Cette crise sanitaire est une leçon magistrale, l‘homme n’est pas tout puissant face à la nature (Géoparc Jbel Bani)
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Cette crise sanitaire est une leçon magistrale, l‘homme n’est pas tout puissant face à la nature (Géoparc Jbel Bani)

Pierre Rabhi, installé en Ardèche, est l’un des pionniers de l’agro-écologie en France. Auteur de nombreux ouvrages sur le lien de l’homme à la Terre, le célèbre écologiste fait aujourd’hui le point sur cette crise sanitaire.

“Cette crise sanitaire est une leçon magistrale, l’homme n’est pas tout puissant face à la Nature”, Pierre Rabhi ne mâche pas ses mots.

Il est l’un des pionniers de l’agro-écologie en France. Le célèbre écologiste fait aujourd’hui le point sur ce qu’il faut retenir de cette crise sanitaire.

Tour à tour paysan-prophète ou conteur-philosophe, il est le chantre de la “sobriété heureuse”, du “retour à la Terre.” Pierre Rabhi est confiné, comme tout le monde, dans sa ferme ardéchoise où il s’est retiré, il y a de nombreuses années, pour vivre autrement. Essayiste, romancier, agronome, et conférencier, il est le défenseur de la Terre nourricière et de sa biodiversité. Avec son mouvement des Colibris, il a initié et inspiré de nombreuses personnes à l’écologie. Comme beaucoup, la crise sanitaire que traverse la planète l’interpelle. Avec lui, nous avons donc décidé d’en profiter pour faire le point sur notre mode de vie, d’en tirer les leçons et de s’interroger sur la vie d’après.

Avec l’avènement du progrès, des sciences et nouvelles technologies, l’homme avait l’impression de pouvoir contrôler son destin, d’être tout-puissant par rapport à la Nature, cette crise sanitaire n’est-elle pas, avant tout, une leçon d’humilité ?

Absolument, c’est un moment très initiatique, parce que ce virus affecte l’humanité dans sa globalité, il touche la planète tout entière. Et cela devrait nous donner la juste mesure de notre puissance. Car on trouve des solutions, oui, on se bat contre cette maladie, mais imaginez qu’il y ait un jour un virus plus mortel, il pourrait provoquer une hécatombe mondiale.

C’est un peu l’ambivalence de la science finalement, elle nous aide certes à lutter contre cette maladie, mais c’est son développement qui nous a conduit à croire que rien ne pouvait plus nous arriver.

Le danger, c’est la science sans conscience. La science, c’est les connaissances et les aptitudes humaines, mais il faut autre chose pour déterminer la science, sinon cela donne la bombe atomique. En même temps, la science peut nous libérer, stopper des pandémies, elle peut faire le Bien ou le Mal, selon la conscience qui se sert d’elle.

Quelle leçon alors peut-on tirer de cette crise ?

Moi je dirai que c’est une leçon magistrale, c’est à dire qu’elle n’est pas partielle, elle est véritablement globale. Nous avons à faire à un phénomène qui remet en cause toutes nos pratiques, notre façon de percevoir la vie, nos agissements… Donc à partir de là, on ne peut pas imaginer qu’on va régler son compte à ce virus et puis qu’on passe à autre chose. Ce serait vraiment dommage. Ce qu’il faudrait, c’est voir par quelles conséquences et par quelles mécanismes ce virus a pu advenir et devenir aussi virulent, et comprendre comment on a pu le laisser prendre cette ampleur.

Que dit cette crise sanitaire de notre rapport à la Terre, de notre rapport à la Nature ?

D’aucuns disent que des virus aussi virulents se multiplient partout parce que nous avons porté atteinte à la diversité de la vie, à la biodiversité en particulier, et que les régulateurs ont été supprimés. Par conséquent, cela a laissé la porte ouverte à des virus dont on reconnaît aujourd’hui qu’ils sont très négatifs pour notre condition.

L’homme est donc en quelque sorte responsable de ce qui arrive?

C’est difficile de l’évaluer, mais je ne peux pas imaginer que nous ne soyons pas responsables. La modernité avec le progrès qu’elle a pu apporter, elle s’est en quelque sorte enorgueillie de tout dominer et nous sommes en train de nous rendre compte que nous ne pouvons pas tout dominer puisque nous sommes nous-mêmes des êtres biologiques et nous sommes régis par la loi de la vie, telle qu’elle s’est organisée sur cette planète. Nous avons cru que nous pouvions nous abstraire de cette logique là pour jouer les grands magiciens, mais non.

