Les terrasses agricoles : un élément caractéristique du paysage de l’Anti-Atlas au Maroc (Géoparc Jbel Bani)
Une pratique culturelle ancestrale
Située entre le Haut Atlas central et le Souss au Tafilalet au sud du Maroc, l’Anti-Atlas occidental est une chaîne de montagne qui s’étend sur près de 600 kilomètres. Cette zone montagneuse présente une biodiversité remarquable de par sa faune et sa flore rare voire endémique avec des espèces comme le Dragonnier, l’Ajgal, l’Arganier etc. La région de l’Anti-Atlas occidental se caractérise généralement par un patrimoine paysager particulier.
La population locale, principalement berbère, s’est adaptée à ces conditions arides et sèches depuis des siècles. Elle a acquis depuis longtemps une maîtrise parfaite des sols grâce à des aménagements traditionnels des terrasses agricoles sur les pentes des montagnes et au bord des cours d’eau. La topographie des pentes moyennes (de 15° à 30°) dans cette région favorise également la mise en place de ces terrasses agricoles. Les locaux ont également exploité la majorité de ces sources d’eau en utilisant diverses techniques de captage d’eau telles que les khettara, une sorte de drains souterrains de captage des eaux par gravité.
Tous ces éléments traduisent une culture de la gestion socio-économique traditionnelle des ressources de la forêt et de ces espaces naturels. Le paysage local est façonné par les locaux depuis de nombreuses générations, et les aménagements de pentes reflètent une ingéniosité particulière des populations et une adaptation aux changements climatiques. Nous pouvons dire que les populations locales ont directement sculpté la montagne.
Dans le langage berbère local de l’Anti-Atlas, les terrasses agricoles sont appelées Imariyn au pluriel (Imiri en singulier) ou Igid (au pluriel Iagdioun) dans certains villages de l’Anti-Atlas occidental.
Schéma d’une terrasse agricole de l’Anti-Atlas occidental (Mohamed Ziyadi)
Liées à l’irrigation, les terrasses agricoles de l’Anti-Atlas sont horizontales et les murs de soutènement sont bien appareillés et en assez bon état.
« Nous avons tout d’abord mis en culture les pentes des fonds des vallées, plus proches des cours d’eau et des sources qui fournissent l’eau nécessaire et représentent donc des facilités naturelles pour l’irrigation.» explique la population locale.
Mais avec l’accroissement progressif de la population et la rareté de l’eau probablement due aux changements climatiques, la mise en valeur de nouvelles terres s’est étendue dans les hauts versants où ces sédentaires ne peuvent compter que sur les eaux pluviales – dont la fréquence reste incertaine. Au cours des siècles, ils ont conquis toute cette montagne escarpée et l’ont façonnée avec d’innombrables terrasses.
Les éléments constitutifs d’une terrasse irriguée s’ordonnent en trois éléments :
- le mur de soutènement (igherman),
- la plate-forme ou terrasse proprement dite (igadioun ou Imariyn),
- le canal secondaire (issoura).
Ces trois éléments sont indispensables au bon fonctionnement d’un système de terrasses irriguées et si un de ces éléments est en mauvais état, c’est tout le système qui sera perturbé.
Un mode de vie local
Les terrasses agricoles sont aussi l’expression d’une société rurale paysanne. Dans ces terrasses, on remarque la présence d’arbres utiles tels que les amandiers et les arganiers qui permettent à la fois de retenir le sol et donc de lutter contre l’érosion, mais aussi de conserver l’eau, ce qui réduit le ruissellement. Cette rétention d’eau est importante dans ces régions où les pluies sont rares.
Les populations locales ont également créé des parcours pour faciliter le ruissellement de l’eau vers des réservoirs souterrains, tel un système ingénieux de captage d’eau de pluie. Ils ont aussi adapté la culture de l’orge et du blé, produits de base de l’alimentation de la communauté locale ; ce qui a permis la mise en valeur d’une agriculture remarquablement diversifiée. Cela démontre la capacité d’adaptation et la résilience des familles d’agriculteurs à des conditions très dures et aux aléas des changements climatiques.
