Le Cambro-Ordovicien de l’Anti-Atlas marocain (Géoparc Jbel Bani)
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Le Cambro-Ordovicien de l’Anti-Atlas marocain (Géoparc Jbel Bani)

Par Yves Fouquet

Voilà déjà soixante-dix ans, que la géologie du Maroc, complexe et variée, connaît un véritable essor (1952-2020). Dévoilant les mystères du passé d’un pays situé au nord-ouest d’un vieux continent, le Maroc, pays carrefour des civilisations, est aussi la clé de la compréhension des relations géologiques entre l’Afrique et l’Europe, et entre l’Afrique et l’Amérique. Livre ouvert, il permet une lecture aisée de la mémoire de la Terre et de la Vie.. L’histoire de la géologie du Maroc est aussi une histoire rapportée par des chercheurs marocains et étrangers, pendant une période charnière, entre protectorat et indépendance, période de mutation politique et sociale, pendant laquelle au cours de trois règnes (Mohammed V, Hassan II et Mohammed VI), la géologie du Maroc, va tout d’abord emprunter des sentiers, puis des pistes, des routes, des autoroutes…, des destinations ne correspondant pas toujours à des choix mais à des résolutions inévitables.

Cette introduction réveille moult événements et évoque plusieurs éminences grises ayant contribué à la renommée de la géologie du Maroc ! Nous ne pouvons aborder la géologie de l’Anti-Atlas du Maroc, sans citer G. Choubert, L. Clariond, H. Hollard, J.Destombes et A. Faure-Muret, ni le Paléozoïque ou plus particulièrement l’Ordovicien sans évoquer J. Destombes.

Ce dossier permet tout d’abord de découvrir la géodynamique de l'Anti-Atlas à travers laquelle ses auteurs (Ounaimi et al.) retracent l’évolution géologique, du Précambrien au Paléozoïque inférieur, de l’Anti-Atlas marocain, cette montagne cénozoïque au centre-sud du Maroc.

D’une richesse géologique mise en valeur par des conditions d’affleurement exceptionnelles, l'Anti-Atlas marocain nous transporte dans une histoire longue de 1,7 milliard d’années couvrant principalement le Précambrien et le Paléozoïque, en bordure septentrionale du Craton ouest africain. Cette histoire résulte des travaux de stratigraphie, de paléontologie et de cartographie, qui connurent leur apogée pendant la période charnière des 2e  et 3e  règnes. La naissance d’une grande collaboration maroco-française sera couronnée par plusieurs thèses et de nombreuses publications sur le Cambro-Ordovicien.

L’histoire du Cambrien nous est exposée par Debrenne et Álvaro, qui mettent l’accent sur les successions continues du Néoprotérozoïque à l’Ordovicien. Cette couverture très peu métamorphisée, relativement complète et très fossilifère, au-dessus des boutonnières du Paléoprotérozoïque, permet d’établir des synthèses chrono stratigraphiques qui vont aboutir à un schéma de subdivision en étages régionaux et en biozones basées sur les trilobites et accessoirement les archéocyathes.

Le fabuleux parcours de Jacques Destombes est raconté dans l’article de Vidal et al. : une carrière de 38 ans (1950-1988) au Service Géologique du Ministère de l’Énergie et des Mines du Maroc, et au service de l'Ordovicien du Maroc. Cet homme de terrain, va s’illustrer dans plusieurs domaines : il est à la fois sédimentologue, stratigraphe, paléontologue, cartographe… Ses cartes géologiques ainsi que les détails de leurs notices, ses coupes et ses collectes paléontologiques restent toujours d’actualité.

L’architecture et la dynamique des dépôts des spectaculaires affleurements des séries ordoviciennes de l’Anti-Atlas sont décrites par Razin et al. Trois cycles majeurs caractérisent les dépôts silico-clastiques de cet Ordovicien anté-glaciaire, sur la marge du supercontinent Gondwana.

Et c’est encore grâce à Jacques Destombes que l’on va entendre parler, pour la première fois dans l’Anti-Atlas marocain, de dépôts glaciaires ! L’article de Ghienne et Razin, à travers une description des séries sédimentaires de l’Ordovicien, souligne le caractère exceptionnel de ces archives glaciaires ordoviciennes dans l’Anti-Atlas (au sud) mais aussi dans la Meseta (au nord).

La découverte des célèbres Lagerstätten, gisements à préservation exceptionnelle, n’aurait pu voir le jour sans les travaux de cartographie publiés par J. Destombes. C’est pourquoi, en 2015, le congrès international sur la vie animale à l’Ordovicien (The Rise of Animal Life RALI 2015- Marrakech), organisé par l’université Cadi Ayyad au Maroc, sous le Haut patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, a rendu hommage à celui qui fut l’un des premiers géologues à parcourir ces contrées.

Le Burgess Shale ordovicien du Maroc, décrit par Lefebvre et al., correspond au site des Fezouata (490-440 Ma), dans la région de Zagora (Anti-Atlas central, Maroc). La préservation exceptionnelle des fossiles des gisements permet de documenter une étape évolutive cruciale entre «  Explosion cambrienne » et « Grande Biodiversification Ordovicienne » ou GOBE. Celle-ci était jusqu'alors principalement connue à partir de faunes minéralisées « classiques ». La découverte en 2000, par Mohammed Ben Moula, des Fezouata en fait l’unique Lagerstätte connu dans l'Ordovicien inférieur des restes d'organismes pourvus d'un squelette minéralisé (coquille, carapace) côtoient ceux qui en étaient dépourvus, représentant ainsi un précieux jalon entre Explosion cambrienne et GOBE.

Le Tafilalt Biota (Ordovicien supérieur) décrit par Gutierrez-Marco et al, représente un autre Lagerstätte majeur. Plusieurs gisements du Tafilalt (Anti-Atlas oriental) révélés par une recherche intensive et à l’origine exploités à des fins commerciales, ont livré des restes d'animaux au corps mou exceptionnellement préservés dans des sables.

Pour compléter ce dossier Géochronique, un carnet « réalité terrain », présenté par El Hariri et al, propose les arrêts les plus spectaculaires d’une excursion dans le Néoprotérozoïque supérieur et le Cambro-Ordovicien de l'Anti-Atlas central, d’Ouarzazate à Tazzarine, en passant par Zagora.

Ce dossier ouvre une fenêtre sur les richesses du Maroc dans toute son étendue et sur différents volets du patrimoine géologique. Il représente l’une des multiples actions/perspectives de la plupart de ses auteurs aspirant non seulement à ce que leurs publications soient d’un intérêt scientifique de renom, mais militant aussi pour vulgariser la science et la rendre plus lisible et visible et, de ce fait plus accessible à tous ! Ce dossier ambitionne par ailleurs de servir de document de base pour la préparation de manuels à destination des scolaires et des universitaires et/ou de chapitres pour la vulgarisation de la connaissance de la géologie du Maroc et de son patrimoine géologique labellisé « Paradis des géologues ». Ce beau dossier de Géochronique, avec son carnet terrain détachable pourra également être utilisé pour la création de géo-circuits et d’excursions thématiques et pour lancer une série d'émissions télévisées thématiques présentant les richesses naturelles du Maroc.

1/ Géodynamique de l'Anti-Atlas

Évolution géologique de l’Anti-Atlas marocain du Précambrien au Paléozoïque inférieur L’Anti-Atlas est une chaîne de montagnes cénozoïque à reliefs modérés (1 000 à 3 300 m), située au centre-sud du Maroc, entre le Haut-Atlas et le bassin de Tindouf. Elle se prolonge à l’ouest dans le Sahara marocain par le Jbel Zini et, à l’est, par la chaîne d’Ougarta en Algérie. Les travaux pionniers de la première moitié du siècle dernier sont l’œuvre, entre autres, de Georges Choubert et Anne Faure-Muret (pour les terrains précambriens), de Jacques Destombes et de Henry Hollard (pour les terrains paléozoïques) qui ont participé à la réalisation de cartes synthétiques à 1/200 000 dès les années 60. Le début de ce siècle va voir apparaître une nouvelle génération de cartes, plus détaillées, à 1/50 000 supervisée par le PNCG (Programme National de Cartographie Géologique). Les principales unités stratigraphiques sont reportées, à titre de référence, dans la carte géologique synthétique de la 3e  page de couverture de ce volume. Par ailleurs, des circuits de visite et de découverte de l’Anti-Atlas sont proposés dans les nouveaux guides géologiques et miniers du Maroc (Michard et al.,  2011).

La richesse géologique, mise en valeur par des conditions d’affleurement exceptionnelles et d’accès idéales, fait de l’Anti-Atlas une destination privilégiée pour les géologues spécialisés et pour les amateurs de minéraux et fossiles. Les visiteurs sont transportés dans une longue histoire géologique, qui se déroule essentiellement au Précambrien et au Paléozoïque durant 1,7 milliard d’années, en bordure septentrionale du Craton ouest-africain.

Le concentré d’activités géologiques prolongées depuis le Précambrien a généré des trésors

métallogéniques (argent, cobalt, or, nickel, cuivre, manganèse, plomb, zinc, mercure…) et paléontologiques (Lagerstätten des Issafènes, des Fezouata ; Tafilat Biota), ainsi que des paysages traduisant une histoire géologique riche, encore prête à délivrer de nombreuses découvertes majeures.

L’Anti-Atlas au Précambrien : vers l’assemblage du Gondwana Du Craton ouest-africain, on reconnaît encore dans l’Anti-Atlas sa marge nord composée d’un socle métamorphique et granitique (fig. 1-1, 1-2) dit "éburnéen" et dont l’âge est légèrement antérieur à 2 milliards d’années. Une plateforme marine s’installe sur le craton probablement dès la fin du Paléoprotérozoïque ; elle correspond au Groupe de Taghdout discordant sur le socle métamorphique (fig. 1-1) et formé de grès quartzitiques, de carbonates (localement à stromatolites) et de séries gréso-pélitiques aux structures sédimentaires extrêmement bien préservées. Les datations récentes effectuées sur les filons et sills doléritiques insérés dans cette série sédimentaire placent l’âge de la sédimentation entre 1,8 Ga et 800 Ma.

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Fig. 1-1. – Vue de la célèbre discordance du Tizi n’Taghatine, entre le socle éburnéen et le Groupe de Taghdout (région de Taliouine).

Le cycle panafricain débute au Néoprotérozoïque inférieur et comprend les événements géodynamiques majeurs enregistrés dans l’Anti-Atlas du Cryogénien à l’Édiacarien (760 à 540 Ma). Au cours de ce cycle, la plateforme prépanafricaine évolue vers un véritable océan dont témoignent les célèbres complexes ophiolitiques cryogéniens de Bou Azzer et de Khazma (fig. 1-2). Des complexes d’arc océanique accrétés sur la marge nord du craton (fig. 1-2) soulignent une phase de convergence par subduction océan-océan de près de 120 millions d’années (760-640 Ma) ponctuée de périodes magmatiques rythmiques, tous les 40 millions d’années. Le paroxysme de l’orogenèse panafricaine est marqué par une déformation transpressive, bien exprimée au niveau de l’accident majeur de l’Anti-Atlas (fig. 1-2) et par la mise en place de bassins syn- à tardi-orogéniques à remplissage de flyschs et de molasses édiacariens (groupes de Saghro et de Bou Salda ; ~ 630-580 Ma ; fig. 1-2) accueillant les produits de l’érosion de la chaîne panafricaine. Des diamictites et des tillites édiacariennes (déposées entre 592 et 579 Ma) reconnues au sommet de ces séquences sédimentaires orogéniques forment probablement les premières traces reconnues de la glaciation Gaskiers sur le continent africain.

Le groupe post-collisionnel édiacarien de Ouarzazate (580-545 Ma), souvent discordant sur les formations précédentes (fig. 1-2), est constitué d’une large et épaisse série volcanique et volcanoclastique (atteignant 8 km d’épaisseur localement) parsemée de plutons granitiques. Cette série à dominance calco-alcaline, mise en place dans un contexte tectonique dominant transtensif, peut être assimilée à une grande province magmatique siliceuse ou SLIP (Silicic Large Igneous Province). Cet événement magmatique clôt le cycle panafricain qui constitue un témoin typique et majeur de l’assemblage du supercontinent "Gondwana" (fig. 1-3).

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Fig. 1-2. – Coupe synthétique montrant l’agencement des unités précambriennes structurées lors de la collision panafricaine dans le massif du Siroua. L’architecture initiale n’a que peu changé lors des orogenèses plus récentes.

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Fig. 1-3. – Reconstitution paléogéographique à l’Ordovicien inférieur montrant l’ouverture de l’océan Rhéique. L’étoile rouge marque la position de l’Anti-Atlas à l’Ordovicien inférieur (480 Ma) près du pôle sud. Les étoiles noires indiquent le trajet de l’Anti-Atlas entre le Cambrien inférieur (540 Ma) et la fin de l’Ordovicien (440 Ma). Reconstruction effectuée avec le logiciel BUGPLATES et les données de Torsvik et Cocks (2013).

L’Anti-Atlas au Paléozoïque inférieur : enregistrement sédimentaire et magmatique du rifting et de l’expansion de l’océan Rhéique À l’aube de l’ère Paléozoïque, le paysage de l’Anti-Atlas va complètement se transformer et devenir plus accueillant. Le milieu hostile volcanique et volcanoclastique du Néoprotérozoïque terminal est remplacé d’abord par un golfe (Formation Adoudou) puis par une véritable plateforme marine reliée aux phases du rifting "rhéique", en marge du Craton ouestafricain (fig. 1-3). L’Anti-Atlas est alors en position proximale, très sensible aux variations climato-eustatiques et tectoniques qui vont façonner l’empilement et l’architecture des dépôts. La sédimentation d’abord mixte, carbonatée et détritique (Cambrien inférieur), devient entièrement détritique durant la période Cambrien moyen Ordovicien (Destombes et al, 1985). De rares manifestations volcaniques franches, de type alcalin intraplaque, sont observées au Cambrien inférieur (Jbel Boho) et au passage Cambrien-Ordovicien (Ougnate).

Au Cambrien inférieur se dépose d’abord la formation carbonatée dolomitique d’Adoudou en discordance sur le Néoprotérozoïque (fig. 1-4) caractérisant un milieu péritidal à forte subsidence vers l’ouest dans un bras de mer (ou golfe) orienté dans l’axe de l’Anti-Atlas. D’énigmatiques traces d’organismes discoïdes ainsi que des zircons détritiques recyclés attestent d’un âge cambrien inférieur. S’ensuivent les dépôts détritiques azoïques, couleur "Lie-de-Vin", de la Formation de Taliouine, accumulés en milieu deltaïque. Une brève intercalation lenticulaire de calcaires (Barre de Tata) vient annoncer une plus vaste transgression marine. Cette dernière correspond à des calcaires et dolomies d’environnement tidal (Formation d’Igoudine) puis de plateforme mixte (Formation d’Amouslek). Une deuxième progradation deltaïque vient terminer le cycle cambrien inférieur, incluant la Formation d’Issafene et celle des "Grès terminaux" ou Formation d’Asrir. Depuis la Formation d’Igoudine, on assiste à la première « explosion biologique » sous-marine au Maroc : faciès microbiens, bioturbations, archéocyathes, trilobites et autres métazoaires (voir l’article de Debrenne et Àlvaro, dans ce dossier).

Le Cambrien moyen et supérieur (actuellement Miaolingien et Furongien) correspond à un nouveau cycle sédimentaire transgressifrégressif d’envergure, concernant l’ensemble de l’Afrique du nord-ouest. Il commence par le mince horizon de la "Brèche à Micmacca" (trilobites, brachiopodes, activité microbienne…) qui repose en transgression sur divers termes plus anciens, parfois en discordance angulaire spectaculaire.

L’horizon est rapidement envahi par des siltites et gréso-pélites vert-olive (Formation de Jbel Wawrmast), un empilement quasi-monotone de dépôts de mer ouverte, rythmés par les courants de marée et la houle. Ces derniers passent progressivement à quelques séquences gréseuses pro deltaïques, constituant le Groupe des "Grès de Tabanite". De fréquents trilobites ainsi que des tigillites, y sont rencontrés et, localement, au sommet, apparaissent même des formes fossiles du Cambrien supérieur (Furongien, Formation du Jbel Lmgaysmat). Le Cambrien moyen est une période d’accélération du rifting liée à l’ouverture de l’océan Rhéique, et se termine par la mise en place locale de basaltes alcalins.

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Fig. 1-4. –Synthèse lithostratigraphique du Paléozoïque inférieur de l’Anti-Atlas (échelle verticale approximative).

L’Ordovicien, localement discordant sur le Cambrien, débute par des dépôts argilo-silteux et gréso-pélitiques, en transgression sur une topographie irrégulière, formant le Groupe des Feijas externes. Le milieu de sédimentation est redevenu rapidement celui d’une plateforme distale dominée par les marées et les vagues. Des fluctuations cycliques sont marquées par des niveaux à fer oolithique et, plus à l’ouest de l’Anti-Atlas, par des récurrences gréseuses et quartzitiques plus ou moins importantes. Ces fluctuations permettent de définir trois formations (formations inférieure et supérieure des Fezouata, Formation du Jbel Tachilla) occupant l’Ordovicien inférieur et moyen (Trémadocien à Darriwilien) (voir l’article de Razin et al, dans ce dossier). Outres les formes classiques de trilobites et de graptolites, les niveaux argileux, notamment ceux du Fezouata inférieur, viennent de révéler l’explosion d’une étonnante faune en très bon état de conservation (voir l’article de Lefebvre et al. sur le Lagerstätte des Fezouata, dans ce dossier).

D’importantes progradations deltaïques sont enregistrées plus haut, dès la fin du Darriwilien et durant le Sandbien-Katien, notamment avec les imposantes séquences gréseuses des groupes du 1er Bani et du Ktaoua

(fig. 1-5). Les faciès fins intercalés dans ces groupes contiennent une faune variée, notamment de trilobites et bryozoaires… (Voir l’article de Gutiérrez-Marco et al. sur le Tafilalt Biota, dans ce dossier).

À l’Hirnantien, comme partout dans le nord gondwanien, l’Anti-Atlas est le siège d’une importante chute glacio-eustatique coïncidant avec les dépôts de formations détritiques parfois grossières du Groupe du 2e Bani. Les conditions de cette sédimentation particulière seront traitées par Ghienne et Razin dans ce dossier.

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Fig. 1-5. – Vue vers le sud de l’Ordovicien du Jbel Bani entre Zagora et Mhamid.

L’Anti-Atlas : un avant pays varisque et atlasique  Les terrains d’âge paléozoïque inférieur vont être recouverts par ceux du Paléozoïque supérieur sans grandes discordances. Le tout ne sera que modérément bouleversé par l’orogenèse varisque, lors de la collision Gondwana/Laurussia, à la fin du Paléozoïque. L’architecture structurale est celle de vastes plis parfois interférents et de quelques failles superficielles passant vers le sud à un ensemble monoclinal en bordure nord du bassin de Tindouf (fig. 1-6).

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Fig. 1-6. – Coupe NW-SE du Jbel Bani plissé au SW de l’Anti-Atlas, résultat du plissement "appalachien" des unités du Paléozoïque inférieur (d’après Soulaimani et Ouanaimi, 2011, modifiée).

