#MAROC_Énergie_solaire : là où les pas de géant du Maroc mettent l'Afrique sur une bonne orbite
REPORTAGE. Avec l'objectif de produire 2 000 MW d'énergie solaire à l'horizon 2020, le Maroc parie notamment sur la solaire thermodynamique. Une technologie coûteuse à l'échelle du Continent et qui opère toutefois la révolution du photovoltaïque.
D'épais nuages gris-bleu ont assombri l'horizon. On ne distingue plus que les enceintes des gigantesques parcs qu'on longe depuis plusieurs minutes en voiture. Un rond-point, puis en voici d'autres encore. Derrière leurs clôtures s'alignent, dos tourné, des milliers de panneaux incurvés. Il s'agit de miroirs cylindro-paraboliques. Leur fonction : concentrer les rayonnements solaires dans les tubes qui les longent, où circulent des fluides caloporteurs. Sauf qu'entre les nuages et la pluie déchaînée qui s'abat soudain, les miroirs ne captent plus grand-chose. Le pic de production d'électricité atteint vers 15 heures, proche de 160 MW, chute même brutalement sur un des écrans de la salle de contrôle de Noor 1, une des quatre centrales du complexe solaire Noor Ouarzazate, à 200 kilomètres au sud-est de Marrakech. « Toute chute d'irradiation solaire impacte directement la production, et ce défi d'intermittence concerne l'ensemble des énergies renouvelables », explique Rachid Bayed, directeur réalisation de MASEN (Agence marocaine pour l'énergie durable). Pas de quoi troubler cependant la quiétude des ingénieurs présents. « Nous utilisons un système de stockage d'énergie qui permet de surmonter cette difficulté », poursuit Rachid Bayed.
Une production d'électricité non intermittente…
Noor Ouarzazate est la vitrine des ambitions du Maroc en matière d'énergies renouvelables – le Royaume vise 42 % du mix d'origine renouvelable en 2020 et 52 % en 2030 – et d'innovation technologique. Dans cette grande plaine aride et ocre, entre Méditerranée et Sahara, s'est érigé ce qui s'apprête à devenir la plus grand complexe solaire thermodynamique du monde, avec une capacité de 580 MW -dont 72 MW en photovoltaïque. A la différence du solaire photovoltaïque qui transforme directement l'énergie lumineuse des photons en électricité, la solaire thermodynamique à concentration (CSP) a la capacité de stocker cette énergie. Comment ? En la transformant en énergie thermique utilisable à tout moment, et surtout, dès que le soleil décline. « Au Maroc, ce qui nous importe, c'est de produire de l'électricité jusqu'à minuit », souligne Rachid Bayed, du haut d'une tour qui offre une vue impressionnante sur le complexe solaire. C'est un site de 30 kilomètres carrés qui s'étend sous nos yeux – presque la superficie d'une ville comme Lille ! À l'extrémité : Noor Ouarzazate I, inaugurée en février 2016 par le roi Mohammed VI. D'une capacité de 160 MW – et « qui performe déjà au-delà » selon Rachid Bayed –, elle couvre l'équivalent de la consommation de près de 600 000 habitants. Et a une capacité de stockage de 3 heures. Dans son prolongement, en arc de cercle : Noor Ouarzazate II. La technologie est similaire (thermosolaire avec miroirs cylindro-paraboliques), mais sa capacité de stockage grimpe à 7 heures.
… qui permet de « passer la nuit »
Grâce à la concentration de l'irradiation solaire, les fluides qui circulent dans les tubes caloporteurs peuvent atteindre des températures très élevées. Ils atterrissent ensuite dans de grands réservoirs. « Ce sont des bacs de sel fondu à 390 °C. C'est là qu'on stocke l'énergie qui nous permet de continuer à produire de l'électricité pour la pointe de fin de journée, et on peut même passer la nuit », sourit Rachid Bayed. Ce système d'énergie thermique très puissant peut ainsi actionner des turbines et produire du courant, comme dans une centrale classique. « Avec Noor III, la concentration de chaleur atteint un niveau encore plus élevé : 560 °C », ajoute-t-il en montrant une grande tour qui se détache des cimes enneigées du Haut-Atlas.
