Patrimoine géologique marocain et développement durable : l’exemple du Dévonien du Tafilalt, Anti-Atlas oriental
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Patrimoine géologique marocain et développement durable : l’exemple du Dévonien du Tafilalt, Anti-Atlas oriental

Par : Ahmed El Hassani et Sarah Aboussalam et Thomas Becker et Mohamed El Wartiti et Farah El Hassani

Introduction

La notion de patrimoine  géologique  dérive  de  la notion de patrimoine naturel qui reconnaît que des éléments de la nature font partie des biens communs, tels que les richesses géologiques, minéralogiques et paléontologiques. En tant que patrimoine naturel, le patrimoine géologique doit être considéré comme un bien commun d’une collectivité, d’un groupe d’hommes, de l’humanité, et comme un héritage transmis par les ancêtres.

La géologie marocaine présente des affleurements reconnus  mondialement parmi  les  meilleurs  et les  plus complets  sur  une  très  longue  période  de  temps  géologique. Cependant, les richesse/ressources naturelles, dont dispose le pays, subissent une détérioration irréversible :

Fossiles et minéraux faisant l’objet actuellement de pillage, d’exploitation abusive, de vente et d’exportation. Les mesures réglementaires sont elles suffisantes pour sa protection, sa  valorisation  et sa  préservation ?  Ou  bien s’agit-il d’un système intégré où interviennent divers facteurs humains à différents niveaux ? Il s’agit là d’une problématique complexe nécessitant, de notre part, d’émettre un avis scientifique pour faire connaître ce patrimoine, le valoriser et surtout le protéger pour que le Maroc demeure une référence mondiale en géologie.

La présente note s’intéressera aux merveilleuses successions de couches géologiques dévoniennes de la région du Tafilalt (Anti Atlas oriental) et représente une contribution qui veut encourager la préparation d’un inventaire national des espaces géologiques (autre que dévoniens) et des espèces (minérales et fossiles) nécessitant une conservation  ou  une  gestion  rationnelle. Cet inventaire, en  plus des mesures réglementaires susmentionnées, comblera une grande lacune qui persiste dans le Plan Directeur des Aires Protégées du Maroc, récemment établi à l’initiative de  l’Administration Forestière Marocaine.

Contexte et intérêt pour la sauvegarde du patrimoine géologique

Pour donner envie de protéger, il faut d’abord faire connaître le patrimoine. Le Maroc, comme on peut le lire sur les cartes géologiques, est parmi les pays qui couvrent de manière la plus complète, l’histoire géologique du globe (de l’Archéen, 3 Ga, au Quaternaire).

Il présente, à ce titre, un intérêt majeur pour la communauté scientifique internationale, ce qui lui vaut d’être régulièrement visité par un grand nombre de géologues des cinq continents.

En plus de la grande diversité des terrains géologiques, plusieurs stratotypes et groupes de fossiles représentatifs à l’échelle planétaire, ont été identifiés au Maroc.

Le Maroc présente également plusieurs curiosités (paysages) géologiques rares de par le monde (exemple :

Les mud-mounds Dévoniens de Hamar Lakhdad dans le Tafilalet, les  péridotites de Beni Bousera dans le Riinterne, les nombreuses grottes, ...).

Ces richesses restent de nos jours, méconnues par la majorité des marocains, y compris les gestionnaires des espaces naturels, voire  la  communauté  scientifique  non  spécialisée.

Ceci incite à études de type « inventaire » auxquelles les géologues  se  livrent rarement, mais  qui ont un rôle fondamental dans la sensibilisation du public à la sauvegarde, à la valorisation et à l’utilisation rationnelle de ce patrimoine.

Il résulte de cette ignorance, une faible sensibilisation à l’échelle nationale envers la conservation et/ou la valorisation respectueuse des « sites patrimoniaux ».