De l’époque mésozoïque, l’Anti-Atlas a enregistré la grande fracturation et le magmatisme de la CAMP (Central Atlantic Magmatic Province ; dykes de Foum Zguid et Ighrem) associés à l’ouverture de l’Atlantique central à la limite Trias/Jurassique. L’Anti-Atlas se soulève au cours du Cénozoïque en réponse à un bombement thermique induisant un magmatisme alcalin mio-pliocène matérialisé par l’immense stratovolcan du Siroua et les appareils volcaniques épars du Saghro oriental. Il jouera également le rôle de domaine d’avant-pays lors de l’édification de la chaîne du Haut-Atlas contrôlant la formation des bassins d’Ouarzazate et du Souss. Les manifestations sismiques, marquées par le terrible tremblement de terre d’Agadir de 1960, démontrent que l’Anti-Atlas est encore en pleine activité tectonique.

Stratigraphie cambro-ordovicienne de l'Anti-Atlas D’une limite à l’autre, histoire du Cambrien de l’Anti-Atlas Les chaînes de l’Anti-Atlas marocain présentent des boutonnières de Paléoprotérozoïque recouvertes par des successions continues du Néoprotérozoïque à l’Ordovicien, relativement complètes, très fossilifères (riches en trilobites, archéocyathes, brachiopodes, échinodermes et microfossiles à paroi squelettique) et peu métamorphisées, avec de nombreux niveaux volcano-sédimentaires interstratifiés contenant des cendres volcaniques. C’est une région particulièrement favorable pour appliquer l’ensemble des méthodes géologiques de recherche en bio-, litho- et chrono-stratigraphie.

L’établissement de cartes détaillées, sous la direction du Service de la carte géologique du Maroc, dont Jacques Destombes était l’un des collaborateurs de 1950 à 1988, a été suivi par la publication de nombreuses monographies régionales, structurales et paléontologiques, qui font du Cambrien un système particulièrement bien étudié dans les chaînes de l’Atlas. La réévaluation des successions fauniques du Cambrien inférieur et moyen traditionnels (Terreneuvien, « Série cambrienne  2  » et Miaolingien de la nomenclature actuelle), a permis d’établir un schéma de sous-divisions en étages régionaux et biozones basées sur les trilobites et accessoirement les archéocyathes (Geyer et Landing, 1995 ; Debrenne et Debrenne, 1995). Ces résultats et la visite des coupes types en 1995 et 2014 par la Sous-Commission Stratigraphique Internationale du Cambrien, ont abouti aux synthèses

chronostratigraphiques publiées par Geyer et Landing (1995), Álvaro et al. (2014a) et Devaère et al. (2014).

Pour arriver à ces résultats, le chemin a été long. Dès le Congrès Géologique International d’Alger (1952), le Maroc a pris une dimension internationale. Dans l’Anti-Atlas, visité par les congressistes, un nouveau genre de trilobite venait d’être récolté, Fallotaspis (fig. 2-1), qui présentait des caractères plus primitifs que ceux d’Olenellus, jusqu’alors index global pour la base du Cambrien (Choubert et Hupé, 1953). Depuis, la base du Cambrien n’a cessé de reculer au fur et à mesure des découvertes.

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Le Cambrien est le seul système n'ayant pas encore une échelle chronostratigraphique mondiale complète en raison du fort endémisme des faunes et de l’absence d’une documentation claire de leur répartition stratigraphique. Par vote de l'ISCS (International Sub-commission on Cambrian Stratigraphy), en décembre 2014, le Cambrien a été divisé en quatre séries et dix étages en vue de remplacer les termes anciens de Cambrien inférieur, moyen et supérieur. Les séries et étages en cours de définition portent provisoirement un numéro. Le dernier, vote de l'ISCS (juin 2018) porte à 3 sur 4 les séries dont le nom a été ratifié. Il reste encore 4 étages sur 10 à définir.

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Fig. 2-1. – Fallotaspis tazemmourtensis Hupé 1953.

Au Maroc, la base du Cambrien a été placée au niveau de l’apparition des archéocyathes (fig. 2-2), 400 m environ sous la Zone à Fallotaspis. Par la suite, des étages pré-trilobitiques ont été déterminés : le Tommotien (Rozanov, 1967), caractérisé par des assemblages d'archéocyathes sur la plate-forme sibérienne, puis le Meishucunien (Jiang Zhiwen, 1980), défini par des microfossiles squelettiques dans la Chine méridionale.

Pour établir au Maroc des corrélations avec les nouvelles échelles chronologiques, les recherches intensives sur le terrain ont bien montré l’existence d’une faune à trilobites et archéocyathes sous la Zone à Fallotaspis, mais la comparaison avec les faunes sibériennes leur a attribué un âge atdabanien, donc plus récent que le Tommotien (Debrenne et Debrenne, 1978 ; Sdzuy, 1978). Or, aucun archéocyathe tommotien n’a jamais été trouvé en dehors de la plate-forme sibérienne.

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Fig. 2-2. – Erismacoscinus marocanus Debrenne 1958. Synclinal de Fouanou, Formation d'Issafène Anti-Atlas occidental.

Dans les « Calcaires Supérieurs » et dans la « Série Lie-de-Vin » sous-jacente (fig. 2-3), les stromatolites, thrombolites (microbialites non laminées), traces fossiles et microfossiles signalés par l’équipe de Sdzuy (1978) ont une valeur controversée pour les corrélations.

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Fig. 2-3. – Oued Drâa, Série Lie-de-Vin/ Calcaires Supérieurs (Formation d’Adoudou).

L’Infracambrien Ce terme a été proposé par N. Mentchikoff dès 1949 pour désigner les couches apparemment azoïques décrites sous le Cambrien de l’Anti-Atlas, dans le cadre des travaux du Service de la carte géologique du Maroc. La découverte en 1953 de Fallotaspis a, pour la première fois, fait reculer la limite inférieure du Cambrien fossilifère, qui s’avère donc variable et dépendante de nouvelles découvertes. Sur ce sujet, qui va devenir un thème majeur des recherches internationales, un premier colloque a été organisé en 1957 par le CNRS pour faire le point sur « les relations entre le Précambrien et le Cambrien et le problème des séries intermédiaires »*

 Le terme Infra-Cambrien y est officiellement employé. Dans son étude classique, P. Pruvost (1957) a passé en revue toutes les formations concernées sur l’ensemble du Globe et défini le « Système Infracambrien », délimité au sommet par la Zone à Olenellus, alors considérée comme limite inférieure du Cambrien (Wheeler, 1947) et, à la base, par la dernière grande discordance précambrienne. Dans l’esprit de son auteur, c’était un terme provisoire destiné à disparaître lorsque les limites auraient été bien démontrées (voir discussion dans l’article).

Depuis, la charte internationale des étages géologiques a été établie et constamment mise à jour et le terme Infracambrien a logiquement disparu. Cependant, bien qu’informel, il est couramment employé par certains auteurs de langue française traitant de géologie africaine pour désigner ces séries souvent difficilement corrélables avec les étages officiels.

"Colloques Internationaux du Centre National de la Recherche Scientifique, N° LXXVI, p. 199-206, fig. eds Nicolas Menchikoff, Pierre Hupé 1958 (parution 1959).

Comme il n’y avait pas non plus de données radiométriques fiables, le Maroc n’a pas été retenu par la réunion du groupe de travail de l’IGCP (WG-projet 29) tenue à Bristol en 1983, comme région candidate susceptible de présenter une coupe de référence et un point limite (GSSP) pour la limite Précambrien-Cambrien. Le problème de la base du Cambrien ne sera tranché par décision du CGI de Kyoto qu’en 1992 : ni les trilobites, ni les archéocyathes, ni les microfossiles squelettiques ne seront sélectionnés pour la définir. Le choix de la trace fossile Treptichnus (ex Phycodes) pedum marquera un changement de paradigme concernant l’activité éthologique d’un métazoaire bilatéralien à corps mou. Ces données biostratigraphiques ont été par la suite complétées par d’autres méthodes de corrélation, telles que les courbes isotopiques du carbone, de l’oxygène et du strontium, la magnétostratigraphie, la stratigraphie événementielle et la géochronologie sur zircons. S’il y a eu autant de discussions, c’est qu’en plus des immanquables rivalités professionnelles et nationales, la limite Précambrien-Cambrien a une signification particulière car elle marque une discontinuité dans l’histoire de la géosphère et de la biosphère. Elle sépare deux entités géologiques, le Néoprotérozoïque et le Paléozoïque mais également deux moments clés de l’histoire de la vie, le Protérozoïque et le Phanérozoïque.

Au Maroc, et particulièrement dans l’Atlas depuis une dizaine d’années, les recherches géochronologiques et chimio stratigraphiques se sont développées. Elles apportent notamment les données isotopiques qui manquaient pour permettre enfin de situer cette limite inférieure du Cambrien. Les résultats obtenus par Maloof et ses collaborateurs suggèrent que l’enregistrement de trois excursions positives du δ13C  coïncident avec les niveaux du Nemakit-Daldynien sibérien pour les couches de Tamjout, du Nemakit Daldynien-Tommotien pour la partie supérieure de la Formation Lie-de-Vin et du Tommotien-Atdabanien pour les niveaux proches du contact entre les membres inférieur et supérieur de la Formation d’Igoudine. La limite Édiacarien-Cambrien se situerait alors, d’après ces auteurs, dans les couches de Tamjout du Membre de Tifnout, Formation d’Adoudou (Maloof et al., 2005 ; 2010). Les recherches sur le terrain s’accentuent et amènent de nouveaux résultats comme par exemple la découverte, dans la Formation d’Adoudou (Letsch et al., 2019), de fossiles de type édiacarien dans les grès peu profonds de la base du membre de Tabia et de microfossiles dans les dolomies des membres de Tabia et de Tifnout. Les premiers sont des fossiles discoïdaux proches du genre Aspidella. Des spécimens rappelant des métazoaires calcifiés comparables à Namacalathus et des microfossiles tubulaires non déterminés ont été trouvés dans les dolomies. Cet ensemble constitue la première occurrence de métazoaires potentiellement édiacariens probables dans le nord-ouest de l’Afrique. Les recherches radiométriques et chimiostratigraphiques menées ave cles techniques les plus récentes, associées à la compilation exhaustive des références bibliographiques, ont contraint l’âge de la Formation d’Adoudou et des fossiles qu’elle contient à une période comprise entre 545 et 542 Ma (Édiacarien terminal) pour les fossiles discoïdes de la base du membre de Tabia et de 538 à 528 Ma (début du Cambrien) pour les deux assemblages de microfossiles du membre de Tifnout. Au vu de toutes ces données, une mise à jour de la géologie du Cambrien marocain, complétée par les datations sur zircons, a été suggérée (Álvaro et al., 2014a) (fig. 2-4).

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Fig. 2-4. – Découpage lithostratigraphique des formations cambriennes du Haut Atlas méridional et de l’Anti-Atlas, d’après Àlvaro et al. (2014a : fig. 5, modifiée).

D’un point de vue sédimentologique, le Cambrien de l’Anti-Atlas est caractérisé par la présence de nombreuses discontinuités stratigraphiques, locales et régionales, associées à une activité volcanique à caractère tholéitique et alcalin (Pouclet et al., 2018), conséquence des pulsations tectono-magmatiques mises en relation avec l’évolution d’un rift. L’activité magmatique a été souvent contrôlée par la réactivation d’une paléotopographie en semi-grabens et horsts, dont les soulèvements tectoniques ont favorisé le développement des épisodes d’activité carbonatée, de phosphogenèse et d’hydrothermalisme local. La rotation du Gondwana, suivant un mouvement antihoraire, a permis le remplacement des centres de productivité carbonatée (souvent à caractère récifal, associés aux processus de phosphogenèse et de nucléation des centres évaporitiques ; Terreneuvien et Série 2) par des carbonates bioclastiques d’eaux tempérées et la progradation épisodique des barrières et lignes de côte silicoclastiques (Miaolingien).

Depuis le Congrès d’Alger (1962), l’Anti-Atlas a été reconnu comme une région privilégiée présentant une exposition remarquable des roches du Néoprotérozoïque et du Cambrien. De nombreux travaux nationaux et internationaux ont abouti à des chartes de corrélations biostratigraphiques en constante amélioration depuis une vingtaine d’années. Le premier tableau a été établi par P. Hupé en 1953 et complété en 1960, avec 5 zones correspondant à 5 étages et 2 séries. Les zones étaient définies par des assemblages de trilobites et leurs limites coïncidaient avec les limites lithostratigraphiques de G. Choubert. Geyer (1990a, b) et Geyer et Landing (1995-2004) (fig. 2-5) ont révisé ces schémas et proposé une nouvelle subdivision en étages et zones. En comparant l’évolution litho- et biostratigraphique de la péninsule Ibérique et du Maroc, ces deux auteurs ont constaté de grandes similitudes permettant d’établir une connexion paléogéographique à travers un rift commun (le Rift cambrien de l’Atlas/Ossa-Morena) sur la marge occidentale périgondwanienne (Álvaro et al., 2014b). Une liste d’étages communs pouvait être établie sur la base des zones de trilobites (fig. 2-5).

bio-chrono-stratigraphiques

Fig. 2-5. – Chartes bio-chrono-stratigraphiques des étages proposés pour la sous-division du Cambrien marocain de 1953 à 2019.

Ces deux régions étaient limitrophes sur la bordure ouest-gondwanienne et séparées d’Avalonia dès la fin du Cambrien. Dans l’Anti-Atlas, la limite traditionnelle Géorgien/Acadien, (soit dans la terminologie régionale, entre les étages Banien et Agdzien) a donné lieu à de nombreuses polémiques locales mais aussi internationales dans le groupe de travail de l’ISCS où la discussion est encore en cours. Au Maroc, le stratotype de cette limite a été finalement choisi dans la vallée de Lemdad (Haut Atlas), 5 cm au-dessus de la base du Membre de Tazlaft (Formation d’Asrir). L’ensemble des résultats, et particulièrement ceux obtenus en chimiostratigraphie pour définir les limites Édiacarien-Cambrien, Cordubien-Issendalénien, Issendalénien-Banien et surtout Cambrien inférieur-moyen, exposées dans l’Anti-Atlas ont favorablement impressionné les Sous-commissions Internationales de l’UISG qui pourraient considérer l’Atlas marocain comme candidat aux GSSP (les clous d’or) pour ces séquences et pour la subdivision en étages du Cambrien, leur nouveau projet.

La base traditionnelle du Cambrien moyen (Miaolingien actuel), marquée par l’apparition des trilobites paradoxidés au Maroc (Hupé, 1960), représente aussi la limite stratigraphique et cartographique séparant les travaux de Choubert et de Destombes. Le sommet de la Formation d’Azlag (Groupe du Tabanite) est constitué par une surface de ravinement (fig. 2-6, D1) marquant la fin des dépôts cambriens dans la majeure partie de l’Anti-Atlas, sauf dans sa partie centrale  où les sédiments de la Formation du Jbel Lmgaysmat, se déposent dans une dépression tectonique, le massif d’El Graara (fig. 2-6, D3). Cette formation est presque dénuée de fossiles. Seuls quelques trilobites et brachiopodes furongiens sont trouvés dans des lits de calcaires bioclastiques et dans des nodules (Destombes et Feist, 1987 ; Mergl, 1983 ; Álvaro et al., 2007). La lumachelle des argilites du sommet a également fourni des brachiopodes billingsellidés et des trilobites caractéristiques marquant la fin du Cambrien dans l’Anti-Atlas (Álvaro et Vizcaïno, 2018). La fin du Miaolingien est caractérisée par un hiatus stratigraphique important, compte tenu de son scellement par des schistes de l’Ordovicien inférieur. Ce hiatus dans l’Anti-Atlas central où l’interruption est chronologiquement peu importante, est réduit à la partie supérieure du Furongien. Dans les autres régions, les transitions Miaolingien-Furongien et Furongien-Ordovicien coïncident et se situent dans le hiatus stratigraphique qui sépare le Groupe du Tabanite et la Formation inférieure des Fezouata. Le caractère endémique de la dernière faune cambrienne a été atténué par le résultat de l’échantillonnage récent de la Formation à Bailiella et de la base de la Formation du Jbel Lmgaysmat. Les « trilobites exotiques » décrits par Geyer (2015) viennent rompre cet isolement établissant des connexions biostratigraphiques avec les marges voisines avaloniennes et esteuropéennes du Gondwana nord-ouest et avec le super-continent Baltica : pour preuve, la nouvelle espèce de Maladioidella qui représente probablement l’apparition mondiale la plus ancienne du genre et, à la base de la Formation du Jbel Lmgaysmat, une espèce endémique d’un genre de trilobite cosmopolite du Furongien. Des analyses chimio- et chronostratigraphiques seront nécessaires pour améliorer les contraintes biostratigraphiques de la fin du Cambrien au Maroc.

Le nombre et la qualité des programmes en cours font que le Maroc pourrait bien devenir un standard pour l’étude du Cambrien, ce qu’auraient souhaité les anciens comme Jacques Destombes qui ont participé aux travaux dès l’origine. L’ombre de Jacques restera éternelle sur les montagnes du Cambrien moyen et supérieur de l’Anti-Atlas marocain.

volcaniques

Fig. 2-6. – Limite supérieure du Cambrien marquée par des discordances stratigraphiques (D1 à D3) et des épisodes volcaniques ; d’après Àlvaro et Vizcaïno (2018, fig. 8 modifiée).

L'Ordovicien du Maroc, l'apport de Jacques Destombes Jacques Destombes, (1926-2018), a effectué toute sa carrière, de 1950 à 1988, au service géologique du Ministère de l’Énergie et des Mines du Maroc. Son recrutement à la section d’Études des Gîtes Minéraux, alors rattachée à la Direction de la Géologie, a lieu dès sa sortie de l’École nationale supérieure des Mines de Paris, après un stage de terrain de six semaines dans le Jbel Sarho au sud d’Ouarzazate. Après avoir débuté sur l’étude des minerais au Maroc, il sera l’un des principaux contributeurs à la cartographie de l’Anti-Atlas et à la stratigraphie de l’Ordovicien. En parallèle, il fera largement connaître la richesse paléontologique du Sud marocain, suscitant l’intérêt de nombreux paléontologues. Les études qui continuent de progresser dans cette région s’appuient sur ses travaux et permettent de réinterpréter ou de développer des questions qu’il avait souvent abordées au cours de sa carrière.

Les minerais de fer

Au cours des premières années, il travaille sur les gîtes minéraux et plus particulièrement les minerais de fer du Maroc. À l’occasion du Symposium international sur les gisements de fer au 19e Congrès géologique international d’Alger de 1952, il propose une synthèse des données acquises antérieurement (Agard et al., 1952 ; Destombes, 1952) et participe aux livrets-guide des excursions de ce Symposium dans l’Anti-Atlas. À partir de 1953, il entreprend l’étude détaillée des gisements de ce minerai, notamment celle des niveaux oolithiques ferrugineux (Destombes, 1954, 1955).

