estimons que ces mesures sont exclusivement concentrées sur le contrôle du matériel végétal et sur son interdiction de circulation à l'intérieur du territoire national et régional. Ce constat est remarquable étant donné que les facteurs de dissémination de ce ravageur sont multiples, comprenant notamment :
- la dissémination à bord de véhicules de transport, comme indiqué dans les rapports récents
de pays confrontés à une menace similaire (FAO, 2017) ;
- la dissémination par le biais du matériel agricole d'occasion entre différentes régions sans supervision, impliquant l'achat de tracteurs importés de l'extérieur et de l'intérieur du pays,
ainsi que du petit matériel agricole ;
- la dissémination d'origine anthropique, se produisant à travers la main-d'œuvre agricole et
les jardiniers travaillant dans les régions infestées, notamment par le biais de vêtements et de sacs.
En 2019, un jardinier originaire de la commune territoriale de Beni Zoli, relevant du territoire de Zagora, a découvert un charançon rouge mort dans un jardin public dans la ville de Nador. Par la suite, il a pris l'initiative de se rendre à la ville de Zagora en ramenant cet insecte, préalablement placé dans un flacon. Il a visité les services de l'agriculture de Zagora afin de présenter sa découverte comme preuve de la présence de ce ravageur redoutable. Ce geste désinvolte, qu'il a posé inconsciemment ou par manque de connaissance, démontre sa volonté de signaler et d'avertir ces services quant à la menace potentielle que représente ce ravageur une fois disséminé dans les palmeraies du territoire de Zagora.
Bien que motivé par une intention louable, ce geste met en évidence l'importance de sensibiliser les individus aux risques liés au transport d'organismes nuisibles, même s'ils sont morts, d'une région à une autre.
Par ailleurs, des mesures de prévention ont été initiées déjà par les services compétents du département de l’agriculture entre autres les services de l’office nationale de sécurité sanitaire des aliments (ONSSA), à travers l’installation d’un réseau de piégeage (piégeage à phéromone) au sein des palmeraies de Zagora (fig. 14).
Figure 14. Visite d’un des sites des pièges à phéromone du charançon rouge installé au sein d’une palmeraie de Zagora par les services de l’ONSSA, lors d’une visite d’une délégation australienne du 22 au 25 septembre 2017 à Zagora
Toutefois, nous estimons également que les services compétents du département de l'agriculture ont concentré leurs efforts sur la prévention de la propagation ultérieure de ce ravageur, en se focalisant principalement sur les zones infestées, notamment les régions du nord du royaume, à savoir :
- la formation et information des cadres et agents relevant des administrations concernées sur la reconnaissance des symptômes et des moyens de lutte ;
- sensibilisation des propriétaires d’hôtels et de villas, des pépiniéristes et revendeurs des palmacées sur le danger que représente ce fléau et sur les mesures phytosanitaires à mettre en place ;
- élaboration et distribution à l’ensemble des intervenants concernés, de dépliants et de posters sur le ravageur et les moyens de lutte ;
- organisation des ateliers internationaux, nationaux et locaux sur le charançon rouge du palmier dattier à l’instar de l’atelier international organisé par l’institut national de recherche agronomique-INRA et l’ONSSA en octobre 2009 à Rabat.
Les investigations menées sur le terrain mettent en lumière une réalité préoccupante quant au degré de conscience et de sensibilisation sur cette menace redoutable et à ses effets délétères une fois propagée dans les palmeraies du territoire de Zagora, notamment au sein de la communauté agricole et des organisations professionnelles. Ces constatations soulignent l'ampleur des préjudices subis par les agriculteurs et les entités professionnelles engagées dans l'exploitation des palmiers. Les impacts de cette infestation s'étendent au-delà des aspects économiques, affectant également la biodiversité locale et les écosystèmes agricoles oasiens. Ces résultats mettent en évidence la nécessité urgente d'adopter des mesures proactives et efficaces pour atténuer les conséquences de la présence du charançon rouge dans les palmeraies de Zagora.
Cette situation met en lumière l'urgence d’agir de manière urgente en développant une stratégie efficace et adaptée à la réalité du terrain et en tirant partie des expériences nationales et internationales, afin de contenir la menace et prévenir la propagation ultérieure du charançon rouge au niveau des oasis du territoire de Zagora, comme dans les oasis marocaines.