Présentation de quelques exemples du patrimoine géologique marocain : Le Dévonien du Tafilalt

Les coupes du Dévonien de l’Anti Atlas sont parmi les meilleures au monde, car elles permettent de suivre, sans interruption notable, les affleurements sur plusieurs kilomètres. Leur  étude  tardive  les  a  malheureusement exclues  d’être  élues  «  stratotypes  »  et l’on  ne  se  réfère qu’à une seule coupe adoptée par la Subcommission de Stratigraphie  du  Dévonien  (SDS)  ; celle  de  Mech  Irdane pour la limite Eifélien-Givétien (Walliser et al., 1995).

Mech Irdane                                    

Le jbel portant le même nom, englobe le GSSP (Global Stratotype Section and Point) après recommandation de la SDS en séminaire (1991) puis ratification par IUGS en

1994  (Walliser et al., 1995). Le  jbel  Mech  Irdane  est une structure synclinale située dans la partie SE du Tafilalt à 12 km au SW de la ville de Rissani. Comme partout ailleurs

jbel -Boutchrafine

Dans le Tafilalt, la coupe peut être entamée dès les niveaux calcaires à Scyphocrinites, caractérisant, dans l’Anti Atlas, la limite Silurien - Dévonien (Photo 1).

La  partie  Dévonien  inférieur  est très  bien  représentée et riche en fossiles (Goniatites notamment) : les calcaires à  Mimagoniantites  avec le groupe des Anetoceras, dont Nowakia  cancellata, apparaît  dans  la  transition calcaires-schistes noirs du Dalejien.

Au jbel Mech Irdane, les calcaires eifeliens sont très fossilifère, avec d’abondants trilobites, des pélécypodes du groupe « Panenka », des orthocône céphalopodes et des goniatites, en  particulier Subanarcestes et Cabrieroceras, mais aussi Werneroceras, Fidélites, Agoniatites.

La limite Eifelien-Givétien est située au niveau du banc 117, limite attestée aussi bien par des méthodes paléontologiques (Walliser et al., 1995) que magnéto-stratigraphiques (Ellwood et al., 2011).

Le Givétien montre une large séquence de calcaires noduleux  et lamellaires  avec  deux  niveaux  de  pumilio (provoquées par les tsunamis) situés à la base et dans la partie centrale de la zone  varcus ,etavec la séquence de calcaires  fins  noduleux, caractéristiques  de  la  partie  supérieure comprenant les genres Maenioceras ,notammentle M. terebratum et Pharciceras  amplexum .Les calcaires à Pharciceras ,qui coïncident avec l'ancienne zone à Lunulicosta du Dévonien supérieur, sont absents dans cette coupe. Au  dessus  de  cette  lacune, affleurent les  calcaires  à Manticoceras dans un faciès crinoïdique.

Quelques exemples d’affleurements à intérêts scientifique et géo-touristiques

On ne peut pas parler du Tafilalt sans avoir en mémoire les merveilleux affleurements dévoniens et leur richesse en fossiles qui font le trésor des bazars et le bon- heur des visiteurs/collectionneurs. Vu l’énorme variété et la richesse des coupes géologiques, nous ne donnons ici que  quelques  exemples  de  ce  riche  patrimoine  naturel marocain,  telles  les  séries  stratigraphiques  du  jbel  Boutchrafine, du  jbel  Amelane  et de  Ouidane  Chebbi  à  la frontière avec l’Algérie et les mud-mounds de Hamar Lakhdad (Photos 2 à 5).

fissures

Photo 3. La série siluro-dévono-carbonifère du Jbel Bou Tchrafine (Photo : El Hassani).

L’analyse de la coupe géologique du Jbel Amelane (voir Photo 2), située à 25 km au SO d’Erfoud, très facile- ment accessible par la route goudronnée allant à Msissi et Alnif, permet de  suivre  une  série  complète  depuis  la fin  du  Silurien  jusqu’au  Famennien  où  l’on  observe  (au bord de la route goudronnée) de longs orthocères et des goniatites de grandes tailles qu’on retrouve dans les bazars du Tafilalt (tables  d’Erfoud  : Photo6). Cette coupe présente plusieurs curiosités géologiques, mais l’évènement nKellwasser  (KW  event) reste  le  plus  important dans  la région par ses deux niveaux inférieur et supérieur.