De 1954 à 1959, les missions dans l’Anti-Atlas ne peuvent se poursuivre en raison de la situation politique. Il travaille alors avec André Jeannette à l’établissement de la carte géotechnique de la région de Casablanca (Meseta côtière et Rif) effectuant de nombreuses missions de terrain. En plus des cartes et mémoires explicatifs correspondants (Destombes et al., 1956 ; Destombes et Jeannette, 1956, 1962, 1966a,b), ces missions donnent lieu à des publications sur le Cambrien (Destombes et Jeannette, 1958a,b) et sur les minerais decfer (Destombes, 1958a) et gîtes sédimentaires (Destombes, 1965a ; Destombes et Jeannette, 1965) de la Meseta.

Après l’indépendance du Maroc en 1956, Jacques Destombes est rattaché à la Direction des Carburants du Ministère français de l’Industrie, au titre de la coopération technique française, statut lui permettant de continuer à travailler avec le service géologique marocain. Les travaux sur les minerais de fer reprennent dans l’Anti-Atlas : les résultats paraissent à l’échelle du territoire marocain en 1976.

Stratigraphie et cartographie

Si la structure géologique du Maroc en général, et de l’Anti-Atlas en particulier, a été progressivement décryptée au cours de la première moitié du XXe siècle et synthétisée par les travaux de Georges Choubert en 1952 et 1956, de nombreux points d’interrogation subsistent alors quant aux attributions stratigraphiques. À partir de 1959, les missions dans l’Anti-Atlas permettent à Jacques Destombes d’entreprendre l’étude stratigraphique détaillée du Cambrien moyen et de l’Ordovicien ainsi que la cartographie de la totalité de l’Anti-Atlas à 1/200 000, dans le cadre d’un programme dirigé par Georges Choubert, dont font également partie Anne Faure-Muret et Henri Hollard. Neuf cartes seront ainsi publiées par le Service géologique du Maroc (Choubert et al., 1969, 1970, 1971a, b ; Destombes et al., 1982a, b, 1987a, 1988, 1990) pour l’Anti-Atlas.

Ces travaux constituent le matériel de base du chapitre dédié au Maroc et publié dans l’ouvrage de synthèse sur le Paléozoïque inférieur de l’Afrique occidentale (Destombes et al.,  1985). Puis Jacques Destombes travaille surles coupures à 1/100 000, tant de l’Anti-Atlas que de la Meseta (Sidi-Ifni et Casablanca Mohammedia en 1987, Rommani en 1989, Bou Izakarne et Tiznit en 1992, Fask en 1997), tandis que débute le programme à 1/50 000 avec Tamazrar édité en 2001. Les notices explicatives des cartes de l’Anti-Atlas à 1/200 000 seront révisées en 2006, intégrant notamment les résultats des études micropaléontologiques (Elaouad-Debbaj, 1987) (fig. 2-7).

Ordovicien-Anti-Atlas

Fig. 2-7. – Succession stratigraphique de l’Ordovicien dans l’Anti-Atlas par G. Choubert (1942) et J. Destombes (1985).

Parallèlement, de nombreuses notes de stratigraphie sont publiées sur le Cambrien et surtout sur l’Ordovicien, parfois en collaboration avec Solange Willefert pour la détermination des graptolites et Jean-Jacques Cornée pour les études tectono-stratigraphiques dans le Haut-Atlas ou la Meseta. Ainsi les travaux de Jacques Destombes portent pour l’essentiel sur le Paléozoïque inférieur marocain, mais il contribuera aussi à l’étude de formations datant du Précambrien dans le Tafilalt, du Carbonifère dans la Meseta côtière, ou du Quaternaire dans l’Anti-Atlas et la Meseta côtière.

Notons enfin qu’il fut le premier à reconnaître la nature glaciaire des grès de l’Ordovicien supérieur associés, dans l’Anti-Atlas, à des stries glaciaires (voir Ghienne et Razin, ce dossier). Ces travaux, publiés en 1968, faisaient suite à ceux de Sougy et Lécorché (1963) dans les séries du Zemmour en Mauritanie.

La paléontologie et les trilobites Les nombreuses missions de terrain réalisées au cours de sa carrière lui permettront de récolter une quantité très importante de fossiles provenant de plus de 2 000 localités du Maroc, dont une bonne partie provient du Cambro-Ordovicien de l’Anti-Atlas. Il tisse des collaborations avec de très nombreux spécialistes pour l’étude de cette importante collection et étudie lui-même certains trilobites de l’Ordovicien. Pour ce seul groupe, il décrit deux nouveaux genres : Mucronaspis – sous-genre initialement décrit en 1963 puis érigé au rang de genre en 1972

– Baniaspis, également en 1972, deux sousgenres Eudolatites (Banilatites) et E. (Deloites) la même année, ainsi que 22 espèces nouvelles (publiées en 1963, 1966, 1967 et 1972 pour les faunes de l’Anti-Atlas et en 1969 pour celles du Zemmour) (fig. 2-8). À la suite d’Henri et Geneviève Termier, il précise dès 1967, grâce à l’étude des trilobites, les affinités paléogéographiques de l’Anti-Atlas à l’Ordovicien avec la Montagne noire (Sud de la France), le Massif armoricain, la Péninsule ibérique et tout particulièrement la Bohème (ce que les études paléontologiques actuelles continuent de confirmer). Il souligne ainsi la proximité de ces régions à l’Ordovicien, alors que les reconstitutions paléogéographiques étaient encore très discutées à cette période.

Trilobites

Fig. 2-8. – Trilobites de l’Ordovicien du Maroc décrits par Jacques Destombes. A : Baniaspis globosa Destombes, 1972. Formation supérieure du Ktaoua, Ordovicien supérieur, Jbel Bou Debgane. Largeur du céphalon : 2,1 cm. B–C : Ormathops hupei Destombes, 1972. Formation inférieure du Ktaoua, Jbel Bou Isidane. B : céphalon, largeur 2,2 cm ; C : pygidium, largeur 1,2 cm. D–E : Flexicalymene ouzregui Destombes, 1966. Formation supérieure du Ktaoua, Taggourt n’Tchegout. D : céphalon, largeur 3,7 cm ; E : pygidium, largeur 2 cm.

Jacques Destombes collabore à plusieurs reprises avec Jean-Louis Henry sur ce groupe des trilobites. En 1987, ils reprennent l’étude du genre Baniaspis de l’Ordovicien supérieur et dont l’appartenance à la famille des Calmoniidae permet de discuter les contraintes paléogéographiques ayant permis l’extension de cette famille typique de la province malvino-cafre, au Dévonien. Ils complèteront leur analyse paléogéographique de l’Ordovicien en 1991 après avoir défini le biofaciès à homalonitidés, assemblage associé à des environnements marins peu profonds dont la présence signale la proximité du paléorivage gondwanien. L’année suivante, la description de deux dalmanitidés de l’Ordovicien du Maroc et de Montagne noire sera l’occasion de décrire la disposition irrégulière des lentilles sur les surfaces visuelles chez Ormathops et Toletanaspis, déduisant une mise en place indépendante de l’œil « à lentilles disjointes » ou schizochroal, par des processus de modification des rythmes de développement, conduisant ici à la persistance à l’état adulte, de caractères strictement juvéniles chez l’espèce ancestrale (voir Henry et al., 1992).

En parallèle, Jacques Destombes transmet à un grand nombre de spécialistes le matériel récolté qu’il n’étudie pas, suscitant de nombreuses études sur les faunes d’invertébrés de l’Ordovicien de l’Anti-Atlas et dont les déterminations sont compilées et ajoutées au fur et à mesure dans ses travaux.

Une carrière et un héritage La carrière de Jacques Destombes est ainsi le reflet d’un contexte historique avec le début des grands programmes de cartographie géologique qui débutent après la seconde guerre mondiale en Afrique du Nord. De 1945 à 1956, le recrutement de nombreux géologues permanents, dont beaucoup de français, au Service des Mines et de la Géologie du Maroc, est favorisé par l’essor économique de ce pays. Ainsi la délégation marocaine ne compte pas moins de 90 participants au Congrès géologique international d’Alger en 1952 parmi lesquels les ingénieurs et géologues du Service des Mines et de la Géologie, mais aussi des entreprises minières et pétrolières. Ces dernières développeront la recherche appliquée, domaine progressivement abandonné par les services d’état à partir des années 1960.

Durant ces périodes, les fossiles naturellement dégagés par l’érosion, qui n’intéressent pas encore la population locale, seront collectés et inventoriés au fur et à mesure des missions sur le terrain. Précisément localisés, ils constituent encore aujourd’hui une base de données irremplaçable. C’est avec l’aide des travaux de Jacques Destombes que l’on peut par exemple, tenter de retrouver sur le terrain les gisements de fossiles dorénavant largement collectés pour la vente et associés à une position géographique le plus souvent approximative, voire absente. Cette région livre aujourd’hui des faunes de très belle qualité, certains niveaux présentant une préservation exceptionnelle, avec la fossilisation d’éléments morphologiques délicats (antennes, pattes, structures branchiales), voire d’organes internes (voir Lefebvre et al., ce dossier).

Les nombreux taxons qui lui sont dédiés témoignent de l’importance des découvertes et de la qualité des collaborations que Jacques Destombes a su mettre en place avec de nombreux paléontologues. Ainsi 14 espèces, 6 genres, un sous-genre et une famille portent un nom dérivé de son patronyme, parmi lesquels figurent des groupes aussi variés que les trilobites, échinodermes, brachiopodes, hyolithes, gastropodes, céphalopodes, archéocyathes, ainsi que des palynomorphes (chitinozoaires et acritarches). Une liste précise est fournie en annexe avec les références associées.

Géologue généraliste comme il n’en existe plus aujourd’hui, Jacques Destombes était cartographe, sédimentologue, stratigraphe, paléontologue et avant tout, homme de terrain (fig. 2-9).

Au Maroc, il a contribué à l’étude des séries du Précambrien au Quaternaire, en passant par un conglomérat à restes de crocodiliens du Miocène, mais en tout premier lieu, ce sont les travaux et synthèses qu’il a réalisés sur l’Ordovicien qui restent incontournables. Alors que l’Anti-Atlas constitue une zone clef pour l’étude de la signature stratigraphique de la glaciation de la fin de l’Ordovicien (Ghienne et al., 2014), et que les modalités de la transition cambro-ordovicienne y ont été largement revisitées (Lefebvre et al., 2016), les cartes géologiques, les coupes et les collectes paléontologiques de Jacques Destombes restent d’actualité. Ce territoire qu’il a si longuement prospecté, par sa position paléogéographique à proximité du pôle Sud à l’Ordovicien, par la faible déformation tectonique de ses séries (contrairement à de nombreuses régions du Gondwana souvent impliquées dans l’orogenèse varisque) ainsi que par la qualité des affleurements en milieu semi-désertique, présente de nombreux atouts pour comprendre l’évolution des faunes et des paléoclimats. Bien que retraité depuis 1988, Jacques a continué de participer à des excursions et campagnes de terrain jusque dans les années 2000 lors desquelles il a continué de transmettre avec bienveillance et passion sa très riche expérience aux générations suivantes. La liste complète de ses travaux est disponible sur le site de Géochronique.

carte-geotechnique

Fig. 2-9. – De gauche à droite et de haut en bas : 1953, Jacques Destombes travaille à l’établissement de la carte géotechnique de l’oued Nfifikh, dans la région de Casablanca ; 1961, en mission de cartographie géologique dans l’Anti-Atlas, pour l’établissement des coupures à 1/200 000 ; 1991, dans l’Anti-Atlas occidental (secteur de Fask), pour les coupures à 1/100 000 ; 1994, en compagnie de Ph. Legrand (à gauche) et de J.C. Gutierrez Marco et M. Deynoux (à droite) pendant une excursion organisée dans le cadre du programme PICG n°351 ; 2005, en compagnie de Z. Elaouad-Debbaj et F. Paris, lors de l’une des dernières missions de terrain de J. Destombes dans le cadre d’un projet de recherche ECLIPSE de l’Insu (© J.-F. Ghienne). En bas, un campement dans l’Anti-Atlas, au pied des grès du groupe du Premier Bani en 1960, entre Tazzarine et Alnif. Les remorques, pleines du ravitaillement de la mission au départ du Service Géologique, revenaient chargées des très nombreux échantillons paléontologiques collectés à chaque mission.

(© M. Caralp et archives de J. Destombes sauf celle de 2005).

= M. Vidal1 , M. Caralp2, B. Lefebvre3, J.-F. Ghienne4 et Ph. Razin5 ..

1Univ. Brest, UMR 6538 – Domaines Océaniques, IUEM-UBO, Rue Dumont D’Urville, 29280 Plouzané 2 19 rue de la Fon de Madran, 33600 Pessac  (Univ. Bordeaux 1, Lab. Géologie et Océanographie) 3Univ. Lyon, UMR 5276 – Laboratoire de Géologie  de Lyon : Terre, Planètes, Environnement, bâtiment  Géode, 2 rue Raphaël Dubois, 69622 Villeurbanne 4Univ. Strasbourg, UMR 7516 CNRS, Institut de Physique du Globe de Strasbourg, 1, rue Blessig, 67000 Strasbourg 5Univ. Bordeaux Montaigne, EA 4592 - Géoressources & Environnement, 1, allée Fernand Daguin, 33607, Pessac.

Les taxons dédiés  à Jacques Destombes appartiennent à différents groupes d’organismes et sont listés par rang taxinomique, espèce, sous-genre, genre et famille, dans l’ordre chronologique. Ils sont tous d’âge paléozoïque (Cambrien, Ordovicien ou Dévonien) contrairement aux espèces dédiées à son père également géologue, Jean-Paul Destombes et/ou  à son oncle, Pierre Destombes, passionné de géologie.  Ces dernières sont principalement d’âge crétacé à l’exception de Gourdonia destombesi, un trilobite dédié à Jean-Paul Destombes par W. Struve en 1959.

tableau-eudolatites

Architecture et dynamique des systèmes sédimentaires de l’Ordovicien antéglaciaire de l’Anti-Atlas

Les séries ordoviciennes affleurent de manière spectaculaire sur le flanc sud de l’Anti-Atlas marocain, en particulier le long de la cuesta du Jbel Bani qui s’étend sur près de 600 km depuis le domaine atlantique jusque dans la région d’Alnif (fig. 2-10). Cette continuité s’explique par la faible intensité des déformations hercyniennes et l’absence de déformation alpine dans ce domaine situé entre Craton ouest-africain et domaine atlasique. Ce n’est qu’à l’est d’Alnif, dans les régions de la Maïder et du Tafilalt, que la continuité des affleurements est perturbée par l’interférence de déformations de directions NE-SW et NW-SE, dites respectivement anti-atlasiques et ougartiennes. La puissance de la série ordovicienne dépasse 2 500 m dans la région de Zagora. Ces dépôts argilo-gréseux et marins pour l’essentiel se sont accumulés dans un contexte de plateforme épicontinentale stable sur la marge septentrionale du supercontinent Gondwana alors situé dans les hautes latitudes de l’hémisphère sud.

cart-Geology

Fig. 2-10. – Carte géologique schématique de l’Anti-Atlas montrant la continuité exceptionnelle des affleurements de l’Ordovicien depuis l’Atlantique jusque dans le Tafilalt, sur le flanc sud des boutonnières  précambriennes. Ces séries initialement attribuées au Crétacé supérieur (Gentil, 1912) ont été rapportées à l’Ordovicien par J. Bondon en 1932. Un premier découpage stratigraphique est proposé par G.

Choubert en 1942 qui distingue 4 unités stratigraphiques aujourd’hui érigées à la valeur de groupes : les Schistes des Feijas externes, les Quartzites du Bani (1er Bani), les Schistes du Ktaoua et les Quartzites des Beni-Selmane (2e  Bani). Cependant, leur analyse stratigraphique détaillée n’a connu un réel essor qu’à la faveur du levé régulier des cartes géologiques à 1/200 000 de l’Anti-Atlas. Dès 1962, Jacques Destombes propose un découpage détaillé des séries ordoviciennes dans lequel les 4 groupes sont subdivisés en formations datées par leur contenu paléontologique (Vidal et al., ce dossier). Si ces cartes géologiques ne sont pas accompagnées de notices explicatives, J. Destombes fournit en 2006 un document publié aux Notes et Mémoires du Service Géologique du Maroc qui rassemble un volume considérable de données stratigraphiques et paléontologiques sur les séries du Cambrien moyen au Silurien basal de l’Anti-Atlas. Cette synthèse aboutit notamment à la réalisation d’un transect E-W illustrant la disposition géométrique des formations ordoviciennes de l’Atlantique à la frontière algérienne (fig. 2-11).

Depuis les années 2000, plusieurs équipes ont entrepris des travaux sédimentologiques détaillés sur les séries de l’Ordovicien de l’Anti-Atlas central et oriental (Loi et al., 2010 ; Marante, 2008 ; Meddour, 2016 ; Vaucher et al., 2017). Ils visent à déterminer les processus et environnements de dépôt et à établir un découpage séquentiel de haute résolution permettant d’affiner les corrélations existantes. Ces corrélations s’appuient sur le suivi des couches sur le terrain, à partir de photos d’ULM et d’imagerie satellitaire. L’analyse de ces affleurements exceptionnels fournit nombre d’enseignements sur la dynamique sédimentaire des vastes plates-formes du Paléozoïque inférieur et conduit à une meilleure compréhension de l’évolution paléogéographique de ce domaine et des paramètres qui la contrôlent.

argilo-greseuses

Fig. 2-11. – Organisation stratigraphique des formations ordoviciennes de l’Anti-Atlas (d’après J. Destombes, 2004).

La base du Silurien a été choisie comme datum pour l’horizontalisation de ce transect. Voir localités sur la figure 2-10.

Principales caractéristiques des dépôts ordoviciens antéglaciaires

 Limites et dépocentre

 Les dépôts ordoviciens anté-glaciaires sont délimités à la base par une discontinuité correspondant à une surface d’érosion responsable de la troncature quasi-complète des séries du Cambrien supérieur. Cette discontinuité, localement associée à du magmatisme, enregistre des mouvements verticaux de grande longueur d’onde pouvant être liés à l’ouverture de l’océan Rhéique sur la bordure nord du Gondwana. La discontinuité sommitale des séries ordoviciennes antéglaciaires correspond à une surface de ravinement polyphasée liée à la mise en place des systèmes glaciaires de la Formation supérieure du 2e  Bani (voir Ghienne et Razin, ce dossier).

Sur un transect E-W, le dépocentre des séries ordoviciennes apparaît clairement localisé dans la région de Zagora (fig. 2-11). Celle-ci correspond à la fois à la zone d’épaisseur maximale des dépôts, à la zone où les faciès de l’Ordovicien les plus anciens (Formation inférieure des Fezouata) sont les mieux développés et ceux de l’Hirnantien antéglaciaire (Formation inférieure du 2e  Bani) les mieux préservés sous la surface de ravinement glaciaire. Cette région de l’Anti-Atlas central coïncide aujourd’hui sensiblement avec la vallée du Drâa.

Les séquences argilo-gréseuses de l’Ordovicien de l’Anti-Atlas La série ordovicienne est composée d’une alternance d’unités gréseuses et d’unités argileuses à différentes échelles d’épaisseur qui correspondent peu ou prou à la hiérarchisation lithostratigraphique en couches, faisceaux de couches, membres, formations et groupes (fig. 2-12 et 2-13).

