Techniques numériques pour le patrimoine et le développement pour Professeur André DEl
Professeur André DEl, Ecole nationale Supérieure d’Architecture Paris-Val-de-SeineMarianne COHEn, Gwenaëlle JAnTy, Université Paris VII - Denis Diderot.
Techniques numériques pour le patrimoine et le développement
Présentation
Une caractéristique singulière des techniques numériques est l’extrême diversité de leurs domaines d’utilisation. Cette extrême diversité d’emploi amène à des rencontres d’un anachronisme tout aussi affirmé que surprenant lorsque l’on déploie les techniques les plus modernes au service de ce qui nous ancre le plus dans notre passé : le patrimoine.
Anachronisme à ce point surprenant qu’il pourrait mettre en doute la pertinence de leur emploi.
Dans les exemples qui suivent, nous nous donnerons une gageure supplémentaire en donnant pour objectif, comme pertinence d’emploi de ces techniques modernes, de réconcilier protection du patrimoine et développement économique local endogène.
Le cadre d’exemples que nous utiliserons est l’ensemble des travaux menés par l’équipe de
scientifiques réunis autour du Professeur J.P. Vallat de l’Université Paris VII - René Diderot, qui intervient, à la demande de la Municipalité de Figuig, pour l’assister dans sa politique de protection du patrimoine avec pour objectif de demander l’inscription du site de l’oasis au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’ UNESCO. Le travail scientifique s’est développé classiquement à partir d’analyses historiques, géographiques ,botaniques de fouilles archéologiques et de relevés architecturaux.
L’oasis est caractérisée par une riche architecture de ksour en terre, une palmeraie irriguée
par un complexe système de canaux et foggaras. L’ensemble des pratiques individuelles et
collectives liées à la palmeraie, au réseau d’irrigation et aux ksour, constitue un patrimoine
culturel immatériel important. Dans ce contexte, ce sont les techniques de modélisation
de bâtiments et de cartographie numériques qui ont été principalement employées.
Modèles numériques d’édifices
Une part importante des travaux d’analyses pour constituer le dossier de demande d’inscription de l’oasis au Patrimoine Mondial de l’Humanité a porté sur son patrimoine architectural.
Fig. 1 : Carnets de terrain
Relevés
Dans les maisons traditionnelles des ksour, il serait illusoire d’espérer, pour réaliser les relevés, mobiliser les logiciels de métrés utilisés couramment en architecture dans les projets de réhabilitation.
Géométries non régulières, épaisseurs et alignements des murs variables, imposent un retour à la technique traditionnelle et éprouvée du relevé par triangulation
(trilatération pour être plus exact). Le recours à un télémètre laser est ici la seule présence
des technologies numériques.
Modélisation
Modélisation Les mesures relevées permettent de construire un premier modèle numérique en plan, puis en trois dimensions, de la maison. Ce modèle numérique a plusieurs usages pour l’analyse de la typologie architecturale.
Le report des mesures permet de construire le modèle numérique de l’édifice qui sera
d’abord utilisé pour les analyses architecturales nécessaires au dossier Patrimoine.
Fig. 2 : Relevé et modélisation d’une maison traditionnelle
Utilisations
La flexibilité du numérique a permis d’utiliser la même modélisation pour les panneaux d’information touristiques et d’accompagner ainsi la valorisation du site. La même modélisation a servi de base à la construction de maquettes de projets de transformation en maisons d’hôtes.
Dans cette déclinaison, les modèles réalisés sont enrichis de mobiliers et d’objets de décorations issus des inventaires, de manière à rendre les représentations réalistes et la maquette numérique visitable pour des visites interactives.
Il n’est pas utile d’approfondir le propos pour comprendre l’utilité de telles représentations pour la promotion touristique, mais aussi pour le soutien à apporter aux projets de transformations qui doivent être conduits dans le respect de la protection du patrimoine.
