#MAROC_Enquête_Le_vécu_de_la_pandémie_et_du_confinement_dans_la_vallée du Drâa
A Zagora au pays de la pastèque de printemps, et dans les oasis de la vallée, comment les petites exploitations familiales ont-elles vécu le confinement. L'enquête de deux sociologues, Lisa Bossenbroek & Hind Ftouhi, sur un sujet peu médiatisé.
Comme partout dans le monde, la pandémie s’est aussi installée au Maroc. La fermeture des frontières le 15 mars est venue se joindre aux premières mesures mises en place afin de limiter la propagation du virus Covid-19. A partir du 20 mars 2020, l’état d’urgence sanitaire est entré en vigueur. On ignore jusqu’à quand il sera maintenu et à quoi ressemblera la situation après cette date. Depuis, les déplacements se sont restreints et doivent être justifiés par une autorisation des autorités locales ou provinciales en cas de déplacement inter-régions, les barrages de police et de gendarmes sont nombreux, et toute sortie doit être accompagnée de mesures sanitaires.
Aujourd’hui, la fermeture des frontières et les restrictions de déplacement font que l’agriculture locale est plus que jamais essentielle.
L’agriculture s’est attribuée la fonction de nourrir la nation. Le gouvernement n’a pas cessé d’assurer que l’approvisionnement en denrées alimentaires sera sécurisé. Se pose alors la question de savoir comment les petits et moyens agriculteurs et leurs familles affrontent-ils la situation actuelle ?
Nous rappelons qu’environ 70% de l’agriculture marocaine correspond à cette catégorie et environ 40% de la population marocaine vit dans le rural.
Quelles histoires se cachent derrière les dattes succulentes que nous avons savourées tout au long d’un mois de Ramadan au rythme du confinement ?
Ces chiffres illustrent l’importance de l’agriculture familiale ainsi que la population rurale au Maroc. Toutefois, depuis le début du confinement, on en parle peu et nous ne savons pas comment la pandémie est vécue par les ruraux.
En effet, quelles histoires se cachent derrière les dattes succulentes que nous avons savourées tout au long d’un mois de Ramadan au rythme du confinement ? Ou encore derrière les pastèques que nous pouvons actuellement acheter au supermarché ou chez les marchands ambulants ? Pour l’anecdote, sur les réseaux sociaux, les gens disent « la pastèque de Zagora est sortie et nous pas encore !».
Afin de parer à cette lacune, nous avons pris contact, via des entretiens téléphoniques, avec une trentaine d’agriculteurs et d’acteurs locaux, hommes et femmes, dans les oasis de la vallée du Drâa ainsi que dans les nouvelles terres agricoles en extension autour de ces oasis. Ces entretiens se sont articulés principalement autour des questions suivantes : Comment la pandémie est-elle vécue par ces différents acteurs ? Comment affecte-t-elle l’activité agricole ? Et comment les différents acteurs ruraux gèrent-ils la situation ?
Les jeunes producteurs de pastèques face aux problèmes de commercialisation
Les jeunes producteurs (25 – 35 ans) de pastèques avec qui nous nous sommes entretenues se trouvent dans les extensions à l’extérieur des oasis traditionnelles. Ils sont des ayants-droit et exploitent des terres collectives appartenant à leur tribu. Ils se considèrent comme de petits agriculteurs. Ils produisent, sur quelques hectares, des pastèques ainsi que des cultures vivrières essentiellement destinées à la consommation familiale.
Ici, on est loin du modèle fortement critiqué autour des grands producteurs de pastèque qui épuisent la nappe phréatique saharienne. Au-delà des modèles fortement discutés par les scientifiques et la société civile, il s’agit pour nous de décrire comment des agriculteurs familiaux vivent la crise liée au Covid-19 et comment ils font face aux mesures de confinement.
Cette année, la récolte de la pastèque a commencé début avril, en plein confinement. Situation qui n’a pas manqué de déstabiliser les agriculteurs comme l’indique le témoignage de Hamid[1] : « On avait peur "tkhle’na", une grande peur. Au début, on imaginait une situation pire que la présente (maatweke’nach ghadi tkon lkadia bhal hakda)… Lorsque le confinement a commencé le 20 mars, on s’attendait à ce que le déconfinement se fasse le 20 avril comme annoncé. On s’est dit que l‘on n’aurait pas de problèmes puisque la production ne serait prête que vers le 25 avril. Mais après l’annonce de la prolongation du confinement, nous nous sommes demandés comment nous pourrions rembourser nos crédits ». Rappelons que la culture des pastèques dans les extensions exige des investissements importants en termes d’engrais, de semences, de frais d’irrigation… et dépend pour son écoulement des acheteurs et des intermédiaires venant de tout le Maroc dès le lancement de la campagne de récolte.