Cette alternance résulte principalement de cycles de transgression - régression (T/R) à différentes fréquences qui sont responsables de la succession cyclique de dépôts argileux accumulés en domaine de plate-forme externe (« offshore ») et de dépôts gréseux littoraux moins profonds.

Fig. 2-12. – Stratigraphie et organisation séquentielle des séries ordoviciennes de l’Anti-Atlas.

Les séries argilo-gréseuses de l’Ordovicien sont constituées d’un empilement de cycles de transgression - régression de différents ordres de fréquence qui se succèdent au sein de 3 cycles majeurs de 2e ordre.

La succession virtuelle complète de l’Ordovicien a été reconstituée à partir d’une synthèse de coupes analysées entre Zagora et Alnif. Le Groupe du 1er Bani de la région de Zagora est pris pour exemple montrant l’emboîtement des différents ordres de séquence ainsi que l’alternance des systèmes sédimentaires entre phases transgressives et régressives.

Ces cycles sont contrôlés par l’interaction des variations globales du niveau marin, de la subsidence du bassin et du volume des apports sédimentaires. Dans le contexte tectonique relativement stable de la plateforme ordovicienne, les deux derniers paramètres varient sur des périodes relativement longues et vont être surtout enregistrés dans les cycles à basse fréquence. En revanche, les cycles T/R de haute fréquence sont généralement interprétés comme contrôlés par les variations du niveau de la mer, variations de faible amplitude (< 50 m) lors des périodes non glaciaires, et de plus forte amplitude (50-150 m) pendant les périodes glaciaires.

Géométrie des dépôts Chacun peut observer l’apparente continuité latérale des couches sur des affleurements souvent longs de plusieurs kilomètres (fig. 2-13). L’absence de variations notables d’épaisseur et de faciès témoigne d’un contexte tectonique stable favorisant le caractère isopaque des dépôts et la faible inclinaison des profils de dépôt. Toutefois cette apparente simplicité ne résiste pas à l’analyse des unités stratigraphiques sur des distances de plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de kilomètres comme le permettent les affleurements de l’Anti-Atlas. Les travaux cartographiques et stratigraphiques de J. Destombes ont ainsi mis en évidence des variations d’épaisseur et des biseaux stratigraphiques à l’échelle de l’Anti-Atlas (fig. 2-11). Des variations d’épaisseur rapides peuvent aussi être observées en liaison avec des surfaces d’érosion intra-formationnelles, des déformations tectoniques localisées, ou de rares cas de géométries de dépôt présentant des clinoformes (fig. 2-14).

Impact des régressions et Transgressions Récemment, la corrélation détaillée des séquences de dépôt a permis de préciser l’organisation stratigraphique et paléogéographique de ces séries ordoviciennes. Elle révèle que la plateforme est périodiquement remblayée par des prismes de dépôts argilogréseux qui migrent d’amont en aval le long de surfaces de dépôts très faiblement inclinées (inclinaison imperceptible à l’affleurement). Cette migration, ou progradation, des systèmes sédimentaires explique l’étalement de sables littoraux sur des distances considérables, bien supérieure à la largeur des zones de dépôts correspondantes, formant ainsi des couches relativement continues par coalescence des prismes sableux. Cette progradation est stoppée lors des phases transgressives, pendant lesquelles les apports sédimentaires peuvent être largement sinon totalement stockés dans la partie amont des systèmes sédimentaires provoquant alors en aval une importante condensation des dépôts. Ce phénomène est à l’origine de minces niveaux ferrugineux, parfois phosphatés et riches en fossiles au sommet des unités gréseuses ou même au sein des unités argileuses, offrant alors d’excellents repères stratigraphiques. De cette dynamique résultent des séquences T/R dissymétriques, d’épaisseur pluri-métriques à pluri-décamétriques, où la phase transgressive n’est parfois représentée que par un mince intervalle condensé, tandis que la phase régressive correspond à une succession argilo-gréseuse à faciès de moins en moins profonds vers le haut, formant l’essentiel de la séquence. La composition et l’épaisseur de ces séquences fournissent des éléments d’interprétation permettant d’évaluer la bathymétrie de la plate-forme ordovicienne qui excède rarement la centaine de mètres. Cette alternance de transgressions et de régressions est responsable de différents types de surfaces d’érosion qui ajoutent à la complexité stratigraphique. Des surfaces d’incision, voire de véritables paléo-vallées, peuvent ainsi entailler les dépôts de plateforme sur plusieurs dizaines de mètres de profondeur. Elles ne se développent que localement, dans la partie nord de l’Anti-Atlas central et oriental, probablement en réponse à des chutes du niveau marin, provoquant une modification du profil d’équilibre du réseau hydrographique. Par ailleurs, des surfaces de ravinement de grande extension, planes ou irrégulières, liées à l’action des vagues, tronquent les couches sous-jacentes lors des phases transgressives. Elles peuvent fréquemment être directement scellées par un mince niveau condensé qui représente alors l’intégralité du cortège transgressif.

Jbel-Bou-Zeroual

Fig. 2-13. – Les formations et séquences composant le Groupe du 1er Bani dans le Jbel Bou Zeroual au nord de Zagora (voir localisation sur figure 2-10). D’une manière générale, cette succession argilo-gréseuse de 600 m de puissance enregistre la progradation, l’aggradation puis la rétrogradation d’un vaste système silico-clastique à l’Ordovicien moyen.

Excursion dans le Néoprotérozoïque supérieur et le Cambro-Ordovicien de l'Anti-Atlas central

Dans le Sud marocain, la chaîne de l'Anti-Atlas offre des conditions d'affleurement tout à fait exceptionnelles (très faible couvert végétal), exposant à travers des paysages somptueux la succession des strates géologiques, qui apparaissent telles les pages d'un grand livre ouvert.

Notre objectif est de vous présenter une sélection de sites et de panoramas remarquables situés le long d'un itinéraire d'environ 300 kilomètres entre Ouarzazate et Tazzarine, en passant par la région de Zagora (fig. 1). Ce parcours permet de réaliser une coupe quasi-continue depuis le Néoprotérozoïque supérieur jusqu'aux dépôts glaciaires de l'Hirnantien (Ordovicien terminal). Si le trajet en lui-même peut s'effectuer dans la journée, deux à trois jours d'excursion sont probablement nécessaires pour prendre le temps de visiter les sites et bien s'imprégner de la géologie locale.

sites-geologiques

Fig. 1. – Localisation des principaux sites géologiques et panoramas décrits le long de l'itinéraire dans l'Anti-Atlas, entre Ouarzazate et Tazzarine. Image Google Earth.

Les stromatolites d'Amane n'Tourhart À environ 25 kilomètres au sud-est de Ouarzazate, la N9 traverse le site remarquable d'Amane n'Tourhart (point 1 sur la carte ; fig. 2) qui permet d'observer, sur près de 3 mètres d'épaisseur, d'impressionnantes constructions stromatolitiques datées du Néoprotérozoïque terminal (Groupe de Ouarzazate). Ces biostromes présentent à leur base un véritable millefeuille de lamines ondulées, épaisses de 600 à 800 μm qui, vers le sommet, évoluent progressivement en dômes, dont certains dépassent 15 cm de haut.

Après Aït Saoun, la N9 serpente le long des pentes du Tizi n'Tirift qui domine ce petit village et propose, le long de la route, une très belle coupe à travers les séries de transition entre Précambrien et Cambrien. Après le passage d'un col à 1 665 m d'altitude, la N9 effectue de nombreux lacets à travers les calcaires terreneuviens des formations d'Adoudou et Lie de Vin, avec des panoramas spectaculaires sur les gorges profondes qui entaillent ces dépôts, en contrebas du bord gauche de la route.

Néoprotérozoïque

Fig. 2. – Stromatolites du Néoprotérozoïque terminal d'Amane n'Tourhart. À gauche : biostrome stromatolitique de plus de 3 mètres d’épaisseur. À droite : dôme stromatolitique montrant des sections rondes à polygonales.

Les dépôts cambro-ordoviciens et le « tajine » du Jbel Kissane

À environ une dizaine de kilomètres avant d'arriver à Agdz, une aire de parking aménagée sur le côté droit de la N9 permet d'apprécier un panorama exceptionnel vers l’est et la plaine du Drâa, en contrebas (point 2 sur la carte ; fig. 3).

Au premier plan s'étendent les grès sommitaux de la Série 2 du Cambrien. Au-dessus d’une surface de transgression, ceux-ci passent aux argilites vertes du Groupe des Feijas internes (formations du Jbel Wawrmast et du Jbel Afraou, Miaolingien), qui forment les collines molles situées de part et d'autre de la route, en descendant en direction d'Agdz. Peu avant de s'ennoyer au niveau de la plaine du Drâa, ces collines sont surmontées d'un ressaut constitué par les grès du Groupe du Tabanite (Miaolingien). Au-delà, la ville d'Agdz et le ruban verdoyant de l'immense oasis qui court le long de l'oued Drâa, s'étendent dans une vaste dépression formée par les dépôts silteux tendres de la partie inférieure de la Formation des Fezouata (Trémadocien). Enfin, à l'arrière-plan, au milieu de la plaine se dresse le synclinal perché du Jbel Kissane (fig. 4), dont la base élargie est constituée par les niveaux siltoargileux de la partie supérieure de la Formation des Fezouata (Floien) et ceux, sus-jacents de la Formation du Tachilla (Darriwilien). Ces niveaux tendres sont surmontés par les falaises abruptes des grès du Groupe du Premier Bani (Darriwilien supérieur – Sandbien basal), dont les dépôts les plus sommitaux forment une petite structure pyramidale, dont l'allure n'est pas sans rappeler celle d'un plat à tajine (d'où le surnom sur la figure 4).

JBEL-TABAHOUT

Fig. 3. – Vue panoramique sur la plaine du Drâa et la ville d'Agdz, avec au loin le synclinal perché du Jbel Kissane.

Jbel-Kissane-4

Fig. 4. – Le synclinal perché du Jbel Kissane, constitué de dépôts de l'Ordovicien inférieur à moyen (groupes des Feijas Externes et du Premier Bani). © A. Soulaimani La plaine des Ternata et le Lagerstätte des Fezouata Une fois passé Agdz, la N9 longe l'oasis du Drâa sur près de 80 kilomètres jusqu'à Zagora.

La vallée du Drâa forme une dépression tantôt étroite, tantôt nettement plus large, formée par les dépôts tendres de l'Ordovicien inférieur (Formation des Fezouata) et délimitée à droite par les grès cambriens du Groupe du Tabanite jouxtant la route et, à gauche, au-delà du Drâa par les falaises du Groupe du Premier Bani. À environ 5 kilomètres avant Zagora, un grand parking situé sur le bord gauche de la route, au niveau du Ksar Tissergate (point 3 sur la carte), offre un vaste panorama sur l'oasis du Drâa et, au-delà, sur la plaine des Ternata (fig. 5), qui s'étend vers le nord-est sur près de 700 km2.

C'est dans cette vaste plaine qu'ont été découverts tous les principaux gisements emblématiques du Lagerstätte des Fezouata (Ordovicien inférieur) au début du 21e siècle (voir article de Lefebvre et al., dans ce dossier). Ces sites, désormais protégés, ont livré des fossiles, localement très abondants, dont la préservation de structures anatomiques internes (tube digestif, par exemple) est tout à fait exceptionnelle. De plus, les faunes localement très abondantes récoltées dans ces niveaux témoignent de la persistance inattendue de nombreuses formes considérées jusqu'alors comme caractéristiques de l'Explosion cambrienne, comme par exemple certains arthropodes primitifs (anomalocaridides, marrellomorphes).

Ksar_Tissergate

Fig. 5. – Vue panoramique depuis le Ksar Tissergate. Au-delà de la palmeraie du Drâa, les dépôts tendres de la Formation des Fezouata (Ordovicien inférieur) constituent l'essentiel de la vaste plaine des Ternata, où ils forment de petites collines et peuvent être localement préservés par d'anciennes terrasses alluviales, comme celle du Jbel Tizagzaouine, bien visible ici, en avant de la falaise formée par les grès du Premier Bani (Darriwilien supérieur - Sandbien inférieur).

Photographie : conférence internationale RALI2015.

Du Drâa à l’oued Tarhbalt et les archives glaciaires de la fin de l’Ordovicien À partir de Zagora, après avoir traversé l’oued Drâa et s’être engagé sur la N12, l’itinéraire se dirige vers l’ENE parallèlement à un important accident structural. L’horizon est barré par les entablements gréseux du Groupe du Premier Bani. La route profite de cet accident et d’un effondrement tectonique pour franchir l’escarpement haut de plus de 600 m à quelques 25 km de Zagora. La vaste cuesta qui apparaît ensuite de part et d’autre de la route est constituée par les pélites et les grès de l’Ordovicien supérieur (point 4 sur la carte ;  fig. 6). À la partie inférieure, les pélites vertes et quelques ressauts gréseux à dépôts de tempêtes correspondent au Groupe du Ktaoua (Sandbien à Katien supérieur). On remarquera au sommet de la cuesta l’arrivée brutale des grès sur le talus argileux, qui reflète une importante régression d’origine glacio-eustatique d’âge hirnantien. Dans le détail, l’entablement gréseux sommital se divise en trois unités. La première, tabulaire, englobe des dépôts de marée très bioturbés ; elle est surmontée par le talus argileux de la deuxième unité traduisant une période interglaciaire (remontée du niveau marin). L’unité supérieure présente localement une base très érosive incisant profondément la sous-unité inférieure. Il s’agit là de chenaux sous-glaciaires, incisés lors du maximum glaciaire de la fin de l’Ordovicien et comblés par des sables déposés au front d’un glacier en cours de retrait.

Après quelques kilomètres, la route monte sur le plateau et circule ensuite sur une vaste surface désolée marquant la base de la transgression silurienne. Peu avant Tarhbalt et son ksar en ruine, la route plonge dans l’oued du même nom et recoupe alors toute la succession du Groupe du Deuxième Bani. Poursuivre sur la N12 qui va progressivement remonter vers Tazzarine au sein d’une vaste structure synclinale. Sur la gauche de la route, sont visibles en quelques points des collines argileuses constituées d’argilites claires du Silurien inférieur post-glaciaire.

Dans les déblais des puits, ces mêmes argilites, non oxydées, apparaissent cependant très sombres, riches en matière organique et en graptolites.

À l’entrée de Tazzarine, la route traverse à nouveau l’oued Tarhbalt. L’itinéraire se poursuit sur la R108 qui s’engage dans un large défilé (le Foum Tazzarine) remontant vers le nord. Sur les flancs réapparaissent les grès glaciogéniques du Groupe du Deuxième Bani que l’on recoupe ici en totalité jusqu’à retrouver les dépôts sous-jacents du Groupe du Ktaoua. La limite entre les deux groupes est marquée par un mince horizon-repère ferrugineux et fossilifère. À la sortie du défilé, en se retournant vers le sud, le Groupe du Deuxième Bani apparaît comme un enchevêtrement de sous-unités à bases érosives et de faible extension latérale. Sur ces surfaces d’érosion ont été mises en évidence des traces d’activité glaciaire (surfaces striées, déformation glaciotectonique, etc). La route oblique ensuite vers le NW, traverse les grès du Groupe du Premier Bani, et, en passant par Nkob, rejoint la N9 à Tansikht au sud de Agdz où l’on retrouve l’oued Drâa. Il est aussi possible, à partir de Tazzarine, de continuer le voyage vers l’est vers Erfoud en passant par Alnif.

DeuxIme-Bani

Fig. 6. – Le Groupe du Deuxième Bani entre Zagora et Tarhbalt.  alors toute la succession du Groupe du Deuxième Bani. Poursuivre sur la N12 qui va progressivement remonter vers Tazzarine au sein d’une vaste structure synclinale. Sur la gauche de la route, sont visibles en quelques points des collines argileuses constituées d’argilites claires du Silurien inférieur post-glaciaire.

Dans les déblais des puits, ces mêmes argilites, non oxydées, apparaissent cependant très sombres, riches en matière organique et en graptolites.

À l’entrée de Tazzarine, la route traverse à nouveau l’oued Tarhbalt. L’itinéraire se poursuit sur la R108 qui s’engage dans un large défilé (le Foum Tazzarine) remontant vers le nord. Sur les flancs réapparaissent les grès glaciogéniques du Groupe du Deuxième Bani que l’on recoupe ici en totalité jusqu’à retrouver les dépôts sous-jacents du Groupe du Ktaoua. La limite entre les deux groupes est marquée par un mince horizon-repère ferrugineux et fossilifère. À la sortie du défilé, en se retournant vers le sud, le Groupe du Deuxième Bani apparaît comme un enchevêtrement de sous-unités à bases érosives et de faible extension latérale. Sur ces surfaces d’érosion ont été mises en évidence des traces d’activité glaciaire (surfaces striées, déformation glaciotectonique, etc). La route oblique ensuite vers le NW, traverse les grès du Groupe du Premier Bani, et, en passant par Nkob, rejoint la N9 à Tansikht au sud de Agdz où l’on retrouve l’oued Drâa. Il est aussi possible, à partir de Tazzarine, de continuer le voyage vers l’est vers Erfoud en passant par Alnif.

© J.-F. Ghienne Q K. El Hariri1 , B. Lefebvre2, A. Soulaimani1 ,  K. Kouraïss1  et J.-F. Ghienne3 .

1 Faculté des Sciences et Techniques, Univ. Cadi-Ayyad,  40000 Marrakech, Maroc

2UMR CNRS 5276 LGLTPE, Univ. Lyon 1,  69622 Villeurbanne, France

3École et Observatoire des sciences de la Terre, Univ. Strasbourg, 67000 Strasbourg, France

cuesta

Fig. 2-14. – Association de faciès et géométrie des dépôts du Groupe du 1er Bani dans la région de Zagora. Ce transect stratigraphique d’une centaine de kilomètres réalisé le long de la cuesta du Jbel Rhart et du Jbel Tadrart est basé sur l’analyse détaillée de logs sédimentologiques et de corrélations stratigraphiques physiques. Il illustre la complexité stratigraphique de cette série d’apparence tabulaire (photo du Jbel Rhart, loc. fig. 2-10) mais qui se caractérise en réalité par d’importantes variations de faciès, l’existence de clinoformes de progradation, de multiples surfaces d’érosion, etc.

Processus et systèmes de dépôt Ces séries de plate-forme se sont accumulées sous l’action de deux familles de processus sédimentaires, témoignant de deux principaux types de systèmes de dépôt : (1) des courants unidirectionnels d’énergie et de charge sédimentaire variables, intervenant dans de vastes systèmes (fluvio-) deltaïques (au sens large, incluant des environnements à dynamique tidale) et (2) des courants oscillatoires liés à l’action de vagues de tempête remaniant les dépôts de cette plate-forme silico-clastique. La distribution dans l’espace et dans le temps des associations de faciès qui résultent de cette imbrication de processus est complexe et toujours en cours d’analyse. D’une manière générale, les dépôts (fluvio-) deltaïques dominent dans les domaines paléogéographiques proximaux et/ ou lors de phases régressives tandis que les dépôts de tempêtes s’accumulent préférentiellement en domaine distal et/ou lors de périodes transgressives.