Fig. 3 : Projet d’aménagement en maison d’hôte :
modèle et image numérique
Système d’Information Géographique (SIG)
La diversité des travaux de relevé et d’analyse effectués a rapidement fait apparaitre le besoin d’un archivage cohérent pour en assurer la restitution et produire les analyses pluridisciplinaires nécessaires. La disposition de cartes anciennes et une nécessaire cartographie des ksour pour en permettre la visite, l’analyse cartographique de l’évolution de la palmeraie, ont naturellement imposé le recours à un SIG commun. Au delà de ses capacités d’analyse, il s’avéra un dispositif précieux pour la production des cartographies thématiques et des illustrations, nécessaires à la réalisation matérielle du dossier de classement.
Simultanément ces démarches scientifiques, une campagne de formation à la pratique des SIG pour différents agents (de la Municipalité, des offices de coopération et de promotion du patrimoine de Figuig) a été menée.
Fig. 4 : Altimétrie et zone de protection
L’objectif, à terme, est de mettre le SIG constitué pour le dossier de classement, à la disposition des acteurs locaux pour qu’il constitue un outil commun de gestion de la politique
de protection du patrimoine et du développement urbain. Ce système d’information,
partagé et utilisé par les différents intervenants locaux accompagnera la bonne gouvernance du développement urbain dans un souci de transparence et de justification des
contraintes qui accompagnent les mesures de protection.
Un premier exemple d’utilisation du SIG pour accompagner le nécessaire développement
de l’oasis, tout en préservant son patrimoine, a été réalisé pour l’étude des sites les plus aptes à accueillir un projet de ferme solaire. Trois sources d’information ont été utilisées: les données altimétriques du territoire de l’oasis, la localisation des principaux édifices patrimoniaux, le périmètre de protection proposé au classement UNESCO.
Un premier traitement des données altimétriques a permis de construire le modèle numérique de terrain (MNT ), à partir duquel est établie la carte d’exposition solaire : pour chaque
unité de surface est calculée son orientation géographique. Sont retenues comme unités de surfaces aptes à recevoir des panneaux solaires les orientations Est, Sud-Est, Sud, Sud-Ouest, Ouest (dégradés de jaune sur la carte). On calcule ensuite les zones de non covisibilité où il est possible d’établir des constructions non visibles à partir des principaux
édifices patrimoniaux (en vert sur la carte).
Exposition solaire des unités de surface Co-visibilité des unités de surface
La combinaison logique des deux cartes, { zones propices } X { zones non visibles }, permet
de déterminer le périmètre apte à accueillir des panneaux solaires avec une bonne orientation et non visibles à partir des édifices dont il convient de préserver les perspectives :
voir le tracé de la zone propice à l’implantation de panneaux solaires en page suivante.
Fig. 5 : Détermination de la zone propice à l’implantation de panneaux solaires
Conservation et développement de la palmeraie de Figuig
En parallèle avec les travaux engagés par les historiens et les architectes sur le patrimoine bâti de l’oasis, Gwenaëlle Janty réalise, sous la direction de Marianne Cohen, une thèse de doctorat sur la palmeraie de Figuig .La thèse porte sur les enjeux de conservation et de développement d’un paysage culturel agricole, ici la palmeraie. Ce paysage culturel est constitué de jardins étagés méditerranéens, associés avec un système de gestion, des pratiques sociales et des savoirs locaux. Mais il est aujourd‘hui confronté à des contraintes socio-économiques et environnementales qui poussent les habitants à abandonner la culture du palmier, voire à émigrer et à dépeupler l’oasis.
Fig. 6 : La palmeraie traditionnelle
L’enjeu de notre recherche est de parvenir à un diagnostic et à des propositions en vue de
conserver l’aspect patrimonial d’un paysage culturel tout en permettant une activité agricole compatible avec un développement durable. Dans cette perspective, l’analyse des évolutions de la palmeraie et des facteurs qui les conditionnent, constitue un enjeu de connaissance incontournable et primordial et le recours à un Système d’Information Géographique est déterminant.
Dans un premier temps, le SIG a permis d’organiser dans une base d’information géographique les données permettant l’étude de cette évolution. nous avons pour cela utilisé un plan topographique de l’oasis datant de 1983 et des vues aériennes issues de Google Earth datant de février 2008.L’assemblage, le géo-référencement et la numérisation de ces données sont réalisés à l’aide du SIG. La comparaison de la densité des palmiers et l’image de 2008 a permis de déterminer le type d’évolution de chaque jardin. On a ainsi constaté que 40% de la surface de la palmeraie était en régression entre ces deux dates ou abandonnée.
