De la patrimonialisation : son étendue et ses acteurs pour Professeur Ahmed SKOUnTI
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De la patrimonialisation : son étendue et ses acteurs pour Professeur Ahmed SKOUnTI

Professeur Ahmed SKOUnTI, Anthropologue, Institut national des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine ,Rabat-Marrakech

De la patrimonialisation : son étendue et ses acteurs

Merci à tous et à toutes de nous avoir invités avec quelques collègues d’autres collectivités  françaises  que  vous  avez  citées,  Monsieur  le  Président,  en  cette  journée  qui  marque 

la  volonté  de  l’Oriental  de  faire  valoir  ce  qu’elle  a  de  plus  beau,  ce  qu’elle  a  de  meilleur, c’est-à-dire son histoire et son identité.  Il y a évidemment dans la notion de patrimoine une recherche et une consécration d’une identité, qu’elle soit matérielle ou immatérielle comme  on  dit,    c’est-à-dire  qu’elle  touche  des  vestiges  de  toutes  natures,  écrits  ou  parlés, construits, ou qu’il s’agisse tout simplement de l’histoire des hommes et des femmes, c’est-à-dire  les  comportements,  les  pratiques,  les  connaissances  accumulées,  les  modes  de vie...

S’agissant de l’Oriental, par rapport à la Région Champagne-Ardenne, je voudrais dire qu’il

y a quelques parentés, même si géographiquement et culturellement nous sommes  loin les uns des autres. Je trouve que dans le patrimoine de cette Région de l’Oriental - et tout

ce que nous avons entendu depuis ce matin en témoigne - il y a à la fois des racines fortes

des  deux  côtés  de  la  Méditerranée  entre  des  populations  de  langues  très  différentes,  s’agissant de la présence européenne, non pas seulement de la présence française, mais aussi de la présence espagnole, de la présence italienne.

L’Oriental est un carrefour linguistique, un carrefour de religions et c’est aussi une zone de passage  comme  cela  a  excellemment  été  dit  ce  matin.  Mais  c’est  aussi  un  lien  entre  les  deux éléments essentiels qui ont fait, me semble-t-il, ce pays : la mer au nord et le désert au Sud.

Au moment où nos amis marocains s’engagent dans la réflexion sur ce que doivent être leurs futures Régions, imaginer des cartographies qui séparent ces deux éléments essentiels de l’identité de l’Oriental que sont la présence sur la Méditerranée d’une part, et l’ouverture sur le désert d’autre part, serait sans doute quelque part difficile à comprendre pour qui veut bien voir que ce qui fait la richesse de l’Oriental : précisément ses terroirs et cette double ouverture.

Cette diversité, nous la retrouvons aussi dans une Région comme la Champagne-Ardenne où la distance, 450 km du nord au Sud, fait qu’elle est couverte de territoires très différents les uns des autres, de niveaux de richesses variées et de traditions économiques extrêmement opposées les unes aux autres parfois. Ce sont aussi des Régions qui ont payé dans

le  passé  leur  position  aux  frontières,  mais  qui  peuvent  aujourd’hui  retrouver  le  sens  de  l’histoire en exploitant au contraire de façon positive cette place frontalière ; ce sont aussi des Régions qui, paradoxalement, ont été un peu méconnues.

En effet le Maroc est plus connu par d’autres de ses grandes métropoles ou d’autres de ses Régions, que par l’Oriental, et la France comporte des régions plus prestigieuses, plus influentes que la Région Champagne-Ardenne. nous avons donc les uns et les autres parfois souffert d’un certain déficit d’image, alors que l’image est paradoxalement essentielle si on veut aussi promouvoir et faire connaître un patrimoine.

Alors  à  partir  de  là,  il  ne  faut  pas  s’étonner  si  depuis  plusieurs  années  déjà  nous  avons  essayé  au  niveau  des  deux  Régions  de  travailler  sur  le  patrimoine  pour  en  tirer  des  vecteurs  d’identité et des vecteurs de développement. Les premières coopérations que nous avons engagées avec l’Oriental ont notamment porté sur la sauvegarde et la valorisation du magnifique patrimoine artisanal de cette Région de l’Oriental, en contribuant à la formation de jeunes garçons et filles des quartiers populaires d’Oujda, à la redécouverte des traditions de l’artisanat dans le domaine du cuir, des bijoux, de la broderie et cela n’a sans doute pas été un hasard si ce fut l’une des actions prioritaires parmi les plus anciennes que nous nous sommes données. beaucoup plus récemment, nous avons conclu avec le PNUD un accord pour contribuer, avec d’autres,  à  une  démarche  globale  d’identification,  d’inventaire,  d’expertise  de  l’ensemble des éléments du patrimoine matériel et immatériel de l’Oriental, qui sera suivi d’un travail de sensibilisation et d’information indispensable, parce que dans Oriental, comme

en  Champagne-Ardenne,  les  populations,  pourtant  héritières  d’une  richesse  et  d’un  foisonnement patrimonial intense, les connaissent parfois fort mal, ou du moins n’en ont pas

tiré forcément toute la fierté indispensable pour bien les faire connaître.