Les grands cycles sédimentaires ordoviciens de l’Anti-Atlas La série ordovicienne de l’Anti-Atlas résulte donc d’un emboîtement complexe de cycles sédimentaires de différents ordres de fréquence. Trois cycles majeurs, englobant une multitude de cycles d’ordre inférieur, ont été ainsi définis (fig. 2-12).

Premier cycle (Ordovicien inférieur) Le premier cycle débute au Trémadoc par un ré-ennoyage du domaine de l’Anti-Atlas émergé lors du soulèvement régional du Cambrien supérieur. La reprise de subsidence qui fait suite à cet épisode est matérialisée par le débordement progressif (onlap) sur la surface d’émersion des dépôts argileux des formations des Fezouata de part et d’autre d’un dépocentre axé sur la région de Zagora – Vallée du Drâa. La phase transgressive est probablement très condensée, les premiers dépôts qui recouvrent en onlap les formations cambriennes étant déjà le plus souvent des faciès relativement profonds de plateforme distale.

Ce premier cycle se subdivise en deux séquences régressives, respectivement les formations inférieure (Trémadocien) et supérieure (Floien) des Fezouata, séparées par un mince horizon transgressif matérialisé par un niveau à oolites ferrugineuses. La deuxième séquence régressive se termine au Floien supérieur par la mise en place d’une puissante série gréseuse à faciès littoraux, la formation des Grès du Zini.

Cette formation dont l’épaisseur qui excède 400 m dans l’Anti-Atlas occidental se réduit à quelques mètres dans la région d’Alnif, avant de disparaître totalement plus à l’est (fig. 2-11).

Ce biseau sédimentaire est interprété comme résultant d’une troncature provoquée par un soulèvement régional de plus en plus accentué d’ouest en est. Il serait également en partie responsable de la lacune stratigraphique du Dapingien (Arenig supérieur p.p.) localement accompagnée d’une discordance de ravinement (Jbel Signit). Le sommet de ce premier cycle correspondrait donc probablement à un épisode de déformation à grande longueur d’onde de la marge nord-gondwanienne.

Deuxième cycle (Ordovicien moyen) Le deuxième cycle majeur est marqué par la grande transgression du Darriwilien matérialisée par des niveaux lenticulaires d’oolites ferrugineuses et par des niveaux condensés intercalés dans des faciès argilo-silteux de plate-forme distale (Formation du Tachilla). La phase régressive qui intervient ensuite aboutit à la mise en place d’une épaisse série à dominante gréseuse de très grande extension latérale formant le Groupe du 1er Bani. Dans la région de Zagora, cet ensemble gréseux a été découpé par J. Destombes en 5 formations argilo-gréseuses (fig. 2-12 et 2-13). La première, la Formation de Taddrist, enregistre le remplacement progressif de la sédimentation de plate-forme distale de la Formation sous-jacente du Tachilla par des dépôts gréseux progradants moins profonds.

La Formation de Bou Zeroual qui lui fait suite témoigne quant à elle d’une véritable chute du niveau marin relatif (régression forcée), responsable d’une rapide migration des systèmes sédimentaires vers l’aval et d’incisions locales.

Au-dessus, les formations de Guezzart et de Ouine-Inirne s’accumulent pendant une périodede bas niveau marin, avec une tendance à la fois aggradante et progradante vers le nord-ouest. La dernière unité du Groupe du 1er Bani, la Formation d’Izegguirene, s’inscrit quant à elle dans la grande phase transgressive marquant la base dutroisième grand cycle de l’Ordovicien supérieur.

Dans le détail, la géométrie des dépôts et la distribution des faciès au sein du Groupe du 1er Bani s’avèrent très complexes comme le montrent les travaux de thèse d’A. Marante (2008 ; fig. 2-14) et d’A. Meddour (2016), qui ont mis en évidence : (1) de multiples biseaux

stratigraphiques résultant des processus de progradation et de rétrogradation des systèmes sédimentaires, (2) des phénomènes de ravinement transgressif et d’incisions multiples probablement associées à des phases d’émersions, (3) une répartition complexe entre les faciès deltaïques (dominants vers le NE) et les faciès à dynamique de tempêtes (dominants au SW). Si l’organisation des dépôts dans la région de Zagora atteste clairement une polarité sédimentaire du SE vers le NW prouvée par la présence de clinoformes dirigés vers le NW, la réduction d’épaisseur de cette série et son accumulation dans de profondes incisions dans la partie nord-orientale de l’Anti-Atlas témoigne de mouvements verticaux très sensibles, et en particulier d’un soulèvement de ce domaine à l’Ordovicien moyen. Cette complexité rend difficile une extension du découpage stratigraphique établi dans la région de Zagora au reste de l’Anti-Atlas.

Troisième cycle (Ordovicien supérieur) Un nouvel ennoyage important de la plateforme ordovicienne se produit au Sandbien (Caradoc inférieur) et inaugure le début du 3e cycle majeur d’âge ordovicien supérieur. Cette transgression provoque le retrait des faciès gréseux du Groupe du 1er Bani et la généralisation d’une sédimentation argilo-silteuse de plateforme distale dans la partie inférieure du Groupe du Ktaoua (Formation inférieure du Ktaoua). Le recul des faciès gréseux paraît ici se faire de manière assez progressive comme en témoigne la rétrogradation des dépôts gréseux dans la région de Zagora (Formation d’Izegguirene au sommet du Groupe du 1er Bani) mais aussi plus à l’ouest (formations gréseuses de Foum Zguid et de Tissint). Après cette phase d’ennoyage, des systèmes argilo-gréseux progradants vont à nouveau progressivement et partiellement combler ce domaine au coursdu Katien inférieur (Caradoc supérieur). À ce stade se dessine très clairement une dépression centrale située au NE de la vallée du Drâa et vers laquelle vont converger du SW vers le NE les prismes de progradation de l’Anti-Atlas central et du NE vers le SW les prismes alimentés depuis l’Anti-Atlas oriental (fig. 2-15).

Dans l’Anti-Atlas central, cette phase régressive est matérialisée par les dépôts gréseux de la Formation de Bou Hajaj. Plus à l’est, ce sont les membres gréseux de Tiberguent, Tafersight et Tiouririne moyen de la Formation inférieure du Ktaoua qui témoignent de ce comblement.

Dans l’Anti-Atlas oriental, de profondes incisions (>75m) se forment sur la plate-forme en réponse à des phases de chute du niveau marin.

Leur remplissage complexe comprend des faciès conglomératiques chaotiques provenant d’une déstabilisation des bordures de l’incision et des faciès gréseux issus d’écoulements à composante gravitaire. La localisation de ces incisions coïncide avec la distribution de faciès à dominante deltaïque, alors que des dépôts à faciès de tempête s’accumulent à la même période plus vers le sud. Ces caractéristiques originales et en particulier cette polarité sédimentaire inverse à composante N−> S sont à prendre en compte pour les reconstitutions paléogéographiques et structurales.

stratigraphique-56

Fig. 2-15. – Transect stratigraphique réactualisé montrant en particulier (1) la progradation centrifuge des dépôts de l’Ordovicien supérieur en direction du dépocentre de la région de Zagora, (2) la structure relativement complexe de l’ensemble des séries ordoviciennes dans l’Anti-Atlas oriental (biseaux, surfaces d’érosion multiples, etc.), (3) le caractère extrêmement irrégulier de la surface d’érosion à la base des dépôts glaciogéniques hirnantiens.

Le reste du Groupe du Ktaoua comprend deux séquences T/R d’âge katien supérieur (Ashgill) et dont la durée est sensiblement inférieure à celle des séquences précédentes. Elles sont composées d’un empilement de séquences de plus haute fréquence, d’épaisseur pluri-décamétriques, et en général très dissymétriques puisque principalement formées par une succession de faciès argilo-gréseuse régressive limitée par des niveaux condensés. C’est l’empilement rétrogradant (lui-même souvent condensé) puis progradant de ces séquences de haute fréquence qui dessine les deux séquences du Katien supérieur.

Ces deux séquences sont caractérisées par deux unités gréseuses progradantes vers le NE dans l’Anti-Atlas central, correspondant aux formations de Rouid Aïssa inférieure et de Rouid Aïssa supérieure (aussi nommée Formation d’Er Rwaidat).

Plus à l’est et jusque dans l’Anti-Atlas oriental, il s’agit de la Formation supérieure de Tiouririne et de la Formation supérieure du Ktaoua qui progradent quant à elles vers le SW. D’un point de vue sédimentologique, ces deux dernières formations se caractérisent dans le domaine proximal de l’Anti-Atlas oriental par la généralisation des dépôts de tempête dont la répartition dépasse alors très largement celle correspondant au cycle précédent (Formation inférieure du Ktaoua).

Cette évolution peut être interprétée comme résultant d’une évolution de la physiographie de la plateforme favorisant une plus large pénétration des vagues de tempête et/ou une dégradation des conditions climatiques à l’Ashgill. Une autre caractéristique des séquences du Katien supérieur est le caractère souvent très marqué des phases transgressives qui se traduit par le développement de nombreux niveaux condensés.

Une telle succession suggère un ennoyage de plus en plus important de la plateforme qui semble culminer avec la transgression qui marque la base du Groupe du 2e  Bani à l’Hirnantien. Contrairement au cycle précédent où le Groupe du 1er Bani assure un comblement complet de la plateforme, un domaine à sédimentation d’offshore perdure dans la région du Drâa après la période d’accumulation du Groupe du Ktaoua au Katien. Ce domaine ne sera définitivement comblé qu’à l’Hirnantien par les dépôts de la partie inférieure du Groupe du 2e  Bani, qui associent des prismes progradants de régression forcée et des faciès transgressifs à empreinte tidale bien marquée (Loi et al., 2010 ; fig. 2-15). L’ensemble est tronqué par les surfaces d’érosion glaciaires remblayées par les dépôts glaciogéniques de la Formation supérieure du 2e  Bani (voir Ghienne et Razin, ce dossier).

Vers l’ouest, cette surface composite recoupe l’ensemble des formations sous-jacentes jusqu’à atteindre le Groupe du 1er Bani voire les Grès du Zini dans l’Anti-Atlas occidental (fig. 2-11).

Dans l’Anti-Atlas oriental, l’organisation précise des séries de l’Hirnantien antéglaciaire fait encore l’objet d’analyses de terrain. Le Groupe du Ktaoua est en général recoupé par une première génération de surfaces d’érosion qui dessine localement de profondes incisions  pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres (fig. 2-15). Le remplissage polyphasé de ces incisions est alors assuré par des dépôts gravitaires variés, comparables à ceux de la Formation inférieure des Ktaoua. C’est dans ce même intervalle stratigraphique, et également en relation avec des incisions, que se met en place le complexe gréso-carbonaté à bryozoaires d’Erfoud, jusqu’ici considéré comme plus ancien.

Conclusion

Si la stratigraphie ordovicienne de l’Anti-Atlas ne diffère pas fondamentalement des régions voisines (Sahara, Moyen-Orient, Europe) où les trois cycles majeurs sont également reconnus, la continuité tant spatiale que temporelle des séries étudiées, le contexte tectonique relativement stable, la qualité du contrôle biostratigraphique, la variété mais aussi la répétition des environnements de dépôt rencontrées permettent de se faire une idée de plus en plus précise du mode de fonctionnement des vastes plates-formes silicoclastiques du Paléozoïque inférieur. Celles-ci ont enregistré les variations de niveau marin, en particulier celles de l’Ordovicien supérieur qui est, avec le Crétacé, l’une des périodes de plus haut niveau marin absolu du Phanérozoïque. Paradoxalement, les prémices de la glaciation de la fin de l’Ordovicien se feront sentir pendant cette même période. Les séries ordoviciennes de l’Anti-Atlas gardent également en mémoire une part de l’évolution géodynamique globale affectant la marge paléozoïque du supercontinent Gondwana. Enfin, ces mêmes séries recèlent des niveaux à préservation exceptionnelle (Lägerstatte) en au moins deux points de l’Anti-Atlas (cf. Lefebvre et al. Et Guttierez-Marco et al., ce dossier), qui doivent leur existence aux processus sédimentaires particuliers qui existaient sur ces plates-formes. Pour de nombreux sujets en géosciences, les affleurements de l’Anti-Atlas, et tout particulièrement ceux exposant les séries de l’Ordovicien, restent un laboratoire de terrain hors norme.

Q Ph. Razin1 , J.-F. Ghienne2, A. Loi3 et A. Marante4 1Univ. Bordeaux Montaigne, EA 4592 - Géoressources Environnement, 1, allée Fernand Daguin, 33607, Pessac,France 2Univ. Strasbourg, UMR 7516 CNRS, Institut de Physique du Globe de Strasbourg, 1, rue Blessig, 67084 Strasbourg, France 3Dipartimento di Scienze della Terra, Via Trentino, 51, 09127 Cagliari, Italy 4TOTAL, CSTJF, avenue Larribau, 64000, Pau, France L’Anti-Atlas : une archive de la glaciation de la fin de l’Ordovicien À la fin des années 60, l’idée d’une glaciation d’âge ordovicien supérieur s’impose à la communauté des Sciences de la Terre. Desindices concordants, tout d’abord identifiés de la Mauritanie au Tchad, laissent imaginer une glaciation d’envergure comparable à l’actuel inlandsis antarctique qui aurait essentiellement touché l’Afrique du Nord et de l’Ouest alors positionnée aux hautes latitudes australes. Depuis, des dépôts glaciaires de même âge ont été reconnus plus à l’est, jusqu’en Iran et en Oman, vers le sud, jusqu’au cap de Bonne-Espérance, et vers l’ouest, sur une grande partie du continent sud-américain. Au nord, en Europe, des dépôts à galets lâchés par des glaces dérivantes sont connus du Portugal à la Bulgarie, en passant par la France (Bretagne, Normandie, Corse) ; des icebergs circulaient jusqu’en Pologne par de-là le paléo-océan Rhéique. C’est en fait l’ensemble du Gondwana occidental (Afrique jointe à l’Amérique du Sud) qui fut affecté par cette glaciation (fig. 2-16). Au Maroc, les séries sédimentaires de l’Ordovicien de l’Anti-Atlas (au sud) mais aussi de la Meseta (au nord) recèlent des archives glaciaires tout à fait exceptionnelles. On doit leur mise en évidence à J. Destombes, qui publie en 1968 deux courts articles : l’un démontre que les glaciers issus de l’actuel Sahara s’écoulaient jusqu’au Maroc ; l’autre apporte une donnée fondamentale quant à l’âge de cette glaciation en précisant l’âge hirnantien de son maximum d’extension, soit l’Ordovicien tout à fait terminal (âge aujourd’hui estimé autour de 444-445 millions d’années).

La poursuite du programme de cartographie géologique de l’Anti-Atlas aboutira à la synthèse de 1985 qui inspira et reste encore aujourd’hui la base de nombreux programmes de recherche dédiés au Paléozoïque du Maroc en général (voir Razin et al., ce dossier), et à l’Hirnantien glaciaire en particulier.

Gondwana-2

Fig. 2-16. – Reconstitution de l’inlandsis de la fin de l’Ordovicien sur le Gondwana occidental, à son maximum d’extension. L’Anti-Atlas était idéalement positionné pour enregistrer les fluctuations de la marge glaciaire (J.-F. Ghienne, in Nutz et al., 2013).

Cadre stratigraphique

Les archives dites glaciaires, sont constituées de dépôts glaciogéniques témoignant de l’activité de glaciers anciens aujourd’hui disparus.

Il s’agit au sens strict de moraines et de deltas juxtaglaciaires, par exemple, mais plus généralement de tout dépôt sédimentaire ou processus de déformation en lien avec le développement de masses de glaces d’échelle continentale.

À la lisière nord du Sahara, les archives glaciaires hirnantiennes sont rassemblées dans l’unité lithostratigraphique dite « Groupe du Deuxième Bani », du nom du jbel que l’on peut suivre en quasi-continuité de l’Anti-Atlas occidental (Foum el Hassane, Akka, Tissint…) jusqu’à l’Anti-Atlas central (Tagounite, Tazzarine, Oumjrane…), soit sur plus de 600 km (fig. 2-17 et 2-18 ; voir aussi dans ce dossier, Razin et al., fig. 2-10). Vers l’est, à partir d’Alnif et autour d’Erfoud, les affleurements du Groupe du Deuxième Bani constituent le remplissage de paléovallées et sont plus discontinus. Dans l’Anti-Atlas central, le Groupe du Deuxième Bani est lui-même subdivisé en deux sous-unités appelées formations inférieure et supérieure du Deuxième Bani (fig. 2-18A). La formation inférieure, plus ancienne, dépasse localement 200 m d’épaisseur. Reposant sans discontinuité d’érosion sur les sédiments marins sous-jacents du

Groupe du Ktaoua (fig. 2-17), elle enregistre sous la forme de cycles régression-transgression les variations de niveau marin glacio-eustatiques qui ont précédé l’arrivée des glaciers sur le domaine paléogéographique correspondant à l’Anti-Atlas d’aujourd’hui (fig. 2-18B). Ces cycles se marquent dans le paysage par des reliefs en cuesta caractéristiques, d’extension pluridécakilométrique, alternant des grès, anciens sables marins parfois fossilifères, et des niveaux plus argileux correspondant à des paléo-environnements plus profonds. Ces sédiments représentent des phases de chute ou de montée du niveau marin dans le premier cas, et des périodes interglaciaires de hauts niveaux marins dans le second.

La Formation supérieure du Deuxième Bani, à dominante gréseuse et non fossilifère, repose en discordance de ravinement sur la formation inférieure (fig. 2-18A). La formation supérieure, qui a une épaisseur moyenne de 50-75 m, peut dépasser 150 m au droit des ravinements majeurs. Elle reste cependant pelliculaire là où aucune érosion antérieure n’a eu lieu. La Formation supérieure du Deuxième Bani est formée par la juxtaposition de séquences discontinues encadrées par des surfaces d’érosion pour la plupart d’origine glaciaire (fig. 2-18C). Ces séquences, qui englobent des dépôts sous-glaciaires, glaciofluviaux, deltaïques, estuariens ou encore glaciomarins, traduisent une série d’avancées-retraits glaciaires associés à un inlandsis dont la marge fluctuait du sud au nord de l’Anti-Atlas. Lors du maximum de glaciation, la marge glaciaire dépassa le Haut Atlas pour atteindre le sud de la Meseta. La Formation supérieure du Deuxième Bani se termine par un entablement gréseux constitué d’anciens sables transgressifs postglaciaires montrant une rapide recolonisation du milieu par les faunes benthiques et annonciateurs de la grande transgression de la base du Silurien.

Tazzarine-6

Fig. 2-17. – La coupe de référence du Groupe du Deuxième Bani (Bou Ingarf, au SW de Tazzarine). Le contact avec les pélites vertes du Groupe du Ktaoua y est conforme (absence d’érosion basale).

L’arrivée brutale de faciès gréseux (entablement sommital) sur des faciès marins argileux reflète une des premières chutes majeures de niveau marin en lien avec le développement de la glaciation de la fin de l’Ordovicien. La hauteur de l’affleurement d’environ 350 m.