Cette année, du fait des contraintes de mobilité et des procédures administratives à suivre pour accéder à la vallée, peu d’acheteurs ont pu et voulu se rendre à Zagora.
A cause des restrictions de mobilité, les pastèques de moindre qualité pourrissent sur place ou sont données au bétail.
Ainsi, les agriculteurs ont trouvé des difficultés pour vendre leur production. Ceci a affecté le prix de la pastèque comme en témoigne Ahmed : « Il y a un certain monopole (ihtikar) de la part des acheteurs et ils sont peu nombreux. C’est eux qui décident du prix, il n’y a pas d’autres alternatives. Avant, quand il y avait plus d’acheteurs, on pouvait négocier les prix… ».
Les acheteurs choisissent les meilleures pastèques et laissent le reste, notamment quand il s’agit d’exportation. En temps normal, les pastèques de moindre qualité étaient vendues sur le marché régional, mais aujourd’hui les souks hebdomadaires ont été fermés ce qui empêche cette vente. Compte tenu des restrictions de mobilité, il est difficile de louer un véhicule pour transporter les pastèques en ville afin de les vendre à des petits commerçants. Par conséquent, les pastèques de moindre qualité pourrissent sur place ou sont données au bétail.
Toutefois, il ne s’agit pas de la première crise à laquelle ces jeunes agriculteurs font face. L’année dernière était déjà une année catastrophique pour beaucoup d’entre eux. Ils s’en sont sortis avec beaucoup de dégâts et surtout de dettes à rembourser aux fournisseurs d’intrants.
En effet, face à une offre importante et une demande faible, les prix de vente des pastèques sur le marché avaient drastiquement chuté et dans beaucoup de parcelles, les pastèques n’avaient même pas été récoltées. En réaction, pour la présente campagne agricole, certains jeunes ont diminué leurs charges en réduisant la quantité d’intrants agricoles utilisés et en réutilisant le même matériel agricole que l’année précédente (gaines d’irrigation, plastique agricole).
L’expérience de l’année dernière est restée gravée dans leur mémoire et avec les mesures sanitaires imposées par l’Etat, les jeunes agriculteurs se sont préparés au pire cette année. Ils ont « beaucoup lutté (kafho) » et ont décidé d’aller de l’avant comme l’indique le témoignage de ce jeune agriculteur : « Cela aurait pu être pire (hal hssen men hal), même si le prix de vente est bas, au moins les pastèques ne sont pas restées sur les parcelles, elles ont été vendues (dellah khrej mabkach) et c’est cela l’essentiel…, il en reste que peu, juste les pastèques de moindre qualité ».
Si cette année, la majorité d’agriculteurs n’ont fait que peu ou pas de bénéfices, ils ne se trouvent au moins pas, pour la plupart, avec des dettes qui allaient s’ajouter à celles non payées de la campagne précédente.
Moquef sur Whatsapp et recours à la main d’œuvre locale
D’habitude, la récolte de la pastèque mobilise une main-d’œuvre régionale qui vient de Chichaoua, d’Agadir et de Zagora. Cette année, l’interdiction des déplacements a rendu la récolte problématique. Les agriculteurs dans les extensions font principalement appel aux jeunes ouvriers locaux de leur douar et des douars voisins. La forte demande en main-d’œuvre face à un nombre limité d’ouvriers agricoles disponibles, a fait augmenter le prix de la main d’œuvre. Le chargement d’une remorque (en fonction de son volume) en temps normal variait entre 1.400 DH et 1.500 DH. Actuellement, le prix peut aller jusqu’à 2.000 – 2.500 DH.