Des stratégies de lutte contre le charançon rouge à l’échelle international et national ont été mises en œuvre dans certains pays confrontés à une menace similaire surtout ceux du Proche-Orient avec des programmes intégrés, citons l'inspection régulière des palmiers, les pièges à phéromones, les insecticides chimiques et la quarantaine interne. Certes pour le cas des palmeraies du territoire de Zagora, la stratégie de lutte doit prendre en mesure la spécificité de la zone et doit être adapté à la réalité du terrain.
Conclusion et recommandations
Notre étude s'est concentrée sur les facteurs de vulnérabilité des oasis marocaines, en se basant sur une étude de cas portant sur les oasis de la vallée du Draa moyen et de Maider. Les résultats de cette recherche ont montré que la situation de ces oasis est actuellement très critique en raison d’une dégradation alarmante à cause de plusieurs facteurs qui interagissent individuellement ou en combinaison. Leur vulnérabilité sur les plans écologique, biologique et humain s’est manifestée par : -le recul des palmeraies et l'avancée du désert, ainsi que la raréfaction croissante des ressources en eau due aux années successives de sécheresse attribuables aux changements climatiques.
Les facteurs d'origine anthropique continuent à contribuer également à leur crise globale, avec une pression accrue sur ces espaces en raison de la croissance démographique et des changements socio-spatiaux, tels que la désintégration des structures traditionnelles et l'émergence de nouveaux modes d'occupation de l'espace.
Néanmoins, cette étude a révélé de nouvelles menaces potentielles susceptibles de s'ajouter aux facteurs mentionnés précédemment, mettant ainsi en péril la pérennité de ces écosystèmes. Il est donc impératif d'attirer l'attention des décideurs et de sonner l'alarme concernant cette menace émergente.
Pour ce faire, nous proposons quelques éléments de réflexions pouvant construire l’ossature des grandes lignes d’éventuels programmes de prévention dans le cadre d’une approche globale et intégrée, tout en capitalisant les mesures initiées déjà par le gouvernement marocain :
- diagnostic et évaluation de la situation actuelle doivent se faire pour permettre d’orienter les actions à mener contre ce ravageur,
- Des campagnes d’information et de sensibilisation doivent être organisées périodiquement au niveau local, au profit des propriétaires, des agents des autorités locales, de la Gendarmerie Royale et de la Sureté Nationale pour l’application stricte des dispositions des arrêtés gubernatoriaux.
- Mobiliser les acteurs locaux pour créer une synergie entre les différentes parties prenantes, notamment les agriculteurs, les autorités locales et les experts en agriculture, avec la réactivation du comité provincial crée à ce sujet, pour instaurer des programmes efficaces de lutte contre le charançon rouge et assurer la pérennité des oasis du territoire.
- Mettre en œuvre des programmes de sensibilisation des agriculteurs, les organisations professionnelles agricoles et les jardiniers originaires des oasis sur les meilleures pratiques et méthodes de contrôle disponibles pour prévenir la propagation aux signes d'infestation de ce ravageur dévastateur.
- La production de dépliant et d’affiches et de support audio-visuels pour la sensibilisation de la population (contribution dans la détection précoce du ravageur),
- Renforcer le volet sécuritaire contre ce ravageur et doter les entités de contrôle de moyens matériels et financiers nécessaires.
- Organisation des ateliers pratiques et des séminaires pour partager des connaissances spécifiques sur la gestion intégrée des ravageurs, mettant en avant des techniques écologiques et durables.
- Renforcement de la surveillance est également crucial. Des équipes dédiées peuvent être formées pour inspecter régulièrement les palmiers et détecter les premiers signes d'infestation. Les rapports de ces inspections peuvent aider à déterminer les zones à haut risque et à mettre en œuvre des mesures préventives spécifiques pour contenir la propagation.
- Renforcement de la recherche scientifique : la collaboration entre les autorités locales, l’ONSSA, les chercheurs en agriculture et les communautés locales est essentielle. Des ressources financières et techniques doivent être allouées pour soutenir la recherche visant à développer des méthodes de lutte plus efficaces et des variétés de palmiers plus résistantes.
- Mise en place des dispositifs pour encourager la mise en œuvre de pratiques agricoles durables : la sensibilisation des agriculteurs aux bonnes pratiques phytosanitaires, la promotion de techniques de gestion intégrée des ravageurs…
- Oeuvrer pour la participation au développement des technologies conviviales et novatrices qui renforce la stratégie internationale actuelle de lutte contre ce ravageur.
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Source web par : Faouzi Mustapha
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