Témoins du savoir-faire et de la richesse de la culture amazighe : Les igoudar, ces greniers-citadelles à l’abandon (Géoparc Jbel Bani)
Un rite spécial doit être observé une fois sur place. Avant de fouler le sol d’une case, les sociétaires doivent avoir fait leurs ablutions et leur prière. Ainsi cette baraka confère au lieu toute sa sacralité.
Considérés comme une véritable richesse architecturale et patrimoniale du Sud, les igoudar de Innoumar (littéralement en amazigh le grenier ensoleillé) sont situés à quelques kilomètres d’Ait Baha et sur la route de Tafraout, et représentent un héritage patrimonial collectif hérité d’une génération à l’autre avec une multitude de traditions qui témoignent de la richesse du patrimoine de la région.
Igoudar est le pluriel d’agadir qui est un mot amazigh qui signifie grenier. Ce sont des greniers collectifs fortifiés ou greniers-citadelles, dont la fonction essentielle est le stockage des vivres dans des magasins et de l’eau dans des citernes, pour pallier les risques naturels et humains qui planaient sur la population locale lors de ces derniers siècles. Ils ont aussi parfois une fonction défensive et de refuge en cas d’attaque.
Ces igoudar se tiennent toujours malgré tous les aléas de la nature. Ils ont été construits avec des pierres que le soleil colorera de rouge et se confondent aujourd’hui avec le paysage local avec une architecture qui se développait par le passé à fur et à mesure des besoins.
La citadelle fortifiée se dresse à flanc de colline et domine la vallée de quelques centaines de mètres, ce qui représente déjà une première protection. À l’angle oriental, près de l’unique entrée, une tour de garde accentue le caractère défensif de l’ouvrage. Ce caractère est complété par une muraille qui enserre les bâtiments et par la défense naturelle qu’offrent les figuiers de barbarie. Le circuit de l’eau autour des lieux est également passionnant avec trois citernes traditionnelles sur place pour pouvoir se tenir lors des moments difficiles. Les igoudar d’Agadir Innoumar abritent les 295 cases de l’ensemble de la communauté locale et qui ont été créées dans le but de protéger les biens et assurer la survie du groupe lors des attaques surprises de l’ennemi, et s’étalent sur une superficie totale de 5.000 mètres. Elles font de lui le plus grand grenier de l’Anti-Atlas. Ces vestiges remontent à plusieurs siècles. La date de construction, par étapes successives, de ce grenier n’est pas historiquement établie.
«La construction a été une décision commune et le financement a été assuré par les habitants eux-mêmes, avec trois matériaux locaux: le bois d’argane, les pierres et l’argile. Chaque famille possédait une case pour y mettre sa récolte, et elle était sommée de l’entretenir. Aucun ne peut abandonner la sienne», souligne Ahmed Ouhmou, acteur associatif de la région. Ces igoudar sont considérés comme une véritable banque bien organisée. Les gens qui vivaient dans la vallée enferment leurs biens ici. Ces greniers possédaient une seule porte qui se ferme la nuit. Les communautaires savent que leurs biens sont en sécurité.
La richesse des greniers dépend des récoltes et donc des précipitations souvent aléatoires dans cette région. Les années de sécheresse qui se sont succédé ont considérablement contribué à l’abandon de ce patrimoine architectural, qui est aujourd’hui déserté hormis quelques touristes étrangers qui visitent la région pour découvrir ce patrimoine architectural unique dans son genre. Jusqu’au milieu des années 80 toutes les cases étaient pleines, avec une centaine de pesées. Le commerce se portait bien.
Jadis, chaque famille possédait une case dans laquelle elle pouvait mettre ses biens les plus précieux à l’abri. En effet elles préféraient ne rien laisser chez elles. Farine, nourriture, blé, miel, huile, dattes, amandes, figues séchées, henné, bijoux, actes de mariage, titres de propriété (ces documents étant conservés dans des bambous évidés), et de quoi tenir longtemps. Ces greniers étaient une véritable caverne d’Ali Baba. Ont y trouvait aussi des armes et des munitions pour pouvoir se défendre en cas d’attaque. Alors qu’un trou est toujours laissé ouvert près de la porte pour que les chats puissent entrer facilement et lutter contre d’éventuels souris et rats qui peuvent endommager les biens précieusement gardés dans ces cases.
Auparavant c’est l’Amine (homme de confiance) qui s’occupait de la gestion et la protection des igoudar et ne quittait presque jamais les lieux, il devait protéger les biens de tout un chacun, et était payé en nature ou en espèce par les sociétaires.
Par ailleurs, un rite spécial doit être observé une fois sur place. Avant de fouler le sol d’une case, les sociétaires doivent avoir fait leurs ablutions et leur prière. Ainsi cette baraka confère au lieu toute sa sacralité. Les lois et coutumes très strictes de ces greniers interdisent de regarder les autres cases. Ils devaient se diriger directement vers leur case afin de ne pas être tentés de voler.
Aujourd’hui ces greniers représentent une niche du tourisme solidaire à exploiter au profit de la population locale, et qui nécessitent plus d’efforts pour en faire une véritable locomotive pour le tourisme local.
Le 10 juin 2018
Source web par : Aujourd'hui Le Maroc
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