En temps normal, le recrutement des ouvriers se fait au moquef, lieu de rassemblement des ouvriers, situé au centre de Zagora. Cette année, à cause du confinement, le moquef a été interdit et un nouveau mode de recrutement s’est créé à travers les réseaux sociaux comme l’explique Mohammed, jeune ouvrier de 26 ans qui habite à Bendlala près de Zagora : « les agriculteurs ont un groupe sur Whatsapp ou Facebook, tu donnes ton numéro de téléphone à un agriculteur, tu lui demandes de partager ton numéro dans son groupe Whatsapp et quand ils ont besoin d’ouvriers pour le chargement, ils te contactent ».
Comme l’illustre ce témoignage, au lieu d’attendre de voir comment la situation évoluera, des réponses créatives et innovantes sont apportées pour faire face aux nouveaux défis autour du confinement et des interdictions de mobilité.
Entre sécheresse et pandémie, le vécu au cœur de l’oasis traditionnelle
Tandis que dans les extensions les jeunes agriculteurs se débrouillent tant bien que mal et les ouvriers locaux semblent s’en sortir plutôt bien, voici que dans les oasis dépendant fortement des lâchers d’eau du barrage El Mansour Eddahbi, la situation est toute autre.
L’impact de la pandémie est amplifié par une année de sécheresse dûe au manque de précipitions en amont. Les ouvriers qui avaient l’habitude de se déplacer vers les extensions pour la récolte des pastèques ne peuvent plus le faire et les oasis offrent peu d’alternatives d’emploi.
Le secteur touristique désormais à l’arrêt, n’offre plus aucun emploi et ceux qui y travaillaient, pour diversifier leurs revenus, se tournent vers une aide de l’État. Pour d’autres, les ménages tenus par des femmes à titre d’exemple, l’aide de membres de leur famille émigrés est la seule source de revenu possible.
Dans certaines oasis comme Fezouata, la pandémie a surtout affecté la commercialisation des dattes, produit dont la place est centrale dans l’économie oasienne. Celles-ci avaient été stockées afin d’être vendues à un prix important lors du mois de ramadan. Mais les procédures administratives imposées pour pouvoir se déplacer, la difficulté du transport de la marchandise et la fermeture des souks ont réduit la demande.
La pandémie affecte non seulement l’activité économique mais aussi l’autonomie fragile que certains avaient mis des années à construire. L’expérience de Khadija, membre d’une coopérative agricole féminine dans la région, spécialisée dans la production de pain, âgée de 40 ans et divorcée, l’illustre bien. Pour elle, la coopérative l’a « beaucoup aidée » et lui a donné « de l’importance et une nouvelle personnalité (ta’tik l’ahamia, chakhssiya okhra) ».
En temps normal, les adhérentes vendaient entre 100 à 200 pains par jour. Lors des mariages et des funérailles, elles pouvaient vendre jusqu’à 600 pains par jour. Mais cette année, l’arrivée du mois de ramadan et le prolongement du confinement, ont fait baisser le chiffre d’affaires et la vente ne dépasse guère les 20 pains par jour. Certaines adhérentes ont bénéficié des aides individuelles du fonds Covid-19 ou du panier du Ramadan, mais le futur de la coopérative est incertain et parfois comme l’indique Khadija « on perd totalement l’espoir (kaydlam kolchi fwajhak okatgol baraka) ».
Faut-il totalement perdre espoir, ou bien inventer de nouveaux moyens pour faire face à ces défis à l’image des jeunes ouvriers avec les réseaux sociaux? Comme l’illustrent les différentes expériences dans cet article, la crise liée au Covid19 est une période révélatrice. Elle permet d’apprendre des expériences locales et de leurs ingéniosités mais d’un autre côté, elle met à l’épreuve la résilience des populations rurales et met à nu leur invisibilité, leur vulnérabilité et le peu de recours possibles dont elles disposent pour faire face aux crises. Il est crucial de faire entendre leurs voix et de comprendre leurs besoins afin de mieux orienter les différentes aides mises en place par l’Etat ou acteurs privés.
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LES AUTEURES
Lisa Bossenbroek, sociologue, chercheuse à l’Université de Koblenz-Landau et associée au Centre Marocain des Sciences Sociales (CM2S) – Casablanca, membre des projets SaliDraa جوج et T2GS.
Hind Ftouhi, sociologue, chef de projet “Farming in times of crises: experiences, responses and needs of smallholder farmers during the COVID19 pandemic” et membre des projets T2GS – DUPC2 .
[1] Les noms de toutes les personnes interviewées ont été modifiés pour préserver leur anonymat.
Le 10 juin 2020
Source web Par : medias24
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