Dans l’Anti-Atlas occidental, le schéma stratigraphique est différent. La formation inférieure est ici absente et la base du Groupe du Deuxième Bani correspond à une surface d’érosion glaciaire composite et irrégulière, dans la continuité de la discordance de ravinement de l’Anti-Atlas central. Cette discordance entaille des dépôts préglaciaires de plus en plus anciens en se déplaçant de l’est vers l’ouest, jusqu’à atteindre l’Ordovicien inférieur ou le Cambrien dans le Zemmour (voir Razin et Ghienne, ce dossier).

Le Groupe du Deuxième Bani est ici constitué de sa seule formation supérieure. La dernière phase d’avancée-retrait est particulièrement bien préservée, puisque non reprise par un stade d’érosion glaciaire ultérieur. Cette disposition stratigraphique, les directions d’écoulements glaciaires, mais aussi des sédiments préglaciaires de plus en plus proximaux de l’est vers l’ouest dans l’Anti-Atlas occidental, indiquent une polarité amont-aval globalement du SW vers le NE. Cette orientation tourne du SE au NW dans l’Anti-Atlas central, se parallélisant avec la direction structurale de l’Ougarta en Algérie, et semble finalement s’inverser de l’est vers l’ouest (± 45°) dans l’Anti-Atlas oriental. Cettevorganisation reflète une zone de bassin, plus subsidente le long d’un axe d’orientation SE-NW, qui a accueilli et préservé les dépôts hirnantiens les plus anciens constituant la Formation inférieure du Deuxième Bani (Razin et al., fig. 2-15, ce dossier).

Bani-2

Fig. 2-18. – Stratigraphie du Groupe du Deuxième Bani.

A) Les formations inférieure (bien stratifiée) et supérieure (massive, à base érosive soulignée par le pointillé rouge ; environ 100 m d’épaisseur) du Deuxième Bani au sud de Tagounite. La formation supérieure constitue ici pour l’essentiel le remplissage d’une vallée en tunnel préalablement creusée par les eaux de fontes circulant sous le glacier.

B) La Formation inférieure du Deuxième Bani au nord de Tazzarine ; le ressaut gréseux et les deux niveaux argileux qui l’encadrent traduisent un grand cycle régressif-transgressif d’origine glacio-eustatique (de la route au toit du ressaut :

115 m). La formation supérieure, à base érosive, chapeaute les affleurements sur la droite.

C) La Formation supérieure du Deuxième Bani au NE de Tazzarine, montrant un aspect caractéristique plus chaotique, en fait organisé en vastes lentilles délimitées ici par 4 surfaces d’érosion. Au premier plan, la limite entre formations inférieure et supérieure du Deuxième Bani est la surface glaciaire n°1 ; à l’arrière-plan, elle correspond à la surface n°3 qui est associée au maximum d’extension glaciaire.

Les indicateurs de glaciation

La nature glaciaire du Groupe du Deuxième Bani a initialement été suggérée par J. Destombes sur la base (1) de galets d’origine exotique (granites, rhyolites) découverts en plusieurs points de l’Anti-Atlas, (2) d’un unique plancher glaciaire mis à jour dans la région de Foum Zguid, et (3) d’une analogie avec les roches de même âge, qui partout au Sahara voisin avaient montré une discordance de ravinement basal.

Cette interprétation est maintenant corroborée par une large panoplie de structures de dépôt, d’érosion ou de déformation à toutes les échelles, du centimètre à la dizaine de kilomètres. Depuis une quinzaine d’année, ont en effet été identifiés :

- de nombreux planchers glaciaires sur substrat meuble associant des stries centimétriques, des cannelures décimétriques et des flûtes glaciaires métriques à plurimétriques à divers autres indicateurs de cisaillement sous-glaciaire tels que fractures, plis en fourreaux ou bourrages (fig. 2-19A et B). Ces déformations ont affecté des sables chevauchés par la glace en mouvement.

La direction des linéations est très constante régionalement pour une même surface glaciaire ;

- des complexes glaciotectoniques (fig. 2-19C), véritables chaînes de montagnes miniatures montrant sur des dizaines de kilomètres carrés des plis, des chevauchements et des nappes de charriage décollés sur un horizon liquéfié intrudé de dykes sableux. Affectant des épaisseurs de sédiments proglaciaires pouvant dépasser 50 m, ces complexes glaciotectoniques peuvent marquer une stabilisation de front glaciaire, ou au contraire avoir été mis en place lors d’un épisode de crue glaciaire ;

- des tillites de déformation (ou « glaciotectonites ») de 1 à 5 m d’épaisseur, constituées de sédiments sous-glaciaires montrant de bas en haut un gradient de déformation de plus en plus intense, avec, en parallèle, un mélange croissant d’éléments locaux et transportés ;

planchers-glaciaires

Fig. 2-19. – Indicateurs d’écoulements glaciaires dans l’Ordovicien de l’Anti-Atlas (flèches noires).

(A) et (B) Exemples de planchers glaciaires à stries et cannelures entre Foum Zguid et

Tagounite.

(C) Écaillage glaciotectonique au nord d’Alnif (épaisseur : environ 40 m).

glaciomarins

Fig. 2-20. – Dépôts glaciomarins. (A) galet lâché par des glaces dérivantes dans une matrice argilo-gréseuse (Jbel Amessoui, au sud de Mcissi). (B) et (C) blocs striés (secteur d’Erfoud).

- des dépôts glaciomarins, scellant parfois directement les planchers glaciaires, dont la principale caractéristique est la présence d’éléments lâchés surdimensionnés (galets et blocs) dans une matrice argilo-gréseuse (fig. 2-20A). Ces éléments sont d’origine locale (grès, nodules) ou lointaine (quartz filonien, roches métamorphiques et magmatiques) ; certains sont striés sur une ou deux faces (fig. 2-20B et C), présentant ou non des facettes d’usure traduisant leur façonnement sous-glaciaire ;

- des planchers glaciels, montrant des stries, cannelures et bourrelets frontaux résultant du passage de glaces flottantes (icebergs, banquise, débâcles) dont la quille griffait ou labourait un fond sableux non consolidé (fig. 2-21C). Les directions sont alors très variables à l’échelle de l’affleurement ; - des incisions glaciaires correspondant à des surfaces d’érosion d’ampleur pluridécamétrique taillées dans le substrat sous-glaciaire (fig. 2-18C).

 Elles sont soulignées à l’affleurement par des planchers glaciaires et/ou des tillites de déformation ;

- des vallées en tunnel, creusées par les eaux de fontes circulant sous la glace (fig. 2-18A). Elles forment de vastes structures chenalisantes, de 50 à 150 m de profondeur, pour des largeurs de 0,5 à quelques kilomètres, et dont l’extension cartographique peut largement dépasser la dizaine de kilomètres. Les vallées en tunnel montrent peu de déformation glaciaire associée ; dans certains cas, leur substratum ou leur remplissage initial est traversé d’injections sableuses ;

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Fig. 2-21. – Indication de glaces non associées à des glaciers. (A) Structure circulaire formée par la fusion progressive d’une lentille de glace de permafrost (ouest de Taghbalt). (B) empreintes de cristaux de glace dans le remplissage des structures circulaires. (C) Stries glacielles, probablement formées par un radeau de glace dérivante griffant le fond sableux.

- des indices de permafrost discontinu, sous la forme d’ensembles de structures circulaires juxtaposées de 10 à 50 m de diamètre, témoignant de la fonte de lentilles de glace de ségrégation.

Chacune fonctionnant comme un mini-bassin en affaissement, elles accueillent des dépôts sableux préservant des rides de vagues surimposées par des empreintes de cristaux de glace (fig. 2-21A et 2-21B) ;

- des dépôts de hautes énergies (faciès proglaciaires de crue, écoulements sous-glaciaires d’eau de fonte, conglomérats, figures d’échappement d’eau, glissement en masse sur les fronts de delta, systèmes chenaux-levées, etc) qui ne se rencontrent ni dans l’Ordovicien et le Cambrien préglaciaire (à l’exception du thalweg de quelques structures de type canyons sous-marins), ni dans le Silurien postglaciaire. Ces dépôts sont eux aussi de bons indicateurs de l’environnement glaciaire au sens large.

Les recherches en cours L’Hirnantien de l’Anti-Atlas apparaît comme l’une des archives les plus complètes à l’échelle mondiale pour la glaciation de la fin de l’Ordovicien. Son intérêt premier avait été de montrer l’extension vers le nord des glaciers sahariens. Leur étude a également permis de reconstituer un véritable scénario de glaciation, avec des récurrences d’avancées etde retraits glaciaires, formant ensemble une longue séquence d’englaciation progressive entrecoupée de phases de déglaciation, suivie d’une déglaciation rapide mais comprenant des phases de stagnation, voire de ré-avancée. Aujourd’hui, les travaux en cours par différentes équipes sur le Groupe du Deuxième Bani sont de trois ordres : (1) affiner le scénario paléoclimatique, en particulier celui de la déglaciation, et si possible en préciser le calendrier biostratigraphique et quantifier les amplitudes de variation de niveaux marins associées ; (2) comprendre, à partir de l’étude de sédiments glaciaires anciens – qui donnent accès à des observables indisponibles si on se limite aux glaciers actuels ou même quaternaires –, certains des mécanismes de dépôts/déformation glaciaires au sens large (hydrologie sous-glaciaire ; processus glaciotectoniques)  ; (3) évaluer à l’échelle continentale les flux d’érosion/transfert/sédimentation en contexte de glaciation, en utilisant l’Anti-Atlas comme un jalon incontournable entre les enregistrements les plus proximaux (Mauritanie, Algérie) et les réceptacles sédimentaires ultimes à la marge du Gondwana (Meseta marocaine, Europe). En dépit de plus de 50 années de recherches, le Groupe du Deuxième Bani n’a pas encore livré tous ses secrets.

Q J.-F. Ghienne1  et Ph. Razin2

1 Institut de Physique du Globe de Strasbourg, UMR 7516 CNRS  Univ. de Strasbourg, 67084 Strasbourg, France

2Univ. Bordeaux Montaigne, EA 4592 - Géoressources & Environnement,  33607, Pessac, France

3/Les Lagerstätten ordoviciens

Les Fezouata : le Burgess Shale ordovicien du Maroc

Au tout début du 21e siècle, la vallée du Drâa (fig. 3-1), dans le Sud marocain, a été le cadre d’une découverte paléontologique majeure qui a révolutionné notre compréhension des toutes premières diversifications animales au début du Phanérozoïque.

Un jalon entre Explosion cambrienne et Grande Biodiversification ordovicienne Il y a environ 550 à 525 millions d'années, les communautés dites d'Ediacara, qui ont dominé les écosystèmes marins du Protérozoïque terminal, déclinent puis disparaissent. Elles sont remplacées progressivement par les premières communautés animales du Cambrien (époque datant de 541 à 485 millions d’années). Cette transition majeure dans l'histoire de la vie sur Terre, souvent qualifiée d’«  Explosion cambrienne », marque le début des temps phanérozoïques (du grec phaneros, visible et zôon, animal). Elle témoigne d’une importante complexification des écosystèmes marins, en relation étroite avec l’apparition des plus anciens représentants connus des principaux phylums animaux (annélides, arthropodes, brachiopodes, chordés, échinodermes, mollusques).

Notre connaissance de la vie marine au cours du Cambrien repose très largement sur des faunes provenant de gisements dits « à préservation exceptionnelle » (ou Lagerstätten) dans lesquels, en raison de conditions taphonomiques et/ou diagénétiques très particulières, non seulement les « squelettes » des animaux sont conservés (carapaces, coquilles), mais aussi leurs restes organiques peu ou pas minéralisés (voir le dossier sur ce sujet publié dans le n°141 de Géochronique). Par conséquent, les assemblages récoltés dans les Lagerstätten offrent un aperçu moins parcellaire, plus proche de la composition  originelle des communautés que les gisements fossilifères classiques, où seuls les restes minéralisés sont conservés.

plaine-Ternata

Fig. 3-1. – Baignée au sud par le Drâa, la plaine des Ternata s'étend au nord de Zagora sur plus de 700 km2.

La Formation des Fezouata (Ordovicien inférieur), principalement constituée de silts fins, y affleure très largement, au pied des falaises gréso-quartzitiques du Premier Bani (Ordovicien moyen) ou localement protégées par des terrasses alluviales quaternaires.

L'Explosion cambrienne est remarquablement bien documentée, en raison du grand nombre de Lagerstätten découverts en Australie (Emu Bay Shale), en Chine (Chengjiang) ou encore au Groenland (Sirius Passett), dans des niveaux datés des Séries 2 et 3 du Cambrien. Largement popularisé par Stephen J. Gould dans son ouvrage La vie est belle, le site de Burgess Shale en Colombie britannique (Canada) est néanmoins probablement le plus célèbre de tous les Lagerstätten de cette période. Les assemblages marins à conservation exceptionnelle sont très diversifiés et indiquent que les organismes à squelette minéralisé ne constituaient qu'une composante mineure des communautés dès le Cambrien. Ils permettent également de mettre en évidence que les principaux phylums animaux étaient présents dès la Série 2 du Cambrien (forte disparité anatomique), mais que chacun d'entre eux n'était représenté que par un nombre réduit d'espèces (faible diversité taxonomique).

Au cours de l’Ordovicien (485-443 Ma), la diversification s’est poursuivie à un rythme effréné au sein de chaque phylum apparu précédemment au cours du Cambrien, avec une augmentation quasi-exponentielle de la biodiversité marine.

Cette « Grande Biodiversification ordovicienne » s’est achevée par l'une des cinq crises biologiques majeures du Phanérozoïque, étroitement corrélée à une forte dégradation climatique : la glaciation hirnantienne (voir article de Ghienne et Razin, dans ce dossier). Toutefois, contrairement à l'Explosion cambrienne, la Grande Biodiversification ordovicienne est quasi-exclusivement documentée à partir des groupes fossiles qui possèdent un test minéralisé, présentant, par conséquent, un fort potentiel de préservation. Jusqu'au début des années 2000, seuls deux Lagerstätten étaient connus dans l'Ordovicien.

Le premier, Beecher's Trilobite Bed (Katien de l'État de New York, États-Unis), est associé à des environnements très particuliers (sources hydrothermales profondes), dans lesquels prospéraient des faunes peu diversifiées, dominées par quelques arthropodes probablement chimiohétérotrophes. Le second Lagerstätte, Soom Shale (Hirnantien d'Afrique du Sud), correspond quant à lui à des fonds anoxiques, où seuls des restes d’organismes pélagiques (vivant dans la colonne d'eau) ont été conservés (arthropodes, céphalopodes, conodontes, poissons agnathes).

Malgré la multiplication du nombre de Lagerstätten ordoviciens découverts au début du 21e siècle, aucun d’entre eux n’a fourni de faunes marines riches et diversifiées, qui pourraient être comparées à celles recueillies dans les nombreux gisements à conservation exceptionnelle des Séries 2 et 3 du Cambrien. La plupart de ces Lagerstätten ordoviciens sont en effet associés à des conditions environnementales très particulières ou extrêmes : remplissage d'un cratère d'impact (Winneshiek, dans le Darriwilien de l’Iowa, États-Unis), milieux abyssaux (Llanfawr, dans le Sandbien du Pays de Galles) ou saumâtres (sites du Katien du Manitoba, Canada). Notre connaissance de la Grande Biodiversification ordovicienne repose donc essentiellement sur les restes d'organismes pourvus de tests minéralisés, qui ne constituaient qu'une fraction mineure de la biodiversité originelle.

Découvert au début des années 2000 par Mohamed Ben Moula (voir encadré) dans l’Ordovicien inférieur de la plaine des Ternata, au nord de Zagora (Maroc), le Lagerstätte des Fezouata est, à ce jour, le seul gisement ordovicien à conservation exceptionnelle ayant livré des faunes marines abondantes et diversifiées. Il permet donc de comparer, à préservation plus ou moins équivalente, des assemblages caractéristiques de l’Explosion cambrienne avec ceux, 20 à 30 millions d’années plus récents, de la Grande

Biodiversification ordovicienne.

Mohamed Ben Moula, l'homme qui parlait à l'oreille des fossiles

Mohamed-Ben-Moula

Né en 1952 à Alnif, dans une famille berbère très modeste, Mohamed Ben Moula s'est tourné très tôt vers la recherche et la vente de fossiles, notamment de trilobites, particulièrement abondants dans les terrains paléozoïques environnants. Ses investigations l'ont conduit à explorer des secteurs de plus en plus éloignés, l'amenant à aller fouiller jusque dans la vaste plaine des Ternata, à plus de 200 km de son domicile. C'est dans cette région qu’au cours de l'hiver 1999-2000, il découvre un échantillon complet d'aglaspidide, un arthropode dont la carapace, faiblement sclérotisée n'est généralement pas préservée à l'état fossile (fig. 3-5A). Ce spécimen, exposé chez un important négociant de fossiles d'Alnif, attira l'attention de Peter Van Roy, un jeune doctorant belge en paléontologie de passage dans la région, qui rencontra Mohamed Ben Moula et l'incita à poursuivre ses recherches sur le terrain.

Pendant plusieurs années, ce dernier va explorer de manière méthodique les vastes étendues désertiques s'étendant sur près de 700 km entre la vallée du Drâa et les falaises du Premier Bani, au Nord de Zagora. Ne sachant ni lire, ni écrire, sans aucune formation en géologie, Mohamed Ben Moula va ainsi acquérir une connaissance extrêmement fine de la distribution des faunes, à la fois dans le temps et dans l'espace. De manière très empirique, il sera le premier à identifier les intervalles à préservation exceptionnelle puis, à l'intérieur de ceux-ci, à comprendre la relation très étroite entre horizons fossilifères et faciès (tempestites distales). Allongé sur le sol, il peut ainsi détecter de fines nuances de couleur ou de subtiles variations de lithologie qui lui permettent de repérer, de manière quasiinfaillible, la présence d'une lentille fossilifère de quelques millimètres d'épaisseur. S'étant construit sa propre stratigraphie et ayant identifié les lithologies les plus favorables, Mohamed

Ben Moula a très rapidement multiplié les découvertes spectaculaires (de limules minuscules aux anomalocaridides géants de 2 mètres de long).

Collaborant très rapidement avec des scientifiques du monde entier, il les a non seulement guidés sur tous ses gisements, mais leur a aussi mis de côté les milliers de fossiles à préservation exceptionnelle qu'il y a découverte. En 2017, la Palaeontological Association britannique lui a décerné le prix Mary Anning, pour sa contribution extraordinaire à la paléontologie.

Contexte historique L’exploration scientifique de l’Anti-Atlas central et, plus particulièrement, de la région de Zagora débute dès le 19e  siècle avec les expéditions menées par l’Allemand Friedrich Rohlf (1862), puis le Français Charles de Foucauld (1883-1884), au cours desquelles sont effectuées les premières observations principalement géographiques et géomorphologiques sur la région. L’exploration géologique ne démarre toutefois véritablement que dans les années 1920-1930, avec le levé des premières coupes par Jacques Bondon, Louis Clariond et Louis Neltner.