Noor III, dont la mise en service est « en cours » (à l'instar de Noor II), est un autre type de centrale solaire thermodynamique. Au sommet de sa tour, un récepteur concentre le rayonnement solaire réfléchi par 7 400 miroirs de 180 mètres carrés, et à l'intérieur circule aussi un fluide, dont la chaleur génère de la vapeur à haute pression. Là encore, le stockage excède 7 heures. Noor IV, enfin, s'appuie sur le photovoltaïque, avec des panneaux motorisés qui suivent la position du soleil… comme des tournesols.
« Noor », un plan solaire à l'avant-garde
« MASEN a fait le choix de laisser une liberté technologique sur chacune de ses centrales afin de voir, parmi ces technologies innovantes, laquelle serait la plus compétitive et la plus efficace sur le long terme. Or, aujourd'hui, aussi bien la technologie thermo-solaire avec capteurs cylindro-paraboliques que celle avec tour sont porteuses d'avenir » commente Mathilde Bord-Laurans, responsable de division énergie à l'Agence française de développement (AFD).
Quand le plan solaire Noor a été lancé au Maroc en 2009, seuls les États-Unis et l'Espagne avaient développé des systèmes thermodynamiques à concentration. Ce n'était donc pas gagné d'avance. Pourtant, le royaume a pu « à la fois être financé par des bailleurs internationaux et attirer une concurrence de très haut niveau entre les acteurs privés », selon Mathilde Bord-Laurans. L'AFD, de son côté, a accordé deux prêts de 150 millions d'euros au total et une subvention de 300 000 euros au plan Noor. Quant aux appels d'offre, ils ont attiré des entreprises nationales, d'Europe et d'Asie. Le montant des investissements, pour atteindre l'objectif de produire 2 000 MW d'énergie solaire en 2020, est estimé à près de 8 milliards d'euros.
L'énergie solaire thermodynamique, un atout pour l'Afrique ?
Outre le Maroc, des centrales solaires thermodynamiques (Concentrated Solar Power, CSP en anglais) sont aujourd'hui en activité en Afrique du Sud, en Algérie et en Égypte. Face à l'immense défi d'accès à l'énergie sur le continent – environ 600 millions d'Africains sont privés d'électricité – et dans la perspective du New Deal pour l'énergie en Afrique, qui mise sur une production de 10 GW à partir d'énergies renouvelables en 2025, le CSP pourrait-il gagner d'autres territoires ? Si le coût de construction de ces centrales est bien plus élevé que celui d'un complexe photovoltaïque, « le potentiel solaire reste l'un des facteurs majeurs pour optimiser les prix du CSP », note Rachid Bayed. Et à cet égard, les pays de la bande sahélo-saharienne, avec des niveaux d'irradiation solaire parmi les plus élevés du monde, pourraient ouvrir la voie. MASEN et la Banque africaine de développement ont d'ailleurs signé une « lettre d'intention » pour renforcer les capacités solaires dans 11 pays de la zone. Des coopérations sont déjà engagées avec le Burkina Faso, Djibouti, l'Éthiopie, le Nigeria et le Sénégal.
Fervent défenseur des énergies propres depuis une trentaine d'années, Youba Sokona, conseiller spécial développement durable au South Center (organisation intergouvernementale de pays du Sud qui eut comme premier président en 1995 l'ex-dirigeant tanzanien Nyerere) émet toutefois quelques réserves. « Pour qu'une technologie comme le CSP fonctionne en Afrique, il y a 4 prérequis : avoir une vision claire, des infrastructures institutionnelles ad hoc pour traduire cette vision, des moyens internes (humains, politiques, financiers) mobilisables, et une capacité à concilier la tension entre le court et le moyen terme. Tout cela suppose un vrai leadership. C'est le cas du Maroc. Ce ne sont pas des institutions extérieures qui lui ont dicté ce qu'il fallait faire. Mais peu de pays en Afrique cochent toutes ces cases », résume-t-il.
La révolution du solaire photovoltaïque
Reste que l'essor du photovoltaïque et la baisse des coûts dans ce domaine sont de meilleur augure. « Là, les avancées ont totalement révolutionné la vision et l'approche du système énergétique en Afrique », s'enthousiasme le spécialiste.