Cette pandémie était-elle, selon vous, prévisible ?

Absolument, c’était prévisible. Evidemment, je ne pouvais pas le prévoir dans cette envergure -là, je ne l’imaginais pas. Mais que la transgression, le dérèglement et la dégradation volontaire de la vie n’ait aucune conséquence, ce n’était pas pensable. Moi, je ne suis pas scientifique, je suis bien sûr un agro-écologiste, je connais un certain nombre de règles en agronomie qui évitent d’empoisonner la Terre, de la fertiliser autrement, on peut dire que c’est une certaine science. Et je sais par exemple qu’en déséquilibrant le mode de production de notre propre nourriture, et je suis radical là-dessus, il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des conséquences sur notre propre physiologie. C’est pareil pour la planète. Un enfant de cinq ans peut comprendre que ça.

Cette crise est un terrible catalyseur des inégalités sociales, et elle les rend d’autant plus insupportables pour ceux qui en font les frais. Là aussi, ne doit-on pas, à l’avenir, travailler à gommer ces différences et revoir notamment la répartition des richesses ?

Oui bien sûr, mais d’abord il faut définir ce qu’est une richesse. La finance a permis la prédation. Celui qui a de l’argent, il a le pouvoir sur la matière, sur tout, mais en fait il n’a pas grand-chose. Normalement, la vraie finance devrait représenter les vraies richesses, tangibles, les richesses naturelles, comme l’a fait l’or pendant des siècles. C’est-à-dire qu’il devrait y avoir une parité entre la richesse matérielle et le chiffre de finances que vous possédez. Mais aujourd’hui, la finance crée la finance, et du coup, nous ne sommes plus du tout dans la logique d’équilibre où la finance doit représenter les vraies richesses.  Ça fait beaucoup de superflu et il faut changer cela.

Vous avez publié, il y a peu de temps, un livre, “J’aimerais me tromper”, dans lequel vous faites le constat d’une société vaniteuse, où le vivre ensemble n’existe plus. Et pourtant, dans cette crise, l’homme a montré qu’il était capable d’une superbe solidarité, notamment grâce aux réseaux sociaux, c’est quelque chose qu’il faudra garder à l’esprit ?

Je ne vois pas comment on pourra survivre sans entraide et sans solidarité. Mais il faut faire attention. Nous sommes aussi piégés par un tas de contraintes. Exemple concret, je prends le train Paris-Montélimar, je monte, personne ne se parle parce que tout le monde est équipé d’un outil de communication. Alors que je me rappelle des voyages où je me suis même fait des amis dans le train. On commence par échanger des banalités, et puis des liens se créent, des liens vrais. Ce qui est dangereux, c’est que les machines censées nous aider à améliorer la communication sont celles qui la détruisent. Nous sommes dans un leurre. Communiquer c’est un corps, c’est un être, c’est quelque chose de tangible. On a créé des outils pour augmenter notre capacité à communiquer, mais on ne fait que communiquer. On a confondu communication et relation. La relation, on se voit, on se touche, on se parle de cœur à cœur, et ça c’est en train d’être neutralisé par les outils qui sont censés en augmenter l’intensité, c’est terrible.

Peut-on également imaginer que ce confinement soit l’occasion, pour nombre d’entre nous, de revoir son rapport au temps ? De ne plus simplement le considérer comme du temps-argent ?

Tout à fait, le temps, c’est une question fondamentale. Le temps, pendant des millénaires, était relié à l’espace. J’ai mes jambes, je peux faire tant de kilomètre. Je suis riche, j’ai un cheval, je peux en faire plus, voilà. Et puis quand est arrivé le cheval-vapeur, c’est là que le temps s’est modifié, le cheval-vapeur nous permet d’aller plus vite que le cheval animal, donc ça modifie notre notion de l’espace. C’est là qu’il y a eu la grande rupture entre tout ce qui a prévalu depuis l’origine de l’humanité et aujourd’hui. On ne se rend même plus compte que nous ne sommes pas dans le temps “naturel”. Heureusement la Nature, elle, garde cette temporalité. Mais on est sortis de ce temps cosmique et naturel, et on a créé un temps relié à l’argent et au déplacement dans l’espace. Et nous sommes prisonniers de ça, complètement prisonniers d’un temps qu’il ne faut jamais perdre, qu’on veut toujours gagner… Moi je trouve cela complètement déraisonnable et pas intelligent d’infliger à son corps de telles tortures.