Terrasses agricoles près du village de Tinnit, été 2018. Photo : INKNJTAOUN Brahim
Les effets des changements climatiques
Autrefois ces terrasses agricoles étaient destinées en majorité aux cultures des céréales, mais aujourd’hui le changement climatique et sécheresse continue contribuent à la rareté de la production et poussent une grande partie de la population locale à l’exode rural. Tout cela a pour conséquence l’abandon des aménagements de ces pentes en terrasses agricoles.
Aujourd’hui, dans la vallée d’Amaghouz entre le Jebel Adad Medni et Jebel Imzi, on peut encore admirer le paysage verdoyant avec des terrasses agricoles sur de fortes pentes. Ces terrasses sont composées pour la majorité d’arganiers, d’amandiers et de plantes aromatiques tels que le thym, le romarin et la lavande qui poussent sans l’intervention de l’homme. Mais leur verdure ne dure qu’un laps de temps dans l’année à cause du changement climatique qui provoque une extrême sécheresse et la rareté des saisons de pluie.
Terrasses agricoles du village d’Agadir Ougejgal, hiver 2018. Photo : BOURGRAG Houcine
Le rôle de l’Agrotourisme et l’Écotourisme dans la conservation des terrasses agricoles
La valorisation écotouristique de ce patrimoine culturel en crise peut aboutir à sa conservation et sa durabilité. Le développement d’un tourisme durable autour de l’agritourisme et de l’écotourisme, dès lors qu’il s’intègre dans une problématique de développement durable, contribue concrètement à la sauvegarde du patrimoine rural, naturel et culturel comme le sont les terrasses agricoles.
Le projet de l’Association Adrar pour le Développement du Tourisme de Montagne et l’Écotourisme (ADTME) dans le cadre du Programme PPI-OSCAN 2 mis en place par l’IUCN et financé par La fondation MAVA et le FFEM vise la valorisation du patrimoine naturel et culturel du territoire d’Anezi à travers plusieurs actions :
- Entretien de chemins et sentiers de randonnée pédestres,
- Consolidation de quelques terrasses agricoles pentus par remontée de murets de pierres sèches,
- Aménagement de passerelles et d’espace de pique-nique,
- Mise en place d’une signalétique adaptée et respectueuse de l’environnement,
- Mise en place d’un circuit touristique appelé “La route des plantes” pour la découverte et l’observation de la flore locale,
- Promotion de produits du terroir local,
- Réhabilitation et promotion d’anciens métiers manuels d’artisanat local à travers la mise en place du circuit touristique “La route des métiers”,
- Sensibilisation sur les bienfaits de la réhabilitation de maisons rurales en pierre ou en terre crue,
- Promotion à travers la photographie du patrimoine naturel via des compétitions et expositions photos,
- Rédaction d’articles et magazines sur le patrimoine local,
- Mise en place d’un portail touristique en ligne pour capitaliser et promouvoir le projet : visitadrar.com
« Tous ces aménagements agricoles, plus particulièrement les terrasses construites avec une véritable armature de pierres sèches, sont aujourd’hui loin d’être les lieux d’une agriculture intensive. Ces paysages subissent une transformation due à l’érosion et au changement climatique depuis des décennies. » ajoutent les habitants locaux.
Les facteurs de ces mutations sont multiples et variés (changement climatique, migration, modernisation) et reflètent le désir d’une société longtemps repliée sur elle-même de s’ouvrir sur l’extérieur. Cependant, cette ouverture ne peut se réaliser sans les bouleversements liés à l’adaptation à une économie de marché, engendrant de profondes mutations économiques et sociales avec tous ses effets sur la biodiversité locale.
Dans ce contexte, la préservation de ce patrimoine architectural apparaît plus que jamais nécessaire. Malheureusement, les tentatives qui s’esquissent à peine dans ce domaine sont rares et insuffisantes.
« Les autorités publiques et l’ensemble de la société civile doivent réagir rapidement afin que ces montagnes sculptées puissent conserver leur part d’originalité et d’authenticité à travers les constructions, les pratiques agraires et les coutumes ancestrales acquis de génération en génération. » souligne Rachid, un membre de l’association.
Source web par : ppioscan
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