Le jbel Bou Tchrafine (voir Photo 3) et le jbel Amelane sont des témoins d’une période géologique complète  pour  tout le  Dévonien, ce  qui  leur  vaut d’être  visités par de nombreuses équipes de géologues de divers pays.

Les affleurements situés dans la partie orientale du Tafilalt, à Ouidane Chebbi (voir Photo4), montrent également une coupe complète du Dévonien avec le passage au Tournaisien (Carbonifère). Les terrains crétacés et néogènes de la Hamada du Guir sont en discordance angulaire sur le Paléozoïque. L’une des curiosités géologiques majeures du patrimoine lithostratigraphique marocain reste manifestement les monticules dévoniens de Hamar Lakhdad dans le Tafilalet, à  l’Est d’Erfoud  (voir  Photos  5)  qui  sont visités  chaque année tant par les scientifiques que par les touristes.

Ces structures, assez particulières, ont été décrites dès le début du siècle dernier par Nicolas Menchikoff, géologue  pétrolier  franco-russe, comme  une  accumulation d’origine récifale (Roch, 1934), divers  termes ayant été  utilisés par la suite par nombre d’auteurs : protubérances ou bulles pleines (Roch, 1934) ; curieux pitons récifaux (Massa et al., 1965) ;formations  récifales  du  Dévonien  inférieur  (Hollard,1963) ; récifs  du  Dévonien  inférieur  (Hollard, 1974, Michard,1976) ; mud mounds (Gendrot, 1974 ; Brachert et al ., 1992, Hüssner, 1994, Belka, 1998) ; buildups, reef-mounds ou mud mounds (Tönebohn,1991) ; venues  hydrothermales  localisées  au  droit du  massifmagmatique de Hmar Lakhdad (Mounji  et al., 1996,Belka, 1998) ;monticules de boue (Belka et al., 2015).

Il  s’agit en  fait d’accumulations  de  carbonate  du Dévonien, affleurant dans la partie est de l'Anti-Atlas (Tafilalt), connues sous le nom des monticules « Kess-Kess », nom que l’on donne localement au couscoussier  traditionnel qui décrit parfaitement la morphologie de ces édifices : conique, à base subcirculaire et sommet pointu pour la majorité d’entre eux. Ils sont au nombre de 46, étalés sur 7km en direction E-W et dont la hauteur est comprise entre 3 et 45 m avec des pentes variables de 15 à 60°, mais généralement plus fortes vers le Nord.

Ces  structures  constituent un  exemple  classique de  monticules  de  boue  en  eau  profonde

(Démontré  par l’absence d’algues vertes) liés à l’hydrothermalisme. Elles ont été créées par des éruptions volcaniques sous-marines au Dévonien inférieur. Ces infiltrations  hydrothermales ont persisté pendant une longue période, depuis la fin du Praguien jusqu’au début du Frasnien. La réactivation des processus magmatiques vers la fin de l’Emsien a permis la formation de structure en dômes du complexe volcanique, recouvrant des strates sédimentaires, et en conséquence création d’un réseau de failles. Ces failles serventalors de conduits pour les fluides chauds qui migrent sur le fond marin. Les données géochimiques suggèrent que les  carbonates  des  monticules  de  boue  se  sont formés par un mélange de fluides hydrothermaux et l'eau de mer (Belka et al. 2015).

L'un des traits caractéristiques de ces monticules de boue est la présence d'un grand nombre de cavités qui sont des fragments de plus grands espaces libres. À l'origine, ils constituent un système complexe de fissures, de cheminées et d’espaces ouverts remplis de sédiments laminés micritiques à grains fins et à ciments de calcite.

Bien que les phases de leur formation ne correspondent qu’à une courte période (une seule zone de conodontes), ces monticules sont restés un lieu d'activité animale intense. En effet, les parties supérieures de ces structures, offrant une meilleure circulation des eaux, ont été colonisées par des communautés diverses de Coraux tabulés, de Bivalves, de Crinoïdes, et de Brachiopodes. Les cavités et les fissures,