


L’Anti-Atlas, une montagne marocaine méconnue. Découverte d’un riche patrimoine* de André Humbert & Herbert Popp
Par Jean-François Troin
Deux géographes, André Humbert (Université de Lorraine à Nancy) et Herbert Popp (Université de Bayreuth, Allemagne), ont réalisé après de multiples heures de vol un ouvrage remarquable composé de vues aériennes obliques prises à basse altitude sur l’Anti-Atlas marocain. Quelques photos prises au sol, car les deux auteurs ont également parcouru à terre et en tous sens cette montagne, viennent compléter l’iconographie sur des thèmes particuliers : arganier, citernes, moissons, palmier-dattier, irrigation… Mais, pour notre plus grand bonheur, les photos aériennes pleines page constituent l’essentiel du livre tandis que quelques cartes et plans – dont une carte présentant un découpage régional original – permettent un repérage précis.
Le livre est donc assurément un livre d’art. La montagne décharnée offre au regard son squelette, le vert intense des cultures ou des palmeraies vient ponctuer l’ocre des sols non cultivés qui dominent largement dans ce massif aride, les entrelacs des bras d’oueds, le plus souvent à sec, strient les paysages, tandis que les habitats serrés de maisons jointives aux cours minuscules et la masse des igoudar (pluriel d’agadir) perchés voisinent avec les pastilles rondes des aires à battre. Tout un graphisme – naturel, pourrait-on dire, même s’il doit certaines de ses lignes au travail des hommes – saute aux yeux et contribue à nous donner un plaisir esthétique constant au fil des pages.
Mais les auteurs ont aussi réalisé un ouvrage pédagogique. En choisissant parmi des milliers de photos certains clichés, toujours pittoresques mais également révélateurs de la géographie locale, ils ont voulu faire comprendre, expliquer, interpréter ces territoires et leurs fortes mutations. On remarquera notamment l’insertion brutale des maisons d’émigrés dans les villages traditionnels ou encore l’expansion quasi démesurée de l’espace bâti des villes régionales (Taroudant, Tiznit, Ouled Teïma). On sera surpris par les gigantesques damiers de l’agriculture commerciale dans les plaines qui s’étalent au pied du massif montagneux. Des notices très simples mais éclairantes guident le lecteur dans cette exploration d’une montagne souvent inconnue ou bien fort mal connue, comme le rappelle le titre de l’ouvrage.
Le livre est enfin un témoignage sur le patrimoine. Le sous-titre en couverture le rappelle et, de fait, les auteurs montrent et commentent l’extraordinaire diversité de ce patrimoine, ils en soulignent aussi la fragilité, relevant les menaces qui pèsent sur cet héritage unique, tout particulièrement celui des igoudar. Ils pointent les conséquences de la déprise rurale sur certains secteurs privés d’eau mais aussi le danger d’une exploitation forcenée des nappes souterraines qui, pour le moment, ne faiblit pas.
Revenons sur le découpage régional proposé qui a pour originalité de s’appuyer sur une carte des paysages [p. 12-13] fondée sur les formes de relief, la végétation, la pluviosité, les formes de terroirs aménagés, les ressources, les habitats tels que perçus par l’aviateur-photographe. Bien plus qu’une description, cette combinaison d’éléments permet de saisir les organisations humaines et les relations entre hommes et terroirs.
L’organisation régionale ainsi retenue permet de distinguer :
Les montagnes sur la montagne. C’est le cœur du massif où les vieux ensembles précambriens émergent de la surface calcaire par surrection, des massifs vides mais qui fournissent de l’eau et donc des espaces cultivés à leur périphérie.
La montagne « humide » du versant nord. C’est la plus favorisée, qui domine la plaine du Souss. L’humidité y est toute relative (200 à 250 mm de pluie), mais cela a suffi à faire naître une véritable civilisation agraire qui, par de multiples ouvrages, a su valoriser cette eau et étendre ses terroirs.
Les hautes terres accompagnant la montagne volcanique, à l’Est, qui constituent un espace froid et décharné où survit le pastoralisme.
Le versant déjà saharien, symbolisé par la longue crête du Djebel Bani et où la vie n’existe que dans un chapelet d’oasis quelque peu assoiffées.
Les dirs [poitrails en berbère] sous forme de deux rubans au nord et au sud et qui comprennent à la fois l’abrupt montagneux et les piémonts situés à leur base, zones privilégiées par leur alimentation en eau.
Les plaines du Souss et du Massa, enfin, que les auteurs nomment « filles de la montagne » et qui doivent leur prospérité et leur hydraulique à l’Anti-Atlas bordier. C’est un tout autre monde de grandes cultures que symbolise bien le dynamisme de la cité aujourd’hui millionnaire d’Agadir.
Si nous détaillons ici ce découpage, c’est pour faire comprendre combien ce qui apparaît sur nos cartes habituelles comme un simple long trait, l’Anti-Atlas, symétrique du Haut Atlas, est en réalité un véritable puzzle de paysages différenciés et d’organisations humaines variées. Et l’ouvrage déroule ainsi par ses grands clichés pleine page cet emboîtement de sous-régions que nos « géographes volants » ont mis à jour.
Dans une seconde Partie, plus brève, les auteurs passent en revue le riche patrimoine de ce massif (igoudar), sanctuaires et quelques exemples de sites miniers historiques pour la plupart abandonnés aujourd’hui.
Voilà donc un beau livre, un objet esthétique, un ouvrage pédagogique, un manifeste pour la sauvegarde d’un patrimoine menacé. Ce travail est en effet tout cela à la fois, ce qui évidemment fait tout son intérêt.
Publié par l’IRCAM (Institut royal de la culture amazighe), imprimé avec soin à Rabat sur papier glacé, cet ouvrage est à tous points de vue une réussite. Il constitue un apport essentiel à la connaissance de cette montagne à l’écart des circuits touristiques mais qui mérite – on en sera convaincu après sa consultation – d’être parcourue. Il faut souhaiter que de nombreux voyageurs suivent, par voie terrestre cette fois, l’appel de nos deux géographes à la découverte de ce pays intense.
Source web Par journals openedition
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