Jean-François Troin ÎLES ET OASIS : DE L'ISOLAT AU MONDE (Maroc-Géoparc Jbel Bani)
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ÎLES ET OASIS : DE L'ISOLAT AU MONDE (Maroc-Géoparc Jbel Bani)

Par Jean-François Troin

Armand Colin | « Annales de géographie »

2005/4 n° 644 | pages 339 à 341

ISSN 0003-4010

ISBN 9782200920760

Article disponible en ligne à l'adresse :

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https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2005-4-page-339.htm

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Islands and oases: from isolation to openness

To the World

Jean-François Troin

Professeur émérite, Université de Tours

Des oasis au sein d’une immensité marine : les îles ; des îles au milieu des déserts terrestres : les oasis. L’image est séduisante, la comparaison est tentante et il y a belle lurette que les géographes l’ont abordée. L’isolement résultant de l’environnement d’un milieu hostile, de la distance, des conditions climatiques, de la difficile accessibilité, du faible peuplement, de la fragilité des ressources a constitué un thème largement défriché par nos aînés. Cela couvrait aussi bien la haute montagne que le désert, la forêt dense que les îles. En somme, l’isolement c’était un peu l’envers des réseaux, le creux entre les mailles, il engendrait l’isolat. Mais l’isolat n’est plus ce qu’il était. Les progrès des moyens de transport (du véhicule tout terrain à l’hovercraft), des télécommunications (câbles et satellites), de la communication électronique (portables, GSM, Internet), des infrastructures (routes asphaltées, ponts, tunnels, aéroports) ont eu raison de lui. Tout point habité de la Terre est accessible en permanence — hormis quelques tempêtes océaniques ou de sable sans lesquelles il n’existerait plus d’aventure —, l’ouverture au monde est planétaire, des lieux jadis isolés, fortifiés, convoités sont devenus des carrefours, des exutoires pour les lassés de la civilisation, voire des centres commerciaux «globaux».

Mais l’homme d’aujourd’hui est ainsi fait : plus l’isolat disparaît, plus il souhaite le recréer. Il à un désir d’île, il rêve d’iléite, il voudrait «réinsulariser ». Il s’invente et repère ainsi des oasis perdues et hors du temps auxquelles il « veut » et «peut» accéder en quelques heures. Il cherche des refuges, des identités insulaires fortes, mais à portée d’avion, de vedette rapide voire de lien fixe. Ainsi se créent de nouveaux paradoxes, mais aussi de nouveaux territoires, espaces fantasmés, réappropriés, reconstruits et réaménagés parfois jusqu’aux limites de l’anéantissement, mutations de l’isolat qui ne peuvent laisser les géographes indifférents. Les quelques textes réunis dans cette livraison sont loin de couvrir toutes les thématiques mais ils expriment la diversité et la richesse des approches ainsi que le défrichement de nouveaux concepts.

Véronique Cazes traite d’îles lointaines, des isolats de l’Océan Indien menacés par l’érosion côtière, menaces devenues une terrible réalité lors du tsunami de décembre 2004. Mais autant qu’un isolat physique, recherché par les visiteurs, ces îles-hôtels révèlent un isolat de la gestion et des aménagements, un isolement des gestionnaires hôteliers par rapport aux collectivités, une autre forme de menace de leur pérennité.

Nathalie Bernardie-Tahir analyse l’illusion de l’isolement sur les petites îles touristiques, l’appel à la « robinsonnade », argument de vente des voyagistes correspondant au désir des voyageurs, alors que le tourisme mondialisé repose avant tout sur l’accessibilité rapide, la connectivité maximale, et signe, en fait, la fin de l’isolat.

Françoise Péron, dans sa note sur les îles du Ponant, retrouve ces mêmes paradoxes et interroge la figure de l’île, ce «désir d’île» qui cherche à restaurer la distance, l’attente et la coupure (quand l’accès se fait par navettes maritimes), voire l’austérité. Elle attire l’attention sur les risques de création de conservatoires figés par cette « réislamisation» ou encore de naissance de «banlieues bleues» à portée du continent.