Ces travaux essentiellement cartographiques permettent d’identifier la présence de roches ordoviciennes dans l’Anti-Atlas dès 1929 puis, au cours de la décennie suivante, d’y récolter les premiers fossiles datés de l’Ordovicien inférieur (Floien). Brièvement interrompus au début de la seconde guerre mondiale, les travaux de cartographie se poursuivent sous l’impulsion notamment de Georges Choubert (fig. 3-2) qui propose, dès 1942, de subdiviser la succession ordovicienne de l’Anti-Atlas en quatre grandes unités lithostratigraphiques : Schistes des Feijas externes, Quartzites du Premier Bani, Schistes du Ktaoua et Quartzites de Beni Selmane ou Deuxième Bani. C’est également Choubert qui, au début des années 1950, mettra en évidence la présence du Trémadocien dans la région située entre Agdz et Zagora, suite à la découverte d’une faune caractéristique de trilobites géants.

Georges-Choubert

Fig. 3-2. – Le géologue français Georges Choubert (1908 - 1986) sur le terrain en 1967, dans le Haut-Atlas. Les travaux de cartographie géologique réalisés par Jacques Destombes dans l'ensemble de l'Anti-Atlas au cours des années 1950 à 1980 lui permettent de préciser considérablement la stratigraphie et la géométrie des dépôts (voir article de Vidal et al. dans ce dossier). Il va ainsi subdiviser le Groupe des Feijas externes en quatre unités successives (voir article de Razin et al. dans ce dossier) : la Formation inférieure des Fezouata (Trémadocien), la Formation supérieure des Fezouata (Floien), la Formation du Zini (Floien) et la Formation du Tachilla (Darriwilien). Il récolte également des milliers de fossiles, parfaitement localisés géographiquement et stratigraphiquement, qu’il étudiera lui-même ou transmettra aux spécialistes des groupes concernés. Tous les échantillons de la collection Destombes récoltés et/ou décrits dans l'Ordovicien inférieur de la région de Zagora appartiennent soit à des organismes planctoniques à test organique (acritarches, chitinozoaires, graptolites), soit à des animaux pourvus d'un squelette minéralisé : bivalves, brachiopodes, céphalopodes, conulaires, échinodermes, gastéropodes, hyolithes, ostracodes et trilobites.

Ils constituent un assemblage caractéristique de l’Ordovicien inférieur, qui montre de fortes affinités avec les faunes contemporaines de la

Montagne noire (France) et, dans une moindre mesure, d’Argentine et du Pays de Galles. Ces trois régions étaient alors situées, tout comme l'Anti-Atlas marocain, à des latitudes élevées dans l’hémisphère Sud.

Contexte géologique

Au cours de l’Ordovicien, l’Anti-Atlas marocain formait une vaste plateforme silicoclastique peu profonde, située à des latitudes élevées (60 à 70°S) en bordure du continent Gondwana. C’est dans la région de Zagora que les dépôts de l’Ordovicien inférieur sont les plus épais (environ 900 mètres de puissance). D’un point de vue géomorphologique, le Groupe des Feijas externes y forme les plaines et les dépressions où s’écoule le Drâa, entre les reliefs formés par les barres gréseuses sous-jacentes du Tabanite (Miaolingien) et celles, surincombantes, du Premier Bani (Darriwilien supérieur – Sandbien inférieur). En l’absence de niveau-repère dans cette région, les deux unités inférieures du Groupe des Feijas externes y sont généralement regroupées pour former la Formation des Fezouata (Trémadocien inférieur – Floien supérieur). Elle est constituée de siltites vertes, bleues ou beiges très monotones (900 mètres ; fig. 3-3), surmontées par les niveaux plus grossiers (barres gréseuses) de la Formation du Zini (Floien terminal, environ 10 mètres d'épaisseur). Les formations des Fezouata et du Zini correspondent à un même cycle de deuxième ordre, qui débute par les dépôts du Trémadocien inférieur, transgressifs et discordants sur les grès cambriens, et qui s’achève par les niveaux régressifs de la fin du Floien.

L’analyse sédimentologique des dépôts de l’Ordovicien inférieur de la plaine des Ternata suggère la persistance, durant la plus grande partie de cet intervalle, des mêmes conditions environnementales, avec une action prédominante des tempêtes, modulée par l’influence des marées. Elle permet également de mettre en évidence l’existence de conditions plus proximales vers le sud-est (notamment dans la plaine des Fezouata, au sud de Zagora) et, inversement, plus distales, en direction du nordouest (dans la plaine des Ternata, en direction d’Agdz). Les tempêtes semblent avoir joué un rôle prépondérant à la fois dans la structuration des communautés, et dans l’établissement de conditions favorables (ou non) à leur préservation. Les horizons à conservation exceptionnelle sont ainsi généralement lenticulaires, peu épais (quelques millimètres) et scellés par un fin dépôt de tempête distale. Ils sont associés à des milieux relativement peu profonds (50 à 150 mètres), situés immédiatement en-dessous de la limite d’action des vagues de tempête. Chaque niveau résulte donc de l’enfouissement in situ et quasiinstantané d’une communauté essentiellement benthique (même si des restes d’organismes vivant dans la colonne d'eau sont préservés également) par une fine couche de sédiment. La réalisation de forages à l’aplomb de plusieurs sites fossilifères de la région de Zagora (fig. 3-4) a montré que cet ensevelissement et l’anoxie qui en résultait dans le sédiment représentent des conditions nécessaires, mais non suffisantes pour la préservation exceptionnelle : certains minéraux argileux semblent ainsi avoir joué un rôle majeur en ralentissant, voire en inhibant la dégradation des parties molles par les bactéries (voir encadré).

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Fig. 3-3. – Chantier de fouilles dans les silts bleus de l'intervalle inférieur à préservation exceptionnelle (Trémadocien supérieur). L'horizon fossilifère a été dégagé, afin d'analyser la distribution spatiale des organismes au sein d'un même niveau.

Préservation exceptionnelle et cycles orbitaux L'analyse minéralogique par diffractométrie des rayons X (DRX) d'échantillons de sédiment prélevés dans l'intervalle inférieur du Lagerstätte des Fezouata (Trémadocien supérieur ; fig. 3-4) a permis de mettre en évidence que la distribution de certaines phases argileuses, et en particulier de chamosite, était étroitement corrélée à celle de la préservation exceptionnelle. La chamosite, un minéral argileux riche en fer, résulte de la conversion de la berthiérine au cours de la diagenèse. Des expériences de taphonomie expérimentale ont montré que la berthiérine détruisait les parois bactériennes et contribuait ainsi à ralentir les processus de décomposition. Cette caractéristique s'accorde donc bien avec les résultats des analyses de DRX, les parties molles n'ayant été conservées que dans les niveaux riches en chamosite (ex-berthiérine).

Ces analyses montrent également que la concentration en chamosite varie de manière non-aléatoire et cyclique. En faisant l'hypothèse d'un taux de sédimentation relativement constant, il semblerait que les pics successifs de chamosite – et par conséquent, les horizons à préservation exceptionnelle – observés le long des carottes correspondent à des cycles d'environ 100 000 ans. Une telle cyclicité évoque celle de l'excentricité terrestre, dont les orbites autour du soleil sont plus ou moins circulaires ou elliptiques.

Ces variations cycliques de l'excentricité terrestre (tous les 100 000 ans) peuvent avoir des conséquences sur le climat. Ainsi, lorsque l'orbite terrestre est circulaire, la distance au soleil reste à peu près constante et les variations saisonnières sont alors faibles. Au contraire, lorsque la trajectoire de la Terre devient plus elliptique, les contrastes saisonniers sont davantage marqués. Il en résulte que l’altération et l’érosion des continents s'accroissent, d'où des flux plus importants d’éléments chimiques, dont le fer, vers les océans.

Ce fer réagit avec les phases argileuses primaires déjà présentes sur le fond marin, telles que l’illite ou la kaolinite, pour former de la berthiérine. Celleci, combinée à des conditions environnementales favorables (enfouissement des organismes par des dépôts de tempête, anoxie) favorise le ralentissement des processus de dégradation des parties molles et leur préservation. Le Lagerstätte des Fezouata permet donc de suggérer un probable contrôle de la conservation exceptionnelle par une horloge astronomique.

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Fig. 3-4. – Forage à l'aplomb d'un site à préservation exceptionnelle du Trémadocien supérieur de la région de Zagora. L'analyse des carottes ainsi obtenues apporte de précieux renseignements sur le milieu de dépôt (faciès sédimentaires, géochimie) et l'âge des niveaux (analyses palynologiques).

Dans la plaine des Ternata, ces conditions optimales ont été réunies dans deux intervalles.

Le premier, épais d’environ 70 mètres, est situé dans la partie inférieure de la coupe. Daté du Trémadocien supérieur, cet intervalle est celui qui a livré non seulement le plus grand nombre de niveaux à préservation exceptionnelle, mais aussi les faunes les plus abondantes et les plus diversifiées. Environ 240 mètres plus haut, un second intervalle à conservation exceptionnelle, d’extension plus réduite (environ 50 mètres d’épaisseur), a été identifié. Daté du Floien moyen, il a livré de nombreux niveaux fossilifères, mais les organismes à préservation exceptionnelle y sont peu nombreux et peu diversifiés.

La faune du Lagerstätte des Fezouata Les niveaux à préservation exceptionnelle des Fezouata permettent de documenter une faune marine particulièrement riche et diversifiée (plus de 200 taxons répertoriés), principalement constituée d'arthropodes, d'échinodermes et d'éponges.

Les organismes à tests minéralisés – les seuls à avoir été récoltés et décrits jusqu'alors – ne représentent que 30 à 40 % de la biodiversité totale connue aujourd'hui. Les assemblages sont donc très largement dominés par des organismes dont la paroi du corps était faiblement minéralisée ou sclérotisée (fig. 3-5). Parmi ceux-ci, le Lagerstätte des Fezouata a livré les plus anciens représentants connus de plusieurs groupes d'arthropodes (par exemple : cirripèdes, euryptérides, limules), ce qui semble indiquer que, même au sein de la composante peu minéralisée des assemblages, la Grande Biodiversification ordovicienne était déjà bien amorcée et qu'elle a même débuté plus tôt que jusqu'alors admis, dès l'Ordovicien inférieur.

Toutefois, la grande majorité des organismes peu minéralisés de la Formation des Fezouata appartiennent à des groupes typiques des Lagerstätten cambriens et le plus souvent considérés comme éteints à la fin du Miaolingien : c'est le cas notamment d'arthropodes tels que les anomalocaridides et les marrellomorphes (fig. 3-5B), des sachitides (mollusques primitifs) ou encore de plusieurs formes de démosponges.

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Fig. 3-5. – Fossiles à préservation exceptionnelle du Lagerstätte des Fezouata (Trémadocien supérieur).

A) Tremaglaspis, un arthropode aglaspidide (coll. univ. Lyon 1).

B) Furca, un arthropode marrellomorphe (coll. univ. Marrakech).

C) Palaeoscolex, un ver palaeoscolécide (coll. univ. Marrakech).

La préservation de parties molles et/ou faiblement minéralisées représente un aspect spectaculaire du Lagerstätte des Fezouata, qui a permis de révéler l'anatomie, et parfois même de préciser les affinités biologiques, de plusieurs groupes d'organismes énigmatiques.

Parmi ceux-ci, les machaeridiens n'étaient connus jusqu'alors que par leurs éléments squelettiques, généralement retrouvés isolés dans les dépôts paléozoïques. Rapprochés depuis 150 ans tantôt des annélides, des arthropodes, des échinodermes ou des mollusques, ces fossiles problématiques ont finalement pu être attribués aux annélides, suite à la découverte dans le Lagerstätte des Fezouata d'individus entièrement articulés et dont les parties molles étaient conservées. De la même manière, la découverte de parties molles préservées chez les stylophores (fig. 3-6), un autre groupe de fossiles  énigmatiques du Paléozoïque interprétés soit comme des échinodermes, soit comme des chordés primitifs (ou calcichordés), a permis de démontrer que ces organismes étaient bien des échinodermes. Enfin, la préservation de structures internes (tube digestif) chez de nombreux autres fossiles (hyolithes, trilobites, fig. 3-7) apporte de précieux renseignements sur leur anatomie et leur mode de vie. Par exemple, certaines plaques fossilifères montrent des trilobites de l'espèce Ampyx priscus tous alignés dans le même sens, témoignant d'un comportement collectif. L'une des hypothèses retenues propose des regroupements avec alignements et déplacements lors de migrations vers des environnements un peu plus profonds, afin d'échapper aux courants et à la turbidité liés aux tempêtes (voir actualité sur ce sujet, dans le numéro 152 de Géochronique).

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Fig. 3-6. – Préservation exceptionnelle de parties molles chez un échinoderme stylophore du Trémadocien supérieur de la Formation des Fezouata. A) Bohemiaecystis sp., individu en vue latérale (coll. univ. Marrakech). B) Cartographie élémentaire du fer réalisée chez le même individu, faisant apparaître les parties molles (colorées en vert) préservées dans le bras nourricier (pieds ambulacraires) et à l'intérieur du test (tube digestif). La préservation des parties molles permet de démontrer que les stylophores possédaient un bras comparable à celui des crinoïdes actuels (lys de mer, comatules) et non une queue musculeuse pourvue d'une notochorde, comme chez les vertébrés.

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Fig. 3-7. – Préservation exceptionnelle de parties molles ou faiblement sclérotisées chez différents fossiles du Lagerstätte des Fezouata (Trémadocien supérieur). A) Hyolithe dont le tube digestif est conservé à l'intérieur de la coquille (coll. univ. Yale).

B) Trilobite (Bavarilla) dont plusieurs appendices locomoteurs sont préservés, notamment sur le côté droit de la carapace (coll. univ. Marrakech). C-D) Autre échantillon de trilobite (Bavarilla) dont les antennes (à l'avant) et des appendices locomoteurs (sur le côté droit) sont conservés (coll. univ. Marrakech).

L'analyse paléoécologique de la Formation des Fezouata a permis de mettre en évidence la succession, au cours du temps, de trois types d'assemblages. Le premier est caractérisé par l'abondance de restes d'organismes planctoniques (acritarches, chitinozoaires, graptolites) et l'absence (ou l'extrême rareté) de faunes benthiques. Il se rencontre uniquement dans la partie inférieure de la coupe (Trémadocien inférieur à moyen) et il est associé à des fonds anoxiques. Le second type d'assemblages est celui qui a livré la majorité des niveaux à préservation exceptionnelle (Trémadocien supérieur). Il est caractérisé par des communautés peu diversifiées, dominées par un ou deux taxons localement très abondants. Celles-ci se sont développées lors d'épisodes de colonisation du fond marin par des organismes opportunistes, capables de s'implanter et de proliférer dans des milieux faiblement oxygénés. Le troisième type d'assemblages se rencontre principalement dans la partie supérieure de la coupe (Floien). Il est caractérisé par des faunes benthiques très riches et diversifiées, dominées par des brachiopodes articulés, des mollusques et des trilobites. Ces assemblages semblent correspondre à des communautés spécialisées, adaptées à des environnements légèrement moins profonds et bien oxygénés. Par conséquent, la très forte biodiversité observée dans la Formation des Fezouata est essentiellement cumulative : la majorité des organismes à préservation exceptionnelle ayant été récoltés dans des associations très peu diversifiées.

Les Fezouata : un Lagerstätte unique La découverte du Lagerstätte des Fezouata a largement contribué à modifier notre compréhension des premières diversifications animales au cours du Paléozoïque. En effet, les gisements de la région de Zagora démontrent que de très nombreux groupes considérés jusqu'alors comme caractéristiques de l'Explosion cambrienne (par exemple : anomalocaridides, démosponges, lobopodes, marrellomorphes, sachitides) étaient non seulement encore présents, mais abondants et diversifiés au Trémadocien supérieur (fig. 3-8).

Leur coexistence avec des organismes typiques de la Grande Biodiversification ordovicienne (par exemple : crinoïdes, étoiles de mer, graptolites, ostracodes) suggère que ces deux événements évolutifs appartiennent vraisemblablement à une seule et même phase de diversification majeure, plus ou moins continue du Cambrien à la fin de l'Ordovicien.

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Fig. 3-8. – Reconstitution artistique d'un fond marin du Trémadocien supérieur de la région de Zagora.

Le cadavre d'un Aegirocassis benmoulai (arthropode anomalocaridide pélagique de grande taille) échoué sur le fond, au milieu d'une prairie d'échinodermes éocrinoïdes, attire de nombreux organismes nécrophages, parmi lesquels différents types d'arthropodes (aglaspidides, marrellomorphes, trilobites), ainsi que des vers et des étoiles de mer primitives. Reconstitution réalisée par Madmeg.

La présence de nombreux groupes emblématiques des Lagerstätten cambriens dans l'Ordovicien inférieur du Maroc, tout comme la préservation de parties molles ont logiquement conduit à interpréter les sites de la région de Zagora comme une sorte de « Burgess Shale ordovicien ». Malgré des similitudes avec les sites cambriens, les processus taphonomiques à l'origine de la préservation exceptionnelle dans les Fezouata semblent toutefois différents. En effet, contrairement aux Lagerstätten cambriens (par exemple, Burgess Shale, Chengjiang), les seuls restes originellement mous conservés dans les sites des Fezouata sont ceux abrités à l'intérieur de carapaces ou de coquilles.

Il semblerait par conséquent que les conditions de préservation aient été moins favorables et n'aient pas permis la conservation de parties molles originellement externes. Ce biais taphonomique explique probablement l'absence dans les sites marocains d'organismes totalement dépourvus d'éléments squelettiques (par exemple : méduses, chordés primitifs), alors que ceux-ci sont présents dans la plupart des Lagerstätten cambriens. Par conséquent, malgré leur extraordinaire richesse, il est probable que les sites marocains ne révèlent qu'une partie de leur biodiversité originelle.

Q B. Lefebvre1 , M. Akodad2, K. El Hariri3,  J. C. Gutiérrez-Marco4, K. Kouraïss3, B. Pittet1 ,  F. Saleh1 , T. Servais5 et M. Vidal6 .

1UMR CNRS 5276 LGLTPE, Université Lyon 1,  69622 Villeurbanne, France

2 Faculté Pluridisciplinaire de Nador, 67200 Nador, Maroc

3 Faculté des Sciences et Techniques, Université Cadi-Ayyad,  40000 Marrakech, Maroc

4 Instituto de Geociencias CSIC-UCM, 28040 Madrid, Espagne

5UMR CNRS 8198 Evo-Eco-Paleo, Université de Lille,  59655 Villeneuve d'Ascq, France 6UMR CNRS 6538 Domaines océaniques, Université de Brest,  29280 Plouzané, France

Le Tafilalt Biota : des animaux au corps mou dans des sables de l'Ordovicien supérieur du Maroc

Contexte géographique, géologique et évolutif

La présence de fossiles dans des sédiments marins siliciclastiques à grain moyen ou grossier est généralement limitée, au Paléozoïque, à certains niveaux de concentration hydrodynamique (lumachelles) et à de très rares dépôts dits « à préservation exceptionnelle ». Dans ce dernier cas, les coquilles et les carapaces n’ont pas été dissoutes lors de la diagenèse et peuvent même apparaître avec tous leurs éléments articulés.