Depuis des années, Pierre Rabhi, vous appelez de vos vœux “l’éveil des consciences”. Avez-vous l’espoir que cette crise puisse aider les gens à élever leur conscience ?

Oui, je crois vraiment, mais cela dépend de la posture de chacun. Là, on reçoit une sacrée claque, ça nous rabat notre caquet, ça gronde notre prétention à être puissant, il n’y a même pas besoin de bombe atomique, ce virus peut nous régler notre compte. Et je le redis, rien ne nous garantit qu’un virus dix fois plus mortel que celui-là ne puisse advenir, qu’une hécatombe virale se produise. Je ne dis pas ça pour faire peur, je suis là pour dire « ouvrons les yeux », nous ne sommes pas si puissants que ça. C’est un temps initiatique formidable, et au lieu de trembler, d’avoir peur d’attraper ce virus, on devrait pouvoir élever notre conscience, c’est à dire tendre à une lucidité agrandie. Et à partir de là, je suis persuadé que, si nous arrivons à clarifier notre réalité vivante, elle nous aidera à progresser et nous inspirera ce qu’il faut faire pour que la vie soit enfin quelque chose d’autre, autre chose que des luttes, des guerres, de la tristesse… J’espère qu’on le prendra dans ce sens-là.

Que voulez-vous dire par un “temps initiatique”? Est-ce l’idée que, chacun se retrouvant face à lui-même, puisse se rendre compte de la valeur qu’a la vie ?

Disons que la plus grande défaillance de nos systèmes c’est que nous recherchons le bonheur et que nous avons du mal à le trouver. Les valeurs fondamentales, celles qui nous tiennent au cœur et à l’âme, cette satisfaction extraordinaire que l’on éprouve à vivre, on ne l’a pas. Et souvent je cite cette anecdote du pêcheur : il est assis là sur la plage, il a fini son travail, il fait sécher ses filets, et il est tranquille. Arrive un monsieur très sérieux qui regarde le pêcheur et sa barque, et lui dit, “monsieur cette barque est à vous ?”. “Oui”, répond le pêcheur. “Mais elle est un peu petite, vous ne trouvez pas ?  Vous pourriez en avoir une plus grande”. Le pêcheur : “et après”. L’homme : “et après vous pourriez pêcher plus de poissons”. “Et après ?”. “Et après, vous allez pêcher tellement de poissons, que vous allez acheter un bateau plus grand, et après, vous allez embaucher des gens, et pêcher encore plus de poisson et après vous vous reposerez”. “Eh bien c’est ce que je suis en train de faire” dit le pêcheur.

Pierre Rabhi, vous restez toujours optimiste, et vous pensez qu’après cette crise, on ne pourra pas faire comme si rien ne s’était passé. Mais comment faire pour être sûrs de ne pas recommencer comme avant ?

Il y a d’abord un facteur tangible, c’est que, quoi que nous fassions, il faudra bien un jour que nous revenions à la Terre si nous voulons continuer à manger, donc à vivre. La Terre est primordiale, c’est la matrice même de la vie, il faudra donc y revenir.

Et puis il y a quelqu’un à qui je suis très attaché, qui malheureusement n’a pas toujours été bien compris et qui s’appelle Jésus de Nazareth. Et qu’a dit ce Jésus Christ ? Et bien il a dit il n’y a que l’amour qui ait la puissance de changer le monde. Il a même ajouté, “aimez même vos ennemis.” Je ne parle pas de nos petites amours, mais de l’amour au sens large, l’amour des arbres, des oiseaux, l’amour de tout, de tout ce qui nous est donné. Quand je vois que l’on est en train d’exterminer les baleines, les éléphants, ça me fait quelque chose… Je suis affecté par le fait que nous n’avons pas su aimer tout ça, nous nous sommes installés comme des prédateurs avec comme seul but nos propres intérêts, le goût du gain, du lucre… L’amour c’est la seule solution, en voyez-vous une autre ?