Pierre Rognon parie, quant à lui, sur l’ouverture au monde en s’appuyant sur deux «grandes îles», Chypre et l’archipel maltais, nouveaux venus dans l’Union européenne. Leur entrée en Europe va rapprocher les deux rives de la Méditerranée, renforcer le poids du vieux continent dans le transport maritime international tout comme leur rôle de relais eurafricain et euro-moyen-oriental, démontre-t-il. En somme, ces deux îles vont retrouver et affirmer une tradition de carrefours que l’histoire leur avait jadis attribuée.

Les oasis montrent de semblables mutations dans leur situation et leurs rôles. Vincent Bisson l’illustre dans sa présentation de Kébili, oasis du Sud tunisien où les habitants utilisent à leur profit un isolat « coutumier» dans le cadre d’une ouverture «nationale », manifestant une forme de défiance mais aussi de modernité sociétale dans leur affirmation.

Jacques Fontaine constate l’évolution des oasis algériennes qui, par le biais des infrastructures créées (routes, aéroports) deviennent des relais migratoires pour l’Afrique et vers l’Europe, faisant ainsi entrer le Sahara dans un espace mondialisé. De lieux isolés, simples étapes de caravanes, ces oasis sont devenues des pôles de connexion avec un espace élargi.

Jean-Jacques Barathon et ses co-auteurs ferment en quelque sorte notre boucle en étudiant les transformations de l’oasis de Tata dans le Sud marocain. Ici une palmeraie dévastée par la sécheresse et le bayoud (maladie du palmier) s’est vidée de ses habitants tandis que sur ses marges croissait une ville d’État, la nouvelle capitale de province peuplée de fonctionnaires. On peut ainsi se demander si une oasis artificiellement urbanisée mais sans base agricole solide ne recrée pas, d’une certaine façon, une nouvelle forme d’isolat. Par ailleurs, réduction des ressources et isolement vont de pair avec retombées urbaines et désenclavement. Tata illustre parfaitement les paradoxes de l’oasis sud-marocaine.

Cette série de textes ne prétend pas à l’exhaustivité. Ces contributions ont été rassemblées, sans plan préconçu, un peu au hasard, et constituent plus des îlots d’observations qu’un véritable archipel intellectuel. Mais elles nous conduisent à réfléchir sur notre isolement contemporain, pas seulement celui des lieux mais aussi celui de nos sociétés, de nos modes de vie, de nos aspirations, sur nos recherches d’identités parfois factices, nos mobilités, nos perceptions des espaces. Les micro-territoires que sont les îles ou les oasis, peut-être par un effet de concentration, par la netteté de leur délimitation, par l’attente qu’ils suscitent sont particulièrement riches en enseignements dans tous ces domaines. Nous n’avons pas fini de les explorer et d’autres recherches, en cours, viendront sans doute prochainement compléter cet aperçu.

Ces notes et articles sont dédiés à Jean Bisson, professeur honoraire à l’Université de Tours, géographe des Îles Baléares… et du Sahara, qui devrait y retrouver des interrogations qui lui sont familières. Au livre d’hommages, exercice quelque peu convenu et qui semble de moins en moins apprécié de nos jours, nous avons préféré la réalisation d’un numéro thématique des Annales de Géographie. Nombre de collaborateurs de ce numéro ne connaissent pas J. Bisson et certains ne se connaissaient pas entre eux auparavant. C’est dire combien l’entreprise s’éloigne du cercle fermé des adorateurs mais aussi combien elle était quelque peu risquée. La convergence des réflexions sur Îles et oasis est donc pour nous une agréable surprise et démontre en même temps que l’isolement peut fort bien engendrer le rassemblement.

Jean-François Troin

29, rue des Trois Tonneaux

37540 Saint-Cyr-sur-Loire

Source web : Jean-François Troin

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