Burkina Faso, Ghana, Kenya, Niger, Ouganda, Sénégal, Zambie… Difficile de lister tous les pays africains qui voient éclore des centrales solaires photovoltaïques, qu'il s'agisse de projets privés ou publics. Rien qu'entre 2009 et 2014, la capacité totale installée en Afrique a été multipliée par 10, pour s'établir à 1 334 MW, selon l'Institut international des énergies renouvelables (IRENA). « Le coût de production du photovoltaïque (PV) est passé en dessous de celui des centrales traditionnelles. Avec les projets privés lancés sur appel d'offres au Sénégal, par exemple, le prix obtenu est de 4 centimes d'euros le kwh. Aujourd'hui, les prix du solaire PV en réseau se situent entre 4 et 10 centimes d'euros le kWh, selon le niveau d'irradiation, les conditions de financement, la taille de la centrale et le risque pays », abonde Christian de Gromard, expert énergie à l'AFD.
Entre l'engouement, l'accessibilité des prix et de cette ressource illimitée, les contraintes du solaire relèvent désormais « de la capacité des réseaux nationaux à s'adapter pour gérer toutes ces arrivées d'électricité PV, caractérisée par son intermittence et sa variabilité, et de la possibilité pour les opérateurs de réseaux d'acheter cette électricité à un juste prix », remarque Mathilde Bord-Laurans.
Des applications multiples du photovoltaïque
L'intérêt de cette technologie est qu'elle ouvre aussi tout un champ des possibles. Dans les zones reculées non desservies par le réseau électrique, des mini-kits solaires permettent par exemple d'alimenter une radio, une lampe, de recharger un téléphone. Une solution moins couteuse que des piles ou des petits groupes alimentés au diesel. « En Afrique se déploie une double révolution électrique « on grid » et « off grid », chacune soutenue par l'accélération des nouvelles téléapplications (téléphonie mobile, télépaiements, télégestion…) et par le déploiement des services numériques dans les pays africains », observe Christian de Gromard.
Le solaire photovoltaïque est « beaucoup plus adapté au contexte socio-économique africain », selon Youba Sokona : « Il propose des systèmes flexibles, alors que le système centralisé exclut une partie des populations. »
Toutefois, à écouter celui qui a coordonné le Centre africain pour la politique en matière de climat de l'ONU, puis piloté l'Initiative africaine sur les énergies renouvelables (AREI) de l'Union africaine créée à l'issue de la COP21, en 2016, on n'en serait encore qu'aux prémices de la révolution. Et d'inviter à se départir « d'une certaine approche euphorique et folklorique de la question ». Folkorique ? Oui, il confirme : « La finalité de l'électrification, ce n'est pas la lumière. Il faut envisager toutes les applications, mécaniques, mobiles, de production de chaleur, de froid. Pourquoi ne voit-on par exemple aucune approche claire liant agriculture et énergie en Afrique ? Notre agriculture se caractérise par des petites productions, avec des outils d'exploitation rudimentaires. Alors qu'on peut utiliser le solaire pour puiser l'eau, la dessaliniser... Seules 3 % des terres agricoles sont irriguées en Afrique. Passez à 10 %, 20 %, ou plus, et vous changez la donne. »
Autre domaine dans lequel l'énergie solaire peut permettre de réaliser de grands progrès, selon lui : la condition de la femme. « Regardez les tâches qui incombent à de nombreuses Africaines : elles transforment les céréales ou font la lessive manuellement, elles vont chercher du bois pour la cuisson… Le solaire peut permettre de mettre en place des centres de lavage mécaniques, et d'imaginer des appareils domestiques adaptés aux usages africains ! » repart Youba Sokona. « On est encore dans un schéma totalement axé sur l'offre, on n'a pas encore repensé la manière d'aborder l'énergie par la demande », conclut, un brin désolé, le vice-président du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat).
Sources d'énergie dans la production d'électricité en Afrique (2015)
Source: Agence internationale de l'énergie (IEA) Get the data Created with Datawrapper
Autre enjeu, de taille, pour le continent africain : accélérer sa transition énergétique pour réduire la part des centrales diesel ou à gaz, très émissives en CO2, alors que la demande d'électricité suit la courbe de la forte croissance démographique. C'était d'ailleurs pour s'émanciper de sa forte dépendance aux énergies fossiles importées que le Maroc avait décidé, il y a à peine 10 ans, de basculer vers les énergies renouvelables. Avec clairvoyance, et au pas de charge.
Le 13/12/2018
Source web Par : le point
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