Fig. 7 : Carte de l’évolution de la palmeraie 1983-2008
Pour comprendre les causes de cette évolution, nous avons intégré dans la base de données géographique d’autres sources d’information : cartes des réseaux d’irrigation et des zones bâties, débits et caractères chimiques des sources, recensements de la population de Figuig par ksar. Divers traitements réalisés avec le SIG nous permettent de mettre en relation les données de ces différentes couches thématiques grâce à l’utilisation d’un même référentiel géographique. Les informations ont été regroupées au niveau des jardins de la palmeraie, pour lesquels on dispose donc de l’état de ces différents descripteurs.
Des traitements statistiques effectués à partir des données de ces différentes couches
d’information ont ensuite été réalisés pour vérifier dans quelle mesure ces descripteurs pouvaient constituer des facteurs explicatifs des évolutions de la palmeraie. nos premiers résultats font apparaitre une liaison entre l’évolution de la palmeraie avec, d’une part, sa densité initiale (en 1983) et, d’autre part, les réseaux d’irrigation auxquels appartiennent les jardins. En revanche, les autres descripteurs (évolution démographique, qualité et débit des sources) ne jouent que dans certaines situations.
La situation de rivalité entre ksour a, jusqu’à présent, gêné la mise en place de tout dispositif de régulation à l’échelle de l’oasis. L’apport d’un Système d’Information Géographique, partagé entre tous les propriétaires-jardiniers, sera testé. Dépositaire des informations sur la propriété, la qualité et l’usage des sols, ainsi que du descriptif quantifié du réseau d’irrigation, ce Système d’Information Géographique pourrait jouer un double rôle d’outil d’observation et d’aide à la décision pour une meilleure gestion de la palmeraie.
Ce système d’information partagé entre les responsables de la Municipalité, les responsables d’associations d’irrigants, les propriétaires de droits d’eau et les utilisateurs des jardins, pourrait constituer un support de discussions participatives afin de rechercher des ajustements et redistributions à effectuer. A l’échelle de temps de la thèse, cette mise en place se fera sur une partie réduite de la palmeraie et du réseau d’irrigation, mais pourra aussi donner lieu à l’ébauche d’un projet plus large, à mener de concert avec la Municipalité
Conclusions
Les quelques exemples décrits ici d’utilisation des techniques numériques pour le patrimoine appellent quelques commentaires. A propos des techniques utilisées elles-mêmes, nous nous sommes efforcés dans le cadre de ces travaux de n’utiliser que des technologies standards, techniquement et économiquement reproductibles. La perspective d’un classement au Patrimoine Mondial de l’Humanité doit s’accompagner d’une prise en main par les autorités et services locaux de sa protection qui doit, pour être admise et pérenne, accompagner le développement local. Les formations à l’utilisation des SIG réalisées en 2010 et 2011 s’inscrivent dans cet objectif.
Sur l’aspect numériques de ces réalisations, on aura vu que leurs facilités d’échanges, de confrontation, et la plasticité des représentations qu’elles permettent, s’adaptent bien à la diversité des thèmes, objets et informations à laquelle la prise en compte globale du patrimoine d’un site conduit. On aura garde pour autant de bien veiller dans ces utilisations à conserver une solide déontologie d’usage et à bien veiller aussi à la nature, à l’origine et à la qualité des informations à la base des divers traitements et représentations.
La plasticité de l’information numérique citée plus haut peut, si l’on n’y prête pas attention, conduire à mixer au sein d’une même représentation l’existant et le disparu, l’avéré et l’hypothétique, le réel et le projet. Ces confrontations peuvent être riches, mais ne doivent, au risque de tromper ceux qui les observeront, être présentées que de manière à laisser accessibles la connaissance de leurs différentes parties et origines.
Crédits images
Figure 1: Carnets de relevés de Joseph Maution - EnSAPVS
Figures 2 et 3 : Modélisation, projet et images : Majid béqqali et Gérard Charcosset
EnSAPVS
Autres figures et cartes : les auteurs
Source web par oriental
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