“Remettre l’économie en marche”, “sauver le PIB”, c’est la priorité du gouvernement, c’est d’ailleurs le sens de ce qu’a annoncé le Premier Ministre cette semaine, comment faire pour faire comprendre à ceux qui nous dirigent qu’il faut désormais changer de paradigme ?

Mais ceux qui nous dirigent on été intronisés par voie de suffrage universel, par des millions de gens qui les ont élus, il ne faut jamais l’oublier. Je crois par exemple que ce monsieur à la tête des Etats-Unis n’est pas quelqu’un d’éveillé, c’est quelqu’un de tout à faire primaire dans ses réflexions, je ne juge pas l’âme, mais la personne dans son fonctionnement social. Mais ce n’est pas un dictateur, il a été intronisé par le vote, c’est à dire que cette personne représente les millions d’âmes non évoluées qui lui ont donné le pouvoir. Chacun de nous est invité à désigner la personne à laquelle il souhaite remettre son pouvoir et donc en quelque sorte son destin. Chacun est responsable. Même si, pour vous faire une confidence, il y a longtemps que je vote contre quelqu’un plutôt que pour quelqu’un…

Dans votre dernier livre, que je viens d’évoquer, vous faites le constat d’une société en échec, vous dites, en quelque sorte, qu’il est déjà trop tard. Cette dérive de nos sociétés est-t-elle réversible ou irréversible ?

Il est souvent trop tard, mais il est aussi souvent encore temps. Nous sommes condamnés à cela. Si je me dis « il est trop tard », et bien je reste couché. Mais si je me dis, “certes il y a beaucoup de dégâts, mais il y a toujours un peu d’espoir”, alors je m’inscris dans ce qui va aider à solutionner les choses. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé la légende du colibri. J’ai une vie à vivre, elle a ses limites, mais j’ai une présence sur cette planète, qu’est-ce que je fais de ce capital ?

Vous êtes effectivement à l’origine de ce concept de la “part du colibri”, qu’est-ce que cela voudra dire faire sa part dans le monde d’après le coronavirus ?

Ça ne change pas. Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observent impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’active, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : “Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! “. Et le colibri lui répond : “Je le sais, mais je fais ma part.”

Ce qu’il y a d’intéressant dans cette légende amérindienne, c’est que cela nous ramène à dire d’accord, il y a quand même des énergies positives, je ne peux pas rester couché, je dois faire ma part. Même si cela paraît dérisoire, il ne faut pas baisser les bras. Il faut garder son énergie et donc sa cohérence.

Vous n’êtes ni partisan, ni militant, vous vous refusez à participer à des manifestations, à la désobéissance civile. Est-ce que “faire sa part” sera suffisant ? Ne faut-il pas se révolter ?

Je suis pour une révolte, mais pas pour une révolte poings levés et violente. Il faut une révolte d’amour, pas de haine. Il faut être indigné pour l’amour. Je suis pour que les gens se réveillent, et je trouve que les gens n’agissent pas assez, ne se révoltent pas assez, justement. Mais c’est une révolte personnelle et intérieure, qui passe par répondre à cette question : la capitale vie que j’ai, que vais-je en faire ? Soit je n’en fais rien. Soit je fais n’importe quoi, et ma vie se déroule avec insignifiance. Soit je fais quelque chose qui a du sens, et qui est une expression de révolte, mais sereine et sans violence. Donc à partir de là, chacun, vous, moi, n’importe qui, dit d’accord, il y a un monde sur lequel je peux agir, sur lequel je suis souverain, et ce monde, c’est d’abord le mien. Après, on peut agir sur les autres. Quand on regarde les phénomènes de dictature, dont celui qui a marqué notre histoire contemporaine, l’hitlérisme, on voit qu’Hitler a mobilisé, avec sa seule doctrine, des millions d’âmes prêtes à rentrer en violence, c’est terrifiant. Si on le faisait dans l’autre sens, ce serait extraordinaire, seulement, cela nécessite que l’on touche à des domaines très personnels. Le changement social se fera par le changement individuel. Parce que je peux aller manifester contre ceci ou cela, rentrer chez moi et pourrir la vie de ceux qui m’entourent, et je ne m’en rends pas compte… Il faut donc savoir qui je suis, il y a tout un travail à faire, un chemin de la connaissance de soi, sans aucune référence à une doctrine ou à une idéologie..

Source web par : desert-montagne

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