Ce  travail  d’inventaire  et  d’expertise,  nous  le  menons  en  commun  avec  les  collectivités  françaises  ou  francophones  qui  ont  conclu  un  accord  avec  la  Région  Champagne-Ardenne,  de  telle  sorte  que  nous  soyons  complémentaires  les  uns  des  autres.  nous  avons  évoqué le Conseil Général de la Seine-Saint-Denis dont sa représentante va expliquer l’action  particulière  à  Figuig.  Lille  est  également  très  engagée  dans  la  Région  avec  la  ville d’Oujda, Aix-en-Provence aussi, la Commune d’Errouville, deux Communes belges francophones de la banlieue bruxelloise... nous avons essayé de nous engager conjointement dans ce travail d’inventaire, de formation et de sensibilisation au problème du patrimoine de cette Région.

nous  avons,  avec  le  PNUD,  élargi  notre  coopération  à  d’autres  collectivités,  notamment  en Espagne et en Italie, avec principalement Côme (et un certain nombre d’associations non gouvernementales italiennes) et avec Malaga. nous faisons cette action dans un triple esprit. D’abord, la première idée, c’est que la préservation et la valorisation d’un patrimoine ce n’est pas uniquement affaire d’entomologistes ou de conservateurs de musées : nous avons une vision ouverte de la valeur du patrimoine perçu comme quelque chose qui non seulement s’appuie sur le passé, mais aussi sur les jeunes générations.

Je voudrais saluer le travail qui a été récemment entrepris pour que des groupes de jeunes

danseurs  de  cette  Région  de  l’Oriental  puissent  travailler  ensemble  avec  des  jeunes  du 

Centre national des Arts du Cirque de la capitale administrative de notre Région, à Châlon.

Par ailleurs le patrimoine culturel ne peut être séparé du patrimoine naturel : c’est-à-dire

les  paysages,  les  sites,  les  espèces  végétales  rares,  les  pratiques  culturales,  les  pratiques  agricoles  notamment.  nous  avons  donc  essayé  de  travailler  avec  nos  amis  de  l’Oriental  sur  la  valorisation  d’un  certain  nombre  de  produits  de  qualité  qui  font  l’excellence  des  agriculteurs de bon nombre de Provinces, qu’il s’agisse des agrumes de berkane, des races particulières de moutons, notamment ceux de l’espace des bni Guil, ou qu’il s’agisse des dattes Aziza de Figuig, et le travail n’est certainement pas fini.

Enfin le troisième volet de cette action, par lequel je voudrais en terminer, c’est que bien entendu que tout cela n’est pas sans conséquences en terme de développement. Lorsqu’il

y a identification des produits, dont la qualité est reconnue en fonction de critères commerciaux  internationaux,  on  facilite  l’export,  on  crée  de  l’emploi,  on  développe  l’activité  d’agriculteurs locaux, on développe également des activités logistiques, des activités de packaging.

nous avons essayé de contribuer au développement de la formation en ce domaine, notamment  grâce  à  l’école  d’ingénieurs  Emballages  &  Conditionnement  de  Reims.  Donc  il  y  a  un  levier  essentiel  à  la  création  d’emplois  et  ce  pays  -  comme  le  nôtre  -  en  a  besoin  puisque les jeunes arrivent en masse sur le marché du travail et qu’ils ont besoin que l’on prépare leur avenir.

Quant au tourisme - bien entendu, on en a beaucoup parlé et ce n’est pas par hasard - il faut bien voir que derrière tout cela il y a un débat et que les modèles de développement que sous-tend tout ce que nous avons dit sur la manière de mettre en valeur le patrimoine dans sa diversité et dans son authenticité locale, sont basés sur un modèle économique qui privilégie la proximité par rapport aux solutions macro-économiques, donc une forme de tourisme qui s’imprègne beaucoup plus des réalités locales et mobilise les populations locales qui redécouvrent un certain nombre d’outils et de leviers de création de richesses locales.

Il  se  différencie,  de  ce  point  de  vue,  des  formes  de  tourisme  que  l’on  pratique  aussi  au Maroc, comme d’ailleurs, chez nous en France ; c’est à dire le tourisme des grandes chaînes hôtelières qui développent un mode d’accueil et de structures que l’on retrouve partout dans le monde et qui sont standardisées, parce que c’est un modèle qui tend à s’imposer partout. Ce n’est pas celui-là dont on a parlé aujourd’hui.

On ne peut évidemment pas séparer tout cela de ce que nous avons dit du débat sur la

décentralisation  qui  traverse  nos  pays  respectifs,  au  Maroc,  mais  ausssi  en  France.  Et,  de ce point de vue, je voudrais dire toute l’attention avec laquelle nous suivons dans les collectivités françaises, les avancées importantes que le Roi du Maroc a annoncées au cours de ces dernières journées, qui sont certainement l’un des éléments les plus porteurs pour mettre en avant et aider les collectivités territoriales du côté de nos pays du nord ou du

Sud,  à  mettre  ensemble  leur  savoir-faire  ou  leurs  projets  pour  répondre  aux  besoins  de  leurs concitoyens dans le domaine de la démocratie et des libertés publiques, mais aussi dans les domaines de la croissance et de la création d’emplois.

Voilà,  quelques-unes  des  considérations  que,  d’une  manière  aussi  rapide  et  synthétique 

que possible, j’ai essayé de communiquer dans les minutes qui m’étaient imparties.

Source web par oriental

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