Dans l’Anti-Atlas marocain, la recherche intensive de gisements paléontologiques susceptibles d’être exploités à des fins commerciales a permis de découvrir, au cours de ces vingt dernières années, un grand nombre de sites particulièrement fossilifères dans les grès de l'Ordovicien supérieur. Ceux-ci ont ainsi livré des faunes particulièrement riches en échinodermes (« starfish beds » ou « echinoderm meadows ») et, dans une moindre mesure, d’autres assemblages quasiexclusivement constitués de trilobites. Dans les deux cas, la conservation tout à fait remarquable d’organismes parfaitement articulés, ainsi que la grande continuité latérale des niveaux fossilifères (sur plusieurs dizaines de mètres carrés dans le cas des échinodermes) résulteraient de l’enfouissement rapide par des dépôts de tempête, in situ et de leur vivant, de communautés benthiques particulièrement denses et très souvent dominées par des échinodermes.

Au Maroc, ce type de préservation dans des grès de l'Ordovicien supérieur se rencontre principalement dans les régions situées à l'ouest et au nord-est de la plaine du Tafilalt, où se concentrent les principales excavations et carrières commerciales. D'un point de vue stratigraphique, l’âge des niveaux fossilifères exploités s’étend du sommet du Groupe du Premier Bani à la partie terminale de la Formation Supérieure de Tiouririne (voir article de Razin et al. sur la stratigraphie ordovicienne, dans ce dossier). Ceci représente un intervalle chronostratigraphique compris entre le Dobrotivien terminal (base du Sandbien : environ

458 millions d'années) et le Bérounien terminal (limite entre Katien inférieur et supérieur : environ 448 millions d'années). Les principales localités sont situées dans le Tafilalt occidental (gisements de Bou Nemrou / Jbel Tijarfaïouine et El Caid Rami s.l.), ainsi que, plus à l’est, dans les environs d’Erfoud (sud du Jbel Arfoud, Khab-el-Hejar...).

Ces gisements d'échinodermes et de trilobites conservés intacts dans les grès de l’Ordovicien marocain présentent toutefois une caractéristique qui les rend encore plus uniques d’un point de vue paléontologique. En effet, ces sites ont livré non seulement d’innombrables fossiles d’organismes possédant un « squelette » (brachiopodes, échinodermes, mollusques, trilobites), mais aussi, dans plusieurs niveaux, des restes d'animaux dont la paroi du corps (carapace) était peu minéralisée, voire entièrement "molle". À cela s’ajoute le fait que, dans ces mêmes niveaux, certains trilobites ont conservé des traces de leur anatomie interne, comme par exemple des parties de leur système digestif ainsi que des surfaces d’insertion musculaire. Il s’agit donc à proprement parler de gisements dits « à préservation exceptionnelle » ou Konservat-Lagerstätten, dans lesquels les parties « molles » ou sclérotisées (peu ou pas biominéralisées) des organismes peuvent être préservées.

Ces faunes remarquablement conservées dans des sédiments sableux peu profonds constituent collectivement le « Tafilalt Biota ». Leur biodiversité demeure toutefois très nettement inférieure à celle observée dans les gisements à préservation exceptionnelle de l’Ordovicien inférieur de l’Anti-Atlas central (« Fezouata Biota », voir Lefebvre et  al. ce dossier), associés quant à eux à des dépôts de tempêtes nettement plus distaux.

L’existence de faunes à préservation exceptionnelle dans les gisements du Tafilalt apporte par conséquent des informations extrêmement précieuses sur la composition et la structuration des écosystèmes marins de hautes latitudes – le Maroc étant alors situé à proximité du pôle Sud– au cours de l’importante phase de diversification ordovicienne dite « GOBE » (Great Ordovician Biodiversification Event), qui précède la première crise biologique majeure du Phanérozoïque, associée à la glaciation hirnantienne (voir Ghienne et Razin, ce dossier).

Eldonioïdes

L’une des singularités des fossiles formant le Tafilalt Biota est la coexistence de plusieurs modes de préservation des organismes à corps « mou » ou dont l’exosquelette était faiblement sclérotisé.

Ainsi, parmi les formes les plus abondantes et les plus emblématiques de ces gisements marocains figurent les eldonioïdes (fig. 3-9), un groupe énigmatique d’animaux discoïdes asymétriques, exclusivement paléozoïques (Cambrien-Dévonien), parfois rapprochés des hémichordés, et dont la préservation est étonnamment similaire à celle des fossiles édiacariens des Flinders Ranges en Australie. Les fossiles du Tafilalt sont des paropsonémides (= eldonioïdes postcambriens) conservés sous forme de moulages et d’empreintes dans des grès, par différents mécanismes ou combinaisons taphonomiques telles que les «  moulages gravitaires » (gravity casts), empreintes dont la convexité est dirigée vers le bas, les « masques mortuaires » (death masks), empreintes dont la convexité est au contraire orientée vers le haut ou encore les « endoreliefs » (terme qui désigne des empreintes présentant différentes orientations au sein d’un sédiment massif). Malgré des conditions de conservation qui évoquent fortement celles des fameuses faunes dites d’Ediacara, du Néoprotérozoïque terminal, il semblerait que la préservation des eldonioïdes marocains résulte davantage de la résistance originelle de leurs téguments coriacés que du rôle joué par des voiles microbiens, comme cela a été suggéré dans le cas des gisements précambriens.

Au Maroc, le paropsonémide le plus abondant est Discophyllum peltatum, décrit localement sous le nom d’« Eldonia berbera ». De section plano-convexe, il montre généralement différents types de structures caractéristiques, comme par exemple un « sac enroulé » en position centrale (possible cavité interne ou « cœlome » entourant le tube digestif), ou encore une ornementation périphérique délicate, constituée de fines crêtes radiales, reliées par de petites connexions latérales ou dissépiments (fig. 3-9)

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Fig. 3-9. – Discophyllum, un fossile discoïde énigmatique (eldonioïde), typique du Tafilalt Biota, montrant une préservation du type Ediacara dans des grès grossiers. Remarquer le bord plissé de l’échantillon dans le coin inférieur gauche ; les échelles jaunes représentent 10 mm.

Parmi les animaux vermiformes, les fossiles complets de palaeoscolécidés sont rares mais remarquables (fig. 3-10). Malgré un fort aplatissement dans les grès, la cuticule phosphatisée de leurs scléritomes (squelettes articulés constitués de nombreux éléments ou sclérites) présente encore des microstructures d’échelle micronique. Dans ce cas, il est possible que l’enrobage rapide de ces organismes par des voiles microbiens ait favorisé la réplication de leur cuticule délicate par du phosphate de calcium (crandallite), à un stade très précoce de la diagenèse. Les machaeridiens représentent un groupe d’annélides paléozoïques fréquemment conservés dans les siltites sombres intercalées dans les grès. Ils possèdent un exosquelette dorsal formé de plusieurs rangées de plaques calcaires triangulaires qui, normalement, se détachent et se dispersent juste après la mort de l'animal. Cependant, plusieurs gisements du Tafilalt ont livré des restes localement abondants de machaeridiens dont les scléritomes sont complets et articulés (fig. 3-11). Une telle préservation est à ce jour unique au monde.

Gamascolex

Fig. 3-10. – Gamascolex, un ver palaeoscolécidé avec sa cuticule et ses sclérites finement phosphatées ; échelles : 5 mm, sauf la microphotographie en bas, à droite (100 µm).

Plumulites

Fig. 3-11. – Plumulites, un annélide « blindé » par une armure dorsale de plaques calcaires ; échelles : 5 mm.

Arthropodes

Les trilobites représentent, avec les échinodermes, l’un des groupes les plus abondants et les plus diversifiés du Tafilalt Biota. Ils ont donc logiquement fait l’objet de recherches intensives de la part des fouilleurs professionnels. Parmi les trilobites, il existe un pourcentage élevé d'individus entiers et complets dans de nombreux gisements, mais ce qui leur confère un intérêt tout particulier – tant scientifiquement que commercialement – est la présence de plusieurs niveaux ayant livré des assemblages particulièrement denses et monospécifiques de certaines formes, comme par exemple Selenopeltis (fig. 3-12). Il est possible que de telles concentrations d’organismes intacts, tous de même âge, préservés in situ, représentent des « instantanés » en relation avec un comportement grégaire au moment de la mue ou de la reproduction, comme le font par exemple les limules actuelles. Localement, dans certains sites marocains, les mues collectives de trilobites trinucléidés peuvent générer des niveaux lenticulaires de calcarénites biodétritiques, véritables lumachelles quasi-exclusivement constituées par l’accumulation de leurs éléments squelettiques désarticulés.

Selenopeltis

Fig. 3-12. – Niveaux de concentration de trilobites épineux (Selenopeltis) à l'est d'Erfoud ; échelles : 10 cm.

Certains gisements ont également livré des restes de trilobites caractérisés par la préservation tout à fait exceptionnelle de leur anatomie interne, avec certaines structures «  molles » fossilisées, telles que, par exemple, le tube digestif chez plusieurs individus du genre Uralichas (fig. 3-13) et de la famille Asaphidae. De la même manière, des bandes axiales métamériques paires observées dans les segments thoraciques antérieurs du trilobite Selenopeltis et conservées sous forme d’apatite pourraient représenter des traces de musculature intersegmentaire phosphatisée ou alors des glandes digestives (fig. 3-13).

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Fig. 3-13. – Vestiges de l'anatomie interne chez les trilobites Uralichas (à gauche : avec la trace du tube digestif formant une bande axiale sombre) et Selenopeltis, avec des aires d'insertion musculaire phosphatées sur l'axe du thorax (centre), également visibles à la lumière ultraviolette (à droite) ; échelles : 10 mm.

Les trilobites ne sont toutefois pas les seuls arthropodes récoltés dans les grès de l’Ordovicien supérieur du Tafilalt. Ces sites ont également livré les restes de nombreux autres groupes, dont la carapace était plus faiblement sclérotisée et qui sont donc généralement rares ou absents dans la plupart des gisements fossilifères « classiques » : aglaspidides, chéloniellides ou encore euryptérides. Parmi ceux-ci, le chéloniellide Duslia sp. (fig. 3-14), dont on connaît plusieurs milliers d’individus, représente probablement la forme la plus commune dans les sites du Tafilalt. Sa morphologie évoque celle de l’espèce D. insignis, décrite dans l’Ordovicien supérieur de République tchèque à partir de quelques échantillons. De petites différences morphologiques (aspect antérieur du bouclier céphalique) et de tailles entre Duslia marocaine et tchèque devraient toutefois justifier l’attribution de la forme du Tafilalt à une espèce nouvelle. Une seconde forme de chéloniellide nettement plus rare a été récoltée dans deux localités du Tafilalt.

Elle appartient probablement au genre Triopus et témoigne, elle aussi, de l’existence de fortes affinités avec les faunes de Bohême, tout comme d’ailleurs l’unique échantillon de l’aglaspidide Chlupacaris dubia récolté dans la Formation Supérieure de Tiouririne, à l’est d’Erfoud.

Contrairement aux autres aglaspidides connus, il semblerait que sa cuticule, extrêmement fine et délicate, ait été originellement calcifiée et non phosphatisée. Dans le Tafilalt, un seul autre spécimen d’aglaspidide est pour l’instant connu ; il provient de niveaux légèrement plus anciens (Formation d’Izegguirène) et sa morphologie évoque celle du genre cambro-ordovicien Tremaglaspis. Les grès de l’Ordovicien supérieur du Tafilalt ont également livré les restes, rares, de quelques autres arthropodes faiblement sclérotisés, parmi lesquels un possible nektaspide, un probable euryptéride (scorpion des mers), ainsi que plusieurs boucliers céphaliques portant de petits yeux en position dorsale.

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Fig. 3-14. – Duslia (à gauche) et Triopus (à droite), deux arthropodes chéloniellides caractérisés par un exosquelette faiblement sclérotisé ; gisement de Bou Nemrou (Tafilalt Biota) ; échelles : 10 mm.

Échinodermes

Dans la majorité des gisements fossilifères « classiques » du Paléozoïque, il est extrêmement rare de retrouver des spécimens d’échinodermes complets, car leur squelette calcitique, constitué de plusieurs milliers de plaques, se désarticule généralement rapidement (en quelques jours à quelques semaines) après la mort de l’animal.

Dans ce contexte, la découverte de plusieurs niveaux ayant livré des milliers d’échinodermes entièrement articulés, formant parfois des accumulations particulièrement denses et spectaculaires dans l’Ordovicien supérieur du Tafilalt, est tout à fait remarquable et constitue l’un des Lagerstätten à échinodermes les plus riches au monde pour cette période. La plupart des gisements comparables, de même âge, proviennent de régions alors situées à de plus faibles latitudes, comme par exemple le Lady Burn starfish bed (Écosse) ou encore le Lagerstätte de Brechin (Canada).

Ascocystites

Fig. 3-15. – Grande plaque de grès montrant plusieurs dizaines d’individus complets d’échinodermes appartenant au genre d’éocrinoïdes Ascocystites. L’orientation préférentielle des individus et la préservation de structures particulièrement fragiles (appendices nourriciers, par exemple) témoignent de leur enfouissement rapide et in situ, par des dépôts de tempête : gisement de Bou Nemrou (Tafilalt Biota). échelle : 5 cm.

La préservation tout à fait exceptionnelle des échinodermes du Tafilalt, ainsi que l’orientation systématique des individus (fig. 3-15) témoignent de l’enfouissement rapide et in situ, par des dépôts de tempête, de populations grégaires formant de véritables prairies sur le fond marin.

Le caractère instantané de cette préservation est illustré, par exemple, par des ophiures littéralement « figées » en train de capturer, vraisemblablement pour s’en nourrir, de jeunes individus d’éocrinoïdes (fig. 3-16).

Ophiure

Fig. 3-16. – Ophiure « figée » en train de saisir par ses bras un échantillon d’éocrinoïde (Ascocystites) vraisemblablement pour s’en nourrir. Gisement de Bou Nemrou (Tafilalt Biota) ; échelle : 10 mm.

La composition des assemblages d’échinodermes varie d’une localité à l’autre, reflétant probablement à la fois de subtiles différences environnementales (hydrodynamisme, bathymétrie…), mais aussi l’évolution des communautés benthiques sur près de 10 millions d’années. La plupart des niveaux à échinodermes du Tafilalt Biota sont très largement dominés par un seul taxon. Avec neuf classes représentées (crinoïdes, diploporites, édrioastéroïdes, éocrinoïdes, étoiles de mer, ophiures, rhombifères, solutes, stylophores), ils comptent parmi les gisements les plus diversifiés en domaine péri-gondwanien. Les faunes d’échinodermes de l’Ordovicien supérieur du Tafilalt montrent des affinités paléobiogéographiques très fortes avec celles, contemporaines, de République tchèque et, dans une moindre mesure, d’Espagne et de France.

Cnidaires

Dans les sites du Tafilalt, les cnidaires (coraux, méduses) sont représentés à la fois par des fossiles relativement communs, les conulaires, et par des formes nettement plus rares, les hydrozoaires. Les conulaires forment un groupe éteint de scyphozoaires, qui possédaient une coquille pyramidale très allongée. Au Maroc, les dimensions parfois inhabituelles (50 cm ou plus) de certains conulaires « géants », comme Archaeoconularia cf. imperialis, s’expliquent peut-être par leur croissance lente dans des eaux froides. Les conulaires avaient vraisemblablement un mode de vie grégaire. Ainsi, dans l’Ordovicien supérieur du Tafilalt, ils sont souvent retrouvés dressés, en position de vie, dans des niveaux de grès quartzeux très purs, dans lesquels ils formaient des colonies partiellement enfouies dans le fond marin (fig. 3-17). Les portions émergées de leurs coquilles étaient alors souvent colonisées par des épibiontes (brachiopodes craniides et échinodermes édrioastéroïdes), Les conulaires sont également fréquemment conservés « à plat », dans des horizons d’accumulation générés par des tempêtes.

Conulaire

Fig. 3-17. – Conulaire (Archaeoconularia), montrant la préservation de son périderme phosphaté dans des grès siliceux ; échelles graphiques 20 mm (à gauche) et 1 mm (à droite).

Les hydrozoaires sont des organismes très rarement préservés dans le registre fossile.

L’unique spécimen découvert dans le Tafilalt, bien qu’il soit conservé en relief, ne montre malheureusement pas suffisamment d’éléments anatomiques pour pouvoir être étudié en détail.

Autres organismes

Les coquilles de brachiopodes et de mollusques sont courantes dans les différents sites de l’Ordovicien supérieur du Tafilalt.

Elles sont toutefois rares ou absentes dans les niveaux à préservation exceptionnelle. Elles se concentrent principalement dans des niveaux d’accumulation (lumachelles).

Les graptolites (hémichordés coloniaux) sont relativement rares dans le Tafilalt Biota. Ils sont préservés sous la forme d'empreintes carbonées ou ferrugineuses (pyritisation préalable), autant dans des grès à grain moyen ou grossier, que dans les siltites argileuses et micacées intercalées entre ceux-ci (fig. 3-18).

Graptolites-benthiques

Fig. 3-18. – Graptolites benthiques, Dictyonema spp. et Ptilograptus (en bas à droite), El Caïd Rami ; échelles graphiques 5 mm.

Traces fossiles

Enfin, les conditions environnementales très peu profondes, bien oxygénées, associées au Tafilalt Biota favorisent l'enregistrement dans les grès de nombreuses structures organiques telles que les traces fossiles ou des structures sédimentaires induites par des microbes ou « MISS » (microbially-induced sedimentary structures).

Les traces fossiles abondent localement dans certaines couches de grès, qui alternent avec celles contenant les restes d’organismes à préservation exceptionnelle. Par exemple, les grandes pistes en forme de lianes (= Neoeione moniliformis) sont très répandues dans la Formation Supérieure de Tiouririne, dans la partie la plus orientale de l'Anti-Atlas (fig. 3-19).

Les surfaces organiques texturées sont relativement communes dans les grès laminés, ainsi qu’au toit des grès massifs. Elles se présentent sous la forme d’abondantes structures ridées, plissées témoignant de l’existence de voiles microbiens. Parmi les formes les plus fréquentes de ces structures figurent celles classiquement connues sous le nom de « peau d'éléphant » (ou « Kinneyia »), qui ont été en partie attribuées à l'ichnofossile Rugalichnus matthewii.

Neoeione

Fig. 3-19. – Neoeione, une grande piste en forme de cordon qui est conservée sur la surface supérieure d’un banc de grès du Katien, dans le Tafilalt oriental.

J.C. Gutiérrez-Marco1 , P. Van Roy2, B. Lefebvre3, S. Zamora4, S. Pereira5 et I. Rábano6 . 1CSIC-UCM, Dr. Severo Ochoa 7-4ª pl., 28040 Madrid, Espagne.

2Department of Geology, Ghent University, Krijgslaan 281, Building S8, 9000 Ghent, Belgium.

3UMR CNRS 5276 LGLTPE, Université Lyon 1, 2 rue Dubois,  69622 Villeurbanne cedex, France.

4 IGME, Manuel Lasala 44-9ºB, 50006 Zaragoza, Espagne.

5Centro de Geociências, Universidade de Comibra , Rua Silvio Lima, 3030-790 Coimbra, Portugal.

6 IGME, Ríos Rosas 23, 28003 Madrid, Espagne.

Bou-Nemrou

Le gisement de Bou Nemrou (Sandbien inférieur), un des sites emblématiques du Tafilalt Biota.

Source web